Les morts se suivent, des anonymes aux yeux des décideurs de tous bords, des hommes et des femmes, des enfants de l'archipel, vivant da...
Les morts se suivent, des anonymes aux yeux des décideurs de tous bords, des hommes et des femmes, des enfants de l'archipel, vivant dans la misère, partis pour mille et une raisons rejoindre Mayotte. Parce qu'un beau jour, la France décide d'imposer un visa d'entrée aux Comoriens des autres îles, délivré au compte-gouttes, pour échapper aux contrôles ils empruntent une voie qui se révèle de plus en plus périlleuse.
Plus de 16 000 morts depuis 1994. La plupart des bateaux de pêche, transformés en embarcations de voyage, échouent sur la barrière corallienne, transformant le bras de mer qui sépare la partie indépendante du pays de celle sous occupation française, Mayotte, en plus grand cimetière marin du monde.
De centaines d'autres bateaux ont échoué en mer, sans que personne ne le sache, parce que non signalés. Cette fois-ci, le drame a ému le monde entier, tous les journaux en parlent, reprennent en boucle les dépêches des agences. Es-ce à la faveur de l'élection du président français avant que l'actualité ne relègue au second plan l'information des kwasas. Avant que l'actualité du monde ne la déclasse.
De plus en plus, le silence que les Comores, le premier pays le plus concerné par ces drames à répétition, semblent s'être imposées sur ce sujet devient pesant. Qui faudra-t-il encore interpeller, pour qu'on en parle et pour que ces drames cessent? Les Comores ne décrètent ni deuil, n'élèvent ni protestation, même timide. On pouvait s'attendre à ce qu'un communiqué même usant du langage qu'on dit diplomatique, recourant au tact et à la délicatesse, soit publié. Rien.
En parcourant les rues de la capitale, on est ébahi par la file d'étudiants et d'enseignants à l'université, la frange, qui sous d'autres cieux, est la plus sensible aux droits de l'homme et aux questions nationales, qui attend tranquillement que passe le bus de ramassage. Les morts sont considérés comme des parias dont il vaut mieux ne pas parler. Cinq Comoriennes et Comoriens ont pourtant péri, quinze sont portés disparus dans l'accident survenu samedi près de Mayotte.
Parmi les cadavres, trois enfants dont un nourrisson ont été repêchés. Selon les premiers témoignages recueillis, le nombre des passagers s'élevait à quarante trois, dont quatre gosses. A Mayotte, l'administration française poursuit les pratiques qui violent les propres lois françaises. Dans sa lutte contre ce qu'elle appelle "lutte contre l'immigration clandestine", les contrôles quotidiens effectués par les forces de sécurité sur le territoire de Mayotte autorisent l'interpellation de près de huit mille Comoriens en un trimestre, expulsés vers l'île la plus proche de Mayotte, Anjouan.
On y décompte plus de 2.500 mineurs, qui n'ont pas fait l'objet d'arrêtés préfectoraux de reconduite et qui sont régulièrement expulsés, souvent avec des fausses identités. Paris le sait, Moroni est au courant. La loi française protège les enfants résidents, réguliers ou irréguliers, contre l'expulsion, mais pas à Mayotte.
Ici, ils sont interpellés, conduits au centre de rétention administrative et expulsés avec des accompagnateurs désignés de force, refoulés dans les mêmes conditions. On enregistre, ainsi entre quatre vingt et cent expulsions par jour vers Anjouan, des chiffres qui confortent les prévisions fixées par la politique de l'ex-président Sarkozy, qui se vantait des records d'expulsions de près de 7 % de la population totale de Mayotte.
Ces expulsions n'ont pas arrêté les échanges entre les îles, bien au contraire elles les ont amplifiées. Quel nombre de morts devrons-nous atteindre pour que la France accepte de se pencher sur ce litige territorial et ce sujet de décolonisation inachevée? Quel nombre de morts devrons-nous atteindre pour que les Comores prennent leur courage à deux mains, montent au créneau et dénoncent ce massacre de leurs citoyens?
Ahmed Ali Amir : alwatwan
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