Des lignes ouvertes en dépit du bon sens, une flotte d’avions coûteuse et surdimensionnée... Cette petite compagnie régionale a succombé à l...
Des lignes ouvertes en dépit du bon sens, une flotte d’avions coûteuse et surdimensionnée... Cette petite compagnie régionale a succombé à la folie des grandeurs. Son patron, Gérard Ethève, vient de démissionner. Nous l’avions rencontré en février dernier.
A l’écouter, c’était le coup du siècle. En février, Gérard Ethève, 82 ans, nous recevait dans son bureau, avec vue sur le tarmac de l’aéroport de Saint-Denis, à la Réunion.
Le patron d’Air Austral nous racontait comment il avait commandé deux A 380 – le plus gros avion au monde - avec une idée révolutionnaire : doubler le nombre de sièges à bord pour en faire des bétaillères low-cost. A l’époque, la nouvelle a suscité des ricanements incrédules.
Pour les faire taire, notre homme a convaincu Airbus de lui envoyer un appareil en démonstration, le temps d’une journée. La livraison de son premier charter géant était prévue en 2014. «On me prend pour un original, commentait l’octogénaire avec une pointe d’accent créole. Mais bientôt on me piquera mon idée !»
Las… Le patron vient de démissionner et il ne reverra jamais son A 380. La compagnie n’a de toute façon plus de quoi se payer un seul réacteur de l’avion. Et elle ne devrait pas revoir la couleur des 15 millions d’euros d’acompte – non remboursables – qu’elle a déjà versés.
Pour l’exercice 2011-2012, Air Austral s’attend à une perte d’au moins 30 millions d’euros, pour 400 de chiffre d’affaires. Lourdement endettée, elle a besoin d’au moins 40 millions d’euros pour tenir jusqu’à la fin de l’année. Si bien que son principal actionnaire, la société d’économie mixte Sematra (46,6% du capital), détenue en majorité par la région et le département, a injecté 18,6 millions d’euros en février, au risque de se faire rabrouer par l’Europe.
Sur l’île, secouée par de violentes émeutes contre le coût de la vie, ce chèque est mal passé. «Ce n’est pas énorme au regard des 2 milliards que je vais dépenser pour construire des routes», nous explique le président du conseil régional, Didier Robert. Vu comme ça…
Dans l’esprit des fondateurs de la compagnie – elle a été créée en 1991 grâce à des capitaux apportés par Air France, des collectivités locales et Gérard Ethève, à sa tête dès le départ – Air Austral avait une vocation purement régionale, relier l’île au reste de l’océan Indien : Mayotte, Madagascar, Maurice... Mais le patron a vite eu l’ambition de faire du long-courrier. En 2003, il profite de la faillite d’Air Liberté pour reprendre ses créneaux vers la métropole et devient ainsi un concurrent direct d’Air France.
Celle-ci se retire du capital deux ans plus tard. Et, en quelques années, la société réunionnaise réussit à doubler son ex-allié sur les trajets vers l’Hexagone, en atteignant 40% de part de marché. Le service y est impeccable, notamment pour les classes club et confort, l’équivalent des business et premium. Quant aux tarifs, ils sont très proches de ceux d’Air France. «Le problème, c’est que Gérard Ethève a eu les yeux plus gros que le ventre», analyse un concurrent.
Galvanisé, le DG s’est, en effet, lancé dans une politique d’ouverture de lignes hasardeuse. En 2009, il inaugure ainsi un Paris-La Réunion-Sydney-Nouméa. L’idée est de proposer une alternative aux passagers voulant relier la capitale calédonienne, et qui transitent normalement par l’Asie. Trois ans plus tard, l’échec est cuisant : 43% des sièges restent vides, ce qui fait perdre 10 millions d’euros par an à Air Austral. Il faut dire que son plan de vol rallonge de quatre heures un trajet qui dure déjà une journée... Qu’à cela ne tienne, Gérard Ethève récidive, quelques mois plus tard, en ouvrant deux liaisons par semaine vers Bangkok. Avec des résultats tout aussi calamiteux (5 à 7 millions d’euros de déficit par an). «Il n’y a pas eu une seule étude de marché pour déterminer si ces routes avaient des chances d’être rentables, accuse le pilote Aimé Couquet, délégué CFDT. C’est la stratégie du doigt mouillé !»
Le patron était pourtant si sûr de son coup qu’il a investi massivement dans la rénovation de sa flotte. Air Austral a ainsi remplacé les deux tiers de ses appareils (11 au total) par des avions flambant neufs : quatre Boeing 777 (360 à 440 sièges), deux B737 (160 passagers)... «Se tourner vers des appareils d’occasion aurait été plus prudent», analyse un spécialiste du secteur. Pis, certains de ces avions sont inadaptés.
Exemple à Mayotte. Jusqu’ici, personne n’a jamais réussi à relier cette petite île à Paris sans escale. La piste est en effet trop courte (moins de 2 kilomètres) pour y faire décoller un avion suffisamment chargé en carburant. Le patron d’Air Austral croyait avoir trouvé la solution avec le B777 «long-range», une version capable de s’envoler à pleine charge sur ce genre de piste. Il s’en est donc offert deux exemplaires, à 150 millions d’euros pièce (25% de plus que le modèle de base). Mais six mois après la livraison du premier, son Mayotte-Paris n’est toujours pas ouvert... Le prix du carburant est si élevé dans ce petit territoire français (45% de plus qu’à La Réunion) que la ligne n’a aucune perspective de rentabilité.
Un pilote dit avoir été obligé de décoller un jour de cyclone
A 82 ans, Gérard Ethève continuait de régner en maître. Le boss s’est entouré d’une équipe dirigeante mêlant amis, responsables politiques, voire membres de sa famille (sa fille, Geneviève Graulich, travaille à la direction marketing), sans grande référence dans le business. En 2003, un rapport d’audit de KPMG dénonçait déjà l’absence de «contre-pouvoirs». Aujourd’hui, plusieurs salariés nous décrivent un homme qui exerce un pouvoir absolu, un «tyran», «incapable de déléguer». En août, son ex- responsable de la communication, Béatrice Faggion, a obtenu sa condamnation pour «harcèlement moral» à 15 000 euros d’amende. Le directeur général fait l’objet de trois autres plaintes. «Je ne suis pas un ogre, le climat social ici est excellent», se défend-il.
Plus embarrassant, le 1er mars, la compagnie a été condamnée pour procédure abusive à l’encontre d’un pilote, David Rocher, qu’elle accusait de dénonciation calomnieuse. Ce dernier affirme qu’en 2007 Gérard Ethève l’a obligé à décoller en plein cyclone, alors que toutes les autres compagnies avaient annulé leurs vols. Accrochez vos ceintures...
L’étoile du doyen de l’aérien n’a longtemps pas pâli du côté des politiques. Il a ainsi bénéficié du soutien sans faille de ses amis Pierre Lagourgue et Paul Vergès, présidents successifs de la région et à ce titre du conseil de surveillance d’Air Austral. C’est ainsi que Gérard Ethève a pu faire repousser, à plusieurs reprises, la limite d’âge, jusqu’à... 99 ans ! Elu en mars 2010, le nouveau président (UMP) de La Réunion, Didier Robert, a juré de remettre de l’ordre. Mais sa stratégie reste floue. Alors que le DG avait consenti à fermer les lignes déficitaires vers l’Asie et l’Océanie, c’est Didier Robert lui-même qui a demandé à les maintenir. «Air Austral a une mission d’intérêt général, qui consiste notamment à ouvrir La Réunion sur le monde», assure-t-il.
De notre envoyée spéciale à La Réunion, Emmanuelle Andreani
Source : capital.fr
A l’écouter, c’était le coup du siècle. En février, Gérard Ethève, 82 ans, nous recevait dans son bureau, avec vue sur le tarmac de l’aéroport de Saint-Denis, à la Réunion.
Le patron d’Air Austral nous racontait comment il avait commandé deux A 380 – le plus gros avion au monde - avec une idée révolutionnaire : doubler le nombre de sièges à bord pour en faire des bétaillères low-cost. A l’époque, la nouvelle a suscité des ricanements incrédules.
Pour les faire taire, notre homme a convaincu Airbus de lui envoyer un appareil en démonstration, le temps d’une journée. La livraison de son premier charter géant était prévue en 2014. «On me prend pour un original, commentait l’octogénaire avec une pointe d’accent créole. Mais bientôt on me piquera mon idée !»
Las… Le patron vient de démissionner et il ne reverra jamais son A 380. La compagnie n’a de toute façon plus de quoi se payer un seul réacteur de l’avion. Et elle ne devrait pas revoir la couleur des 15 millions d’euros d’acompte – non remboursables – qu’elle a déjà versés.
Pour l’exercice 2011-2012, Air Austral s’attend à une perte d’au moins 30 millions d’euros, pour 400 de chiffre d’affaires. Lourdement endettée, elle a besoin d’au moins 40 millions d’euros pour tenir jusqu’à la fin de l’année. Si bien que son principal actionnaire, la société d’économie mixte Sematra (46,6% du capital), détenue en majorité par la région et le département, a injecté 18,6 millions d’euros en février, au risque de se faire rabrouer par l’Europe.
Sur l’île, secouée par de violentes émeutes contre le coût de la vie, ce chèque est mal passé. «Ce n’est pas énorme au regard des 2 milliards que je vais dépenser pour construire des routes», nous explique le président du conseil régional, Didier Robert. Vu comme ça…
Dans l’esprit des fondateurs de la compagnie – elle a été créée en 1991 grâce à des capitaux apportés par Air France, des collectivités locales et Gérard Ethève, à sa tête dès le départ – Air Austral avait une vocation purement régionale, relier l’île au reste de l’océan Indien : Mayotte, Madagascar, Maurice... Mais le patron a vite eu l’ambition de faire du long-courrier. En 2003, il profite de la faillite d’Air Liberté pour reprendre ses créneaux vers la métropole et devient ainsi un concurrent direct d’Air France.
Celle-ci se retire du capital deux ans plus tard. Et, en quelques années, la société réunionnaise réussit à doubler son ex-allié sur les trajets vers l’Hexagone, en atteignant 40% de part de marché. Le service y est impeccable, notamment pour les classes club et confort, l’équivalent des business et premium. Quant aux tarifs, ils sont très proches de ceux d’Air France. «Le problème, c’est que Gérard Ethève a eu les yeux plus gros que le ventre», analyse un concurrent.
Galvanisé, le DG s’est, en effet, lancé dans une politique d’ouverture de lignes hasardeuse. En 2009, il inaugure ainsi un Paris-La Réunion-Sydney-Nouméa. L’idée est de proposer une alternative aux passagers voulant relier la capitale calédonienne, et qui transitent normalement par l’Asie. Trois ans plus tard, l’échec est cuisant : 43% des sièges restent vides, ce qui fait perdre 10 millions d’euros par an à Air Austral. Il faut dire que son plan de vol rallonge de quatre heures un trajet qui dure déjà une journée... Qu’à cela ne tienne, Gérard Ethève récidive, quelques mois plus tard, en ouvrant deux liaisons par semaine vers Bangkok. Avec des résultats tout aussi calamiteux (5 à 7 millions d’euros de déficit par an). «Il n’y a pas eu une seule étude de marché pour déterminer si ces routes avaient des chances d’être rentables, accuse le pilote Aimé Couquet, délégué CFDT. C’est la stratégie du doigt mouillé !»
Le patron était pourtant si sûr de son coup qu’il a investi massivement dans la rénovation de sa flotte. Air Austral a ainsi remplacé les deux tiers de ses appareils (11 au total) par des avions flambant neufs : quatre Boeing 777 (360 à 440 sièges), deux B737 (160 passagers)... «Se tourner vers des appareils d’occasion aurait été plus prudent», analyse un spécialiste du secteur. Pis, certains de ces avions sont inadaptés.
Exemple à Mayotte. Jusqu’ici, personne n’a jamais réussi à relier cette petite île à Paris sans escale. La piste est en effet trop courte (moins de 2 kilomètres) pour y faire décoller un avion suffisamment chargé en carburant. Le patron d’Air Austral croyait avoir trouvé la solution avec le B777 «long-range», une version capable de s’envoler à pleine charge sur ce genre de piste. Il s’en est donc offert deux exemplaires, à 150 millions d’euros pièce (25% de plus que le modèle de base). Mais six mois après la livraison du premier, son Mayotte-Paris n’est toujours pas ouvert... Le prix du carburant est si élevé dans ce petit territoire français (45% de plus qu’à La Réunion) que la ligne n’a aucune perspective de rentabilité.
Un pilote dit avoir été obligé de décoller un jour de cyclone
A 82 ans, Gérard Ethève continuait de régner en maître. Le boss s’est entouré d’une équipe dirigeante mêlant amis, responsables politiques, voire membres de sa famille (sa fille, Geneviève Graulich, travaille à la direction marketing), sans grande référence dans le business. En 2003, un rapport d’audit de KPMG dénonçait déjà l’absence de «contre-pouvoirs». Aujourd’hui, plusieurs salariés nous décrivent un homme qui exerce un pouvoir absolu, un «tyran», «incapable de déléguer». En août, son ex- responsable de la communication, Béatrice Faggion, a obtenu sa condamnation pour «harcèlement moral» à 15 000 euros d’amende. Le directeur général fait l’objet de trois autres plaintes. «Je ne suis pas un ogre, le climat social ici est excellent», se défend-il.
Plus embarrassant, le 1er mars, la compagnie a été condamnée pour procédure abusive à l’encontre d’un pilote, David Rocher, qu’elle accusait de dénonciation calomnieuse. Ce dernier affirme qu’en 2007 Gérard Ethève l’a obligé à décoller en plein cyclone, alors que toutes les autres compagnies avaient annulé leurs vols. Accrochez vos ceintures...
L’étoile du doyen de l’aérien n’a longtemps pas pâli du côté des politiques. Il a ainsi bénéficié du soutien sans faille de ses amis Pierre Lagourgue et Paul Vergès, présidents successifs de la région et à ce titre du conseil de surveillance d’Air Austral. C’est ainsi que Gérard Ethève a pu faire repousser, à plusieurs reprises, la limite d’âge, jusqu’à... 99 ans ! Elu en mars 2010, le nouveau président (UMP) de La Réunion, Didier Robert, a juré de remettre de l’ordre. Mais sa stratégie reste floue. Alors que le DG avait consenti à fermer les lignes déficitaires vers l’Asie et l’Océanie, c’est Didier Robert lui-même qui a demandé à les maintenir. «Air Austral a une mission d’intérêt général, qui consiste notamment à ouvrir La Réunion sur le monde», assure-t-il.
De notre envoyée spéciale à La Réunion, Emmanuelle Andreani
Source : capital.fr
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