L’installation du droit commun, avec l’arrivée du Tribunal de Grande Instance au 1er avril 2011 conjuguée avec la montée de la délinquance,...
L’installation du droit commun, avec l’arrivée du Tribunal de Grande Instance au 1er avril 2011 conjuguée avec la montée de la délinquance, a incité l’Etat à mettre des moyens en hommes. Mais pour le procureur Philippe Faisandier, qui accueillait jeudi dernier la nouvelle présidente du Tribunal de Grande Instance, tout reste à faire en terme de prévention et de réinsertion sans lesquelles la répression n’est rien.
Kawéni lors des émeutes: une heure après cette photo, un cocktail molotov était lancé sur les voitures de Police par de très jeunes enfants © A.L./Malango |
Accroissement de 67% des poursuites en correctionnelle en un an, de 48% du nombre de mineurs devant le juge des enfants (chiffres 2011 TGI)… juges et avocats sont sollicités en ce début d’année 2012. D’ailleurs, le vice-président et doyen Alain Mancini rappelait « les charmes du lagon mais aux réalités humaines, sociales et juridiques souvent non décrites dans les dépliants des agences touristiques ».
Lui et le procureur Philippe Faisandier accueillaient la nouvelle présidente Marie-Laure Piazza, son prédécesseur n’ayant exercé que quelques mois à Mayotte, l’ambiance délétère qui régnait alors ayant eu raison de sa ténacité, « sans que cela signifie que le cuir d’un procureur toujours en place (présent depuis 2 ans à Mayotte, ndlr) soit plus résistant que celui d’un président » glissait dans un sourire Philippe Faisandier.
Rappelant que « 2011 s’était achevée dans un tumulte qui a amené davantage d’interrogations que de réponses rassurantes », le procureur axait son discours de rentrée sur l’accroissement de la délinquance, surtout celle des mineurs, « accompagnée d’une hausse de réponses pénales de 22% ». A noter le passage des « caillasseurs » devant la justice puisque 30 d’entre eux ont été condamnés, « jugements rendus possibles par la volonté des membres du Tribunal qui ont bravé les barrages ».
Alain Mancini a siégé 4 ans comme président du tribunal correctionnel
La répression a ses limites
Troubles liés « à la pleine mutation de Mayotte », mais qui ont provoqué « une montée de la violence et de la délinquance des jeunes, avec des agressions à l’arme blanche, des affaires de rackets de la part de gamins âgés de 12 à 13 ans, parfois isolés, mais surtout échappant au contrôle de parents dépassés, abdiquant ». Et, rappelant, comme un écho à l’interview du capitaine Chamassi (voir Malango « Montée de la délinquance, c’est notre affaire à tous »), que tous les acteurs sont concernés par une action commune « justice, Etat, éducation nationales, élus des collectivités locales, Conseil général, monde associatif » ce qui supposera de la part de l’Etat et des collectivités, le vote de budget sans quoi « nos lendemains seront douloureux ».
A noter qu’il n’y a toujours pas eu de réunion de débriefing en petit comité pour éviter de recommencer les mêmes erreurs lors d’éventuelles émeutes à venir.
On pouvait regretter l’absence à cette rentrée solennelle de représentants du Conseil général, et de la Police, ainsi que des grosses structures associatives. Car Philippe Faisandier poursuivait, « la répression a ses limites, j’en veux pour preuve les 14 mineurs incarcérés à Majicavo pour une capacité de 6 places de détention ». Partout on entend parler d’impunité alors que les sanctions pénales n’ont jamais été aussi sévères, il y a donc un paradoxe : « à ne pas suffisamment travailler ensemble à la prévention de la délinquance des mineurs nous faisons fausse route et allons droit dans le mur ! ». Et de décliner les insuffisances en matière de postes d’éducateurs agréés, de familles d’accueil et de foyers d’accueil, « il n’existe aujourd’hui qu’un seul foyer pour 7 places, alors que nous avons la population la plus jeune de toute la République ! »
Le procureur a d’ailleurs écrit au président du Conseil général en décembre pour lui faire part « de la faiblesse des moyens alloués à l’Aide Sociale à l’Enfance qui ne permet pas à ce service de remplir correctement sa mission ». Il se déclarait toujours en attente de la réponse de Daniel Zaïdani.
La mise en place d’une Police de proximité ou autres volontaires civiques serait à ce titre la bienvenue, pour entamer un dialogue vital avec ces très jeunes enfants et leurs aînés dans les quartiers… avant que la violence ne dégénère encore et qu’on ait recours à un usage massif de la force, qui ne ferait qu’exacerber le sentiment communautaire. Ce serait un échec dans une île à la population adulte encore paisible.
Pour Philippe Faisandier une mobilisation sur l'enfance en danger est indispensable en 2012
« Une juge au parcours pluriel »
Autre prérogative du tribunal, au début du mois d’avril 2011, la Commission de Révision d’Etat Civil qui n’avait pas terminé ses travaux, a subi un coup d’accélérateur « grâce au travail des magistrats, et notamment d’Yves Dupas » soulignait Philippe Faisandier, avant de céder la parole à Marie-Laure Piazza. A noter que, pendant son discours-réquisitoire, le bâtonnier Emmanuel Pertusa quittait ostensiblement la salle, après avoir constaté qu’il n’avait aucune place réservée : « je ne peux dire si c’est intentionnel ou pas » expliquait-il furieux. De ce fait, difficile de savoir si c’est en raison de ses ennuis judiciaires bien que nous lui ayons posé la question (voir Malango 4 juillet). Selon Philippe Faisandier que nous avons également interrogé sur la question, Me Pertusa était bien invité avec un siège réservé. Si indélicatesse il y a eu, elle est à mettre sans doute au crédit de la mauvaise préparation de cette rentrée solennelle (la presse s’est quasiment invitée le jour même).
Ayant exercé au parquet de plusieurs juridictions, la nouvelle présidente Marie-Laure Piazza glissait que le statut du ministère public en débat (*) devra nécessairement évoluer, avant de détailler son parcours : juge des enfants, « fonction la plus difficile mais aussi la plus passionnante humainement », présidente du tribunal de commerce de Cayenne pendant 3 ans, et présidente de la Cour d’Assise de haute Corse. Elle animait le pôle pénal de Toulon lorsqu’elle a été appelée à Mayotte.
La toute nouvelle présidente Marie-Laure Piazza s'est donné un programme ambitieux
« Revoir l’organisation des audiences, la façon dont l’Aide juridictionnelle est attribuée, le mode et le traitement des procédures » mais aussi « amener une réflexion collective sur la qualité des décisions prises » avec à la clef « la garantie des libertés et le respect de l’ordre public, car si le juge n’est pas au service de l’Etat, la justice est au cœur de l’Etat », font partie de l’approche de la juge. Marie-Laure Piazza demandait enfin une plus grande ouverture vers l’extérieur à l’image des Centres d’accès au droit : « l’institution judiciaire doit sortir de son isolement ». En résumé, « un TGI ne se décrète pas, il se construit avec le temps… un challenge passionnant à relever » selon la nouvelle présidente.
A.L.
(*) La Cour européenne des droits de l’homme avait remis en cause la proximité des procureurs avec le pouvoir politique : ils sont nommés par le ministère de la Justice. La Conférence nationale des procureurs a demandé une réforme du statut.
Source:malango actualité
COMMENTAIRES