DR J oëlle Toledano est économiste, professeure des Universités à Supélec et ex-membre de l'Arcep, le régulateur des télécoms. Elle con...
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Joëlle Toledano est économiste, professeure des Universités à Supélec et ex-membre de l'Arcep, le régulateur des télécoms. Elle considère que l'arrivée de Free va modifier lourdement le paysage de l'offre mobile en France, notamment sur l'équilibre économique entre la voix et les données. Entretien.
On accuse Free de ne pas avoir allumé ses antennes. De passer tout son trafic sur le réseau d'Orange qu'il loue en complément du sien ?
C'est un faux problème ! Envisager que Free puisse avoir une activité pérenne et rentable en utilisant le seul réseau d'Orange est invraisemblable quel que soit le point de vue qu'on adopte, celui de Free comme celui d'Orange. On ne voit pas bien comment ça pourrait être leur intérêt. La question de fond posée par la tarification de Free est qu'elle remet très profondément en cause le modèle économique de la téléphonie mobile. En fait Free ne fait qu'anticiper de façon brutale un mouvement de fond qui est attendu. Le prix de la voix va fortement baisser et les offres de communications illimitées vont se généraliser.
C'est un faux problème ! Envisager que Free puisse avoir une activité pérenne et rentable en utilisant le seul réseau d'Orange est invraisemblable quel que soit le point de vue qu'on adopte, celui de Free comme celui d'Orange. On ne voit pas bien comment ça pourrait être leur intérêt. La question de fond posée par la tarification de Free est qu'elle remet très profondément en cause le modèle économique de la téléphonie mobile. En fait Free ne fait qu'anticiper de façon brutale un mouvement de fond qui est attendu. Le prix de la voix va fortement baisser et les offres de communications illimitées vont se généraliser.
Ces baisses devraient être compensées par la consommation de données (la consommation d'images, de sons et l'internet mobile), mais jusqu'à quel point et à quelle vitesse, c'est le vrai sujet. Il y a un graphique dans un rapport d'Ericsson (Traffic and data market report - Nov 2011 (pdf)) qui montre très bien cela. L'explication de l'offre de Free se trouve dans ces chiffres : fin 2009, le trafic des données dans les réseaux mobiles dans le monde a dépassé celui de la voix. Fin 2011, il était deux fois plus important. Et on prévoit qu'en 2015-2016, la voix pèsera dans les tuyaux moins de 10 % du trafic, non pas qu'elle diminue en valeur absolue, mais la croissance de la consommation d'images et de vidéo fait presque doubler les volumes tous les ans.
Les opérateurs mobiles classiques vont se retrouver en difficulté ?
Quand on regarde leurs chiffres d'affaires, on constate qu'il est pour les deux tiers assis sur la voix. Et pour un tiers sur les données. Le rééquilibrage des recettes, pour un opérateur qui a des millions de clients en voix est évidemment compliqué. En revanche, Free Mobile, qui se lance sur le marché s'inscrit d'emblée dans ce mouvement où la voix ne coûtera plus grand chose, c'est-à-dire dans le monde de demain. Parler de tarif low-cost pour la voix ou le SMS à propos de Free Mobile, n'a pas de sens. Ce qu'il faut retenir dans son offre, c'est 3 Go de données pour 20 euros par mois.
Quand on regarde leurs chiffres d'affaires, on constate qu'il est pour les deux tiers assis sur la voix. Et pour un tiers sur les données. Le rééquilibrage des recettes, pour un opérateur qui a des millions de clients en voix est évidemment compliqué. En revanche, Free Mobile, qui se lance sur le marché s'inscrit d'emblée dans ce mouvement où la voix ne coûtera plus grand chose, c'est-à-dire dans le monde de demain. Parler de tarif low-cost pour la voix ou le SMS à propos de Free Mobile, n'a pas de sens. Ce qu'il faut retenir dans son offre, c'est 3 Go de données pour 20 euros par mois.
Il va falloir qu'il construise vite son réseau ?
C'est par la technologie mise en œuvre et la qualité des services dans son réseau qu'il devra se distinguer. L'an dernier, à force de tarder à lancer sur le marché sa nouvelle Box, la Freebox Révolution, Free a reculé en part de marché dans le fixe. Il ne pouvait tenir le choc avec une box vieillie. Il a intérêt à aller très vite sur le mobile. S'il n'a pas un réseau qui marche, son pari, qui est d'abord technique, ne réussira pas. Les consommateurs de données veulent un réseau rapide et de bonne qualité, sinon ils partiront.
C'est par la technologie mise en œuvre et la qualité des services dans son réseau qu'il devra se distinguer. L'an dernier, à force de tarder à lancer sur le marché sa nouvelle Box, la Freebox Révolution, Free a reculé en part de marché dans le fixe. Il ne pouvait tenir le choc avec une box vieillie. Il a intérêt à aller très vite sur le mobile. S'il n'a pas un réseau qui marche, son pari, qui est d'abord technique, ne réussira pas. Les consommateurs de données veulent un réseau rapide et de bonne qualité, sinon ils partiront.
Est-ce que c'est tenable pour Free de faire cadeau de la voix et d'avoir autant d'avance ?
Iliad (ndlr, la maison-mère de Free) et Xavier Niel son fondateur, pour ce qu'on en a vu jusqu'à présent, n'a jamais fait dans la philanthropie. Il s'est fixé d'ailleurs une limite de trois millions de clients pour faire le point. Tant que son réseau est vide il a de toutes façons intérêt à avoir des clients pour couvrir une partie de ses coûts fixes. Pour ses concurrents, la partie est également difficile : Free, avec son offre dépouillée, pousse ses concurrents à séparer les prestations, en facturant la voix et la data d'un côté, et le mobile de l'autre. Nous voyons également apparaître des différences significatives dans les prix selon le mode de distribution (en ligne ou dans des réseaux de distribution physiques).
Iliad (ndlr, la maison-mère de Free) et Xavier Niel son fondateur, pour ce qu'on en a vu jusqu'à présent, n'a jamais fait dans la philanthropie. Il s'est fixé d'ailleurs une limite de trois millions de clients pour faire le point. Tant que son réseau est vide il a de toutes façons intérêt à avoir des clients pour couvrir une partie de ses coûts fixes. Pour ses concurrents, la partie est également difficile : Free, avec son offre dépouillée, pousse ses concurrents à séparer les prestations, en facturant la voix et la data d'un côté, et le mobile de l'autre. Nous voyons également apparaître des différences significatives dans les prix selon le mode de distribution (en ligne ou dans des réseaux de distribution physiques).
Justement, l'acquisition du mobile n'est-il pas le point faible de l'offre de Free ?
Actuellement les clients de Free arrivent avec les terminaux acquis auprès des autres opérateurs. A terme, le problème de l'acquisition du terminal va se poser de façon nouvelle. Tant pour Free que pour ses concurrents. Jusqu'à présent le consommateur paie tout à la fois, terminal fréquemment renouvelé, voix, SMS, données, sans qu'il puisse faire le tri dans ce qu'on lui fait payer. Si l'on va vers un modèle où la voix pèse de moins en moins dans les recettes, il faut que la transmission de données mobile se développe encore plus vite pour compenser la perte de revenus. Tout le monde doit être doté de smartphones. Or, les opérateurs actuels ont un parc important d'abonnés qui ne consomment que de la voix. Et plus de la moitié des terminaux n'a pas accès à la 3G (haut débit mobile). Comment va-t-on réussir à les amener vers d'autres modes de consommation si on arrête de « subventionner » massivement les terminaux ? Source:écran.fr
Actuellement les clients de Free arrivent avec les terminaux acquis auprès des autres opérateurs. A terme, le problème de l'acquisition du terminal va se poser de façon nouvelle. Tant pour Free que pour ses concurrents. Jusqu'à présent le consommateur paie tout à la fois, terminal fréquemment renouvelé, voix, SMS, données, sans qu'il puisse faire le tri dans ce qu'on lui fait payer. Si l'on va vers un modèle où la voix pèse de moins en moins dans les recettes, il faut que la transmission de données mobile se développe encore plus vite pour compenser la perte de revenus. Tout le monde doit être doté de smartphones. Or, les opérateurs actuels ont un parc important d'abonnés qui ne consomment que de la voix. Et plus de la moitié des terminaux n'a pas accès à la 3G (haut débit mobile). Comment va-t-on réussir à les amener vers d'autres modes de consommation si on arrête de « subventionner » massivement les terminaux ? Source:écran.fr
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