Enquête Après l’overdose d’une lycéenne, des aveux d’indics ont entraîné des mises en examen parmi les forces de l’ordre pour trafic de st...
Enquête
Après l’overdose d’une lycéenne, des aveux d’indics ont entraîné des mises en examen parmi les forces de l’ordre pour trafic de stupéfiants.
Le 14 janvier au soir, Mathias B., un Mzungu (un «Blanc») déjà condamné à trois ans de prison pour trafic de stupéfiants dans un passé proche, sniffe chez lui de la poudre avec Roukia, sa petite amie, une gamine paumée de 18 ans. La jeune lycéenne ne s’en relèvera pas. Il prétend ne pas savoir que ce qu’ils consomment, ce soir-là, n’est pas de la cocaïne comme d’habitude, mais de l’héroïne. Il n’a donc aucune chance d’anticiper l’émoi que sa mort soulèvera au sein de la société mahoraise, pas plus que la tempête juridico-policière qu’elle entraînera. Une tempête comme jamais l’île de Mayotte, officiellement devenue le 101e département français le 31 mars, n’en avait connu.
Mercredi dernier, deux gendarmes et un policier, tous trois membres du groupement d’intervention régional (GIR) - une structure créée dans l’île en 2008 pour lutter contre les trafics en tous genres et qui regroupe policiers, gendarmes, douaniers, agents fiscaux -, ont été mis en examen pour «transport, cession, usage et détention de stupéfiants». Deux d’entre eux ont également été mis en examen pour «homicide involontaire». Placés sous contrôle judiciaire, ils ont été suspendus de leurs fonctions.
Fuites. Ils sont soupçonnés d’avoir organisé sur l’île une partie du trafic de stupéfiants, dont serait issu l’héroïne qui aurait été fatale à Roukia. Leur «patron», le capitaine Gérard Gautier, a été placé sous le statut de témoin assisté par le juge d’instruction, Hakim Karki. Pour l’heure, ce dernier résiste aux pressions du parquet, lequel s’opposait à ces mises en examen et a demandé le dépaysement de l’affaire. D’abord réticent, le procureur, Philippe Faisandier, s’y est résolu. Trop de fuites dans la presse. Trop d’intimité entre les différents protagonistes : le magistrat instructeur a longtemps travaillé avec les mis en cause, et son principal enquêteur en charge de la section de recherches (SR) de Mayotte, le lieutenant Michel Alise, muté récemment, était un ami du capitaine Gautier. Trop d’incertitudes enfin, concernant un juge réputé incontrôlable.
«Impunité». Accueilli comme le messie lors de son arrivée à Mayotte il y a un an, Hakim Karki s’est mis une bonne partie de ses confrères à dos depuis. «C’est un gros travailleur», constate l’un d’eux. «Lorsqu’il est arrivé, le cabinet d’instruction était sinistré. Il l’a remis d’aplomb. Mais il passe aujourd’hui pour un justicier qui tire sur tout ce qui bouge.» A son palmarès des mis en cause ces derniers mois : des policiers accusés de violences, un armateur qui a l’oreille des puissants, le maire (UMP) du chef-lieu, Mamoudzou, des fonctionnaires de la préfecture soupçonnés d’avoir trempé dans un trafic de faux papiers… «On est passé d’un excès, l’impunité totale pour les puissants, à un autre, zéro tolérance», estime un avocat de Mamoudzou.
Sous sa coupe, l’affaire Roukia est devenue celle du GIR. Au début pourtant, les gendarmes de la section de recherches n’avançaient pas. Après avoir découvert le corps de Roukia à moitié enfoui dans les environs de Trévani, au nord de Mamoudzou, couvert d’hématomes, ils ont d’abord cru à un meurtre. Premier émoi à Mayotte, où les crimes de sang sont extrêmement rares. Puis ils ont privilégié la piste de l’overdose. Nouvel émoi dans une île où il était impensable, pour la plupart des 200 000 habitants, qu’une Mahoraise consomme des drogues dites dures.
L’ami de Roukia, Mathias, le confirmera lors de son audition, les analyses aussi : le 14 janvier, la jeune fille a consommé de la poudre («pas beaucoup, deux petites traces», affirme-t-il) dans la maison de son ami. Elle ne s’est pas réveillée. Le lendemain, pris de panique, il a déplacé son corps pour faire croire à un meurtre. Mais cela n’a pas marché. Mathias était connu de la famille de Roukia. Il a donc été entendu et confondu. Au juge qui l’a mis en examen pour «homicide involontaire», il donne rapidement le nom de ses deux fournisseurs, Daniel M. et Saïd A.M. Deux Comoriens en situation irrégulière qui - le juge l’apprendra lors de leur audition - sont des «indics» immatriculés au GIR. On les appelle des «tontons». Des «tontons» bavards.
«Magnégné».Dans le bureau du juge, ils reconnaissent avoir fourni de la poudre à Mathias, certainement celle qui a tué Roukia. Mais cette poudre, assurent-ils, était auparavant passée entre les mains de plusieurs membres du GIR… Selon leur version, Daniel serait allé voir son contact au GIR, pour lui parler d’un fournisseur intéressé par l’envoi de poudre à Mayotte. «Qu’il en envoie une petite quantité. On doit la tester», lui aurait répondu le gendarme.
Quelques semaines plus tard, un autre de leur contact au GIR, «Daniel Papa», les aurait convoqués à la gendarmerie et leur aurait rendu la came. «C’est du magnégné», leur aurait-il dit - une expression courante dans l’île pour évoquer un travail bâclé.
La drogue remise «était dans une enveloppe de la gendarmerie», affirme Saïd - nom d’indic : Saha, surnom dans le milieu : «Palet» - devant le juge, le 21 juillet. Dans le PV d’audition dont Libération a pris connaissance, il ajoute : «On m’a dit que c’était de la cocaïne.»
«Saha», indic du GIR depuis 2009 après avoir informé la BAC trois ans durant, est connu dans le petit monde des stups comme un sacré veinard, lui qui n’a jamais été inquiété. Il avoue, lors de cette audition, n’y rien connaître aux drogues dures. Son truc, c’est l’herbe. Mais il certifie que la blanche vendue à Mathias était celle de l’enveloppe.
A en croire les indics, si ce n’était la mort de la jeune fille, il n’y avait là rien d’exceptionnel. Habituellement, «le boss me donne […] juste pour revendre et de quoi vivre», assure «Saha» au juge le 21 juillet. Sur quatre opérations, «Saha» dit n’avoir été payé qu’une fois (500 euros). Le reste du temps, la carotte avait la forme d’un simple papier : un titre de séjour. Un autre informateur du GIR joint par Libération, qui a exigé l’anonymat, confirme : «On est tous dans ce cas. On fait ça pour des papiers. Mais ils ne font que des promesses. Ils nous donnent des récépissés, mais jamais le titre de séjour.»
Selon une source proche de l’instruction, le GIR compte 42 indics immatriculés. Tous sont des Comoriens en situation irrégulière. Tous se sont vu promettre des papiers. Lors d’une perquisition menée le 26 juillet à la préfecture, le juge Karki aurait retrouvé les titres de séjour de ces indics. La préfecture n’a pas réagi. Me Saïd Larifou, l’avocat de «Saha», a immédiatement dénoncé «un chantage odieux».
Ecoutes.Un magistrat anciennement en poste à Mayotte confirme : «Pour les non-délinquants, c’est effectivement ce que l’on promet. Il peut arriver qu’on rémunère en argent, comme la loi le permet, mais c’est rare.» Il relativise aussi : «Ce n’est pas propre à Mayotte. Partout, cela fonctionne ainsi.» Le problème, à en croire les indics, c’est que les pratiques du GIR ne s’arrêtaient pas là. Le 21 juillet, le juge Karki interroge «Saha» : « Etait-il courant que le GIR fasse ramener [à Mayotte, ndlr] des produits stupéfiants ?» La réponse fuse : «Ah oui là c’est sûr.» Plus tôt dans l’interrogatoire : «Le GIR avait ses propres bateaux avec ses propres commandants. Si j’ai quelqu’un qui est à Anjouan qui a de la stup […], je vais parler au GIR et je lui [donne] toutes les informations et c’est le GIR qui organise tout ça.»
«Ils avaient leurs propres passeurs. C’est eux qui déterminaient la plage où ils devaient arriver. Quand ils arrivaient, le fournisseur était arrêté, mais pas les passeurs, qui repartaient», raconte l’indic à Libération. Des écoutes téléphoniques versées au dossier, dont Libération a eu connaissance, confirment ces assertions. L’une d’elles, du 10 mai, révèle une conversation entre un des gendarmes mis en examen et «Amed», un indic basé à Anjouan, dans le but d’importer plusieurs produits («du blanc, du chocolat et de l’herbe»).
La blanche est négociée à 2 100 euros le kilo, l’herbe à 250. «J’aime pas traiter au téléphone car aujourd’hui, c’est pas du tout facile […]. Je veux commencer doucement car c’est la première fois avec toi. Après, si ça marche et que ça arrive chez nous, et que c’est rentable, on fera des grosses affaires», explique le gendarme. Qui ajoute : «Si je fais une affaire avec quelqu’un, j’aimerais bien le rencontrer, mais pas sur terre. Je veux qu’on se rencontre au milieu de l’océan, c’est plus sûr.»
Plus tard, le gendarme indique qu’il va informer ses collègues. Selon un magistrat, «cela s’apparente à ce qu’on appelle "un coup d’achat" dans le jargon. La loi autorise des enquêteurs à acheter de la drogue pour mettre un pied dans les réseaux.» Pourtant, assure le défense des membres du GIR, «il n’y a pas de coup d’achat à Mayotte». «Il n’y en a pas besoin, affirme un ancien magistrat de Mayotte. Dans cette île, les stups rentrent en permanence [en provenance de Madagascar ou de la Tanzanie, ndlr] et on ne manque pas d’informations. Et puis, c’est très compliqué à mettre en place…»
Pourquoi, alors, les membres du GIR auraient-ils organisé un tel trafic ? Selon un magistrat anciennement en poste à Mayotte, la thèse de la prime aux résultats ne tient pas : «Le capitaine Gautier était à un mois de la retraite. Le risque n’en vaut pas la chandelle.» Le commandant du GIR, nommé à sa tête dès sa création, jouit d’une bonne réputation. La course aux résultats, alors ?
Lors du premier trimestre 2011, les saisies de stups auraient atteint le niveau de toute l’année 2010. Un des «tontons» rappelle que tous les membres du GIR ont eu des promotions - «tandis que nous, on reste sans travail, toujours dans la peur». Mais c’est normal, affirme un ancien magistrat de Mayotte : «Aujourd’hui, les stats concernant la lutte contre le trafic de drogue ne peuvent que s’améliorer. On est partis de zéro il y a cinq ans. On est encore dans une phase où le trafic progresse, et où les enquêtes progressent.»
Précarité. Les mis en cause récusent avec force, par la voix de leur avocate, Me Fatima Ousséni, être des «ripoux». Leurs soutiens parlent d’enjeux de pouvoir autour du GIR. Il y a aussi des cas de conscience : le chef de la section de recherches, Michel Alise, un ami du capitaine Gautier, a été chargé par le juge de le mettre sur écoutes…
Et le déballage d’indics est à prendre avec des pincettes : «Ce sont des sans-papiers. Ils sont dans une grande précarité. Ils se raccrochent à tout ce qu’ils peuvent», indique l’entourage des mis en cause. Qui évoque une possible guerre des polices et s’interroge sur ce juge, Hakim Karki, coauteur dans une autre vie d’un essai, Et Dieu créa l’Occident. La place de la religion dans la conceptualisation de la notion d’Occident. Et qui, lors de l’audition des gendarmes, a exigé une escorte policière armée et équipée de gilets pare-balles. «Même pour des détenus, on ne fait pas rentrer les escortes dans le bureau», souffle un magistrat éberlué par cette mise en scène
Source : Libération
Mercredi dernier, deux gendarmes et un policier, tous trois membres du groupement d’intervention régional (GIR) - une structure créée dans l’île en 2008 pour lutter contre les trafics en tous genres et qui regroupe policiers, gendarmes, douaniers, agents fiscaux -, ont été mis en examen pour «transport, cession, usage et détention de stupéfiants». Deux d’entre eux ont également été mis en examen pour «homicide involontaire». Placés sous contrôle judiciaire, ils ont été suspendus de leurs fonctions.
Fuites. Ils sont soupçonnés d’avoir organisé sur l’île une partie du trafic de stupéfiants, dont serait issu l’héroïne qui aurait été fatale à Roukia. Leur «patron», le capitaine Gérard Gautier, a été placé sous le statut de témoin assisté par le juge d’instruction, Hakim Karki. Pour l’heure, ce dernier résiste aux pressions du parquet, lequel s’opposait à ces mises en examen et a demandé le dépaysement de l’affaire. D’abord réticent, le procureur, Philippe Faisandier, s’y est résolu. Trop de fuites dans la presse. Trop d’intimité entre les différents protagonistes : le magistrat instructeur a longtemps travaillé avec les mis en cause, et son principal enquêteur en charge de la section de recherches (SR) de Mayotte, le lieutenant Michel Alise, muté récemment, était un ami du capitaine Gautier. Trop d’incertitudes enfin, concernant un juge réputé incontrôlable.
«Impunité». Accueilli comme le messie lors de son arrivée à Mayotte il y a un an, Hakim Karki s’est mis une bonne partie de ses confrères à dos depuis. «C’est un gros travailleur», constate l’un d’eux. «Lorsqu’il est arrivé, le cabinet d’instruction était sinistré. Il l’a remis d’aplomb. Mais il passe aujourd’hui pour un justicier qui tire sur tout ce qui bouge.» A son palmarès des mis en cause ces derniers mois : des policiers accusés de violences, un armateur qui a l’oreille des puissants, le maire (UMP) du chef-lieu, Mamoudzou, des fonctionnaires de la préfecture soupçonnés d’avoir trempé dans un trafic de faux papiers… «On est passé d’un excès, l’impunité totale pour les puissants, à un autre, zéro tolérance», estime un avocat de Mamoudzou.
Sous sa coupe, l’affaire Roukia est devenue celle du GIR. Au début pourtant, les gendarmes de la section de recherches n’avançaient pas. Après avoir découvert le corps de Roukia à moitié enfoui dans les environs de Trévani, au nord de Mamoudzou, couvert d’hématomes, ils ont d’abord cru à un meurtre. Premier émoi à Mayotte, où les crimes de sang sont extrêmement rares. Puis ils ont privilégié la piste de l’overdose. Nouvel émoi dans une île où il était impensable, pour la plupart des 200 000 habitants, qu’une Mahoraise consomme des drogues dites dures.
L’ami de Roukia, Mathias, le confirmera lors de son audition, les analyses aussi : le 14 janvier, la jeune fille a consommé de la poudre («pas beaucoup, deux petites traces», affirme-t-il) dans la maison de son ami. Elle ne s’est pas réveillée. Le lendemain, pris de panique, il a déplacé son corps pour faire croire à un meurtre. Mais cela n’a pas marché. Mathias était connu de la famille de Roukia. Il a donc été entendu et confondu. Au juge qui l’a mis en examen pour «homicide involontaire», il donne rapidement le nom de ses deux fournisseurs, Daniel M. et Saïd A.M. Deux Comoriens en situation irrégulière qui - le juge l’apprendra lors de leur audition - sont des «indics» immatriculés au GIR. On les appelle des «tontons». Des «tontons» bavards.
«Magnégné».Dans le bureau du juge, ils reconnaissent avoir fourni de la poudre à Mathias, certainement celle qui a tué Roukia. Mais cette poudre, assurent-ils, était auparavant passée entre les mains de plusieurs membres du GIR… Selon leur version, Daniel serait allé voir son contact au GIR, pour lui parler d’un fournisseur intéressé par l’envoi de poudre à Mayotte. «Qu’il en envoie une petite quantité. On doit la tester», lui aurait répondu le gendarme.
Quelques semaines plus tard, un autre de leur contact au GIR, «Daniel Papa», les aurait convoqués à la gendarmerie et leur aurait rendu la came. «C’est du magnégné», leur aurait-il dit - une expression courante dans l’île pour évoquer un travail bâclé.
La drogue remise «était dans une enveloppe de la gendarmerie», affirme Saïd - nom d’indic : Saha, surnom dans le milieu : «Palet» - devant le juge, le 21 juillet. Dans le PV d’audition dont Libération a pris connaissance, il ajoute : «On m’a dit que c’était de la cocaïne.»
«Saha», indic du GIR depuis 2009 après avoir informé la BAC trois ans durant, est connu dans le petit monde des stups comme un sacré veinard, lui qui n’a jamais été inquiété. Il avoue, lors de cette audition, n’y rien connaître aux drogues dures. Son truc, c’est l’herbe. Mais il certifie que la blanche vendue à Mathias était celle de l’enveloppe.
A en croire les indics, si ce n’était la mort de la jeune fille, il n’y avait là rien d’exceptionnel. Habituellement, «le boss me donne […] juste pour revendre et de quoi vivre», assure «Saha» au juge le 21 juillet. Sur quatre opérations, «Saha» dit n’avoir été payé qu’une fois (500 euros). Le reste du temps, la carotte avait la forme d’un simple papier : un titre de séjour. Un autre informateur du GIR joint par Libération, qui a exigé l’anonymat, confirme : «On est tous dans ce cas. On fait ça pour des papiers. Mais ils ne font que des promesses. Ils nous donnent des récépissés, mais jamais le titre de séjour.»
Selon une source proche de l’instruction, le GIR compte 42 indics immatriculés. Tous sont des Comoriens en situation irrégulière. Tous se sont vu promettre des papiers. Lors d’une perquisition menée le 26 juillet à la préfecture, le juge Karki aurait retrouvé les titres de séjour de ces indics. La préfecture n’a pas réagi. Me Saïd Larifou, l’avocat de «Saha», a immédiatement dénoncé «un chantage odieux».
Ecoutes.Un magistrat anciennement en poste à Mayotte confirme : «Pour les non-délinquants, c’est effectivement ce que l’on promet. Il peut arriver qu’on rémunère en argent, comme la loi le permet, mais c’est rare.» Il relativise aussi : «Ce n’est pas propre à Mayotte. Partout, cela fonctionne ainsi.» Le problème, à en croire les indics, c’est que les pratiques du GIR ne s’arrêtaient pas là. Le 21 juillet, le juge Karki interroge «Saha» : « Etait-il courant que le GIR fasse ramener [à Mayotte, ndlr] des produits stupéfiants ?» La réponse fuse : «Ah oui là c’est sûr.» Plus tôt dans l’interrogatoire : «Le GIR avait ses propres bateaux avec ses propres commandants. Si j’ai quelqu’un qui est à Anjouan qui a de la stup […], je vais parler au GIR et je lui [donne] toutes les informations et c’est le GIR qui organise tout ça.»
«Ils avaient leurs propres passeurs. C’est eux qui déterminaient la plage où ils devaient arriver. Quand ils arrivaient, le fournisseur était arrêté, mais pas les passeurs, qui repartaient», raconte l’indic à Libération. Des écoutes téléphoniques versées au dossier, dont Libération a eu connaissance, confirment ces assertions. L’une d’elles, du 10 mai, révèle une conversation entre un des gendarmes mis en examen et «Amed», un indic basé à Anjouan, dans le but d’importer plusieurs produits («du blanc, du chocolat et de l’herbe»).
La blanche est négociée à 2 100 euros le kilo, l’herbe à 250. «J’aime pas traiter au téléphone car aujourd’hui, c’est pas du tout facile […]. Je veux commencer doucement car c’est la première fois avec toi. Après, si ça marche et que ça arrive chez nous, et que c’est rentable, on fera des grosses affaires», explique le gendarme. Qui ajoute : «Si je fais une affaire avec quelqu’un, j’aimerais bien le rencontrer, mais pas sur terre. Je veux qu’on se rencontre au milieu de l’océan, c’est plus sûr.»
Plus tard, le gendarme indique qu’il va informer ses collègues. Selon un magistrat, «cela s’apparente à ce qu’on appelle "un coup d’achat" dans le jargon. La loi autorise des enquêteurs à acheter de la drogue pour mettre un pied dans les réseaux.» Pourtant, assure le défense des membres du GIR, «il n’y a pas de coup d’achat à Mayotte». «Il n’y en a pas besoin, affirme un ancien magistrat de Mayotte. Dans cette île, les stups rentrent en permanence [en provenance de Madagascar ou de la Tanzanie, ndlr] et on ne manque pas d’informations. Et puis, c’est très compliqué à mettre en place…»
Pourquoi, alors, les membres du GIR auraient-ils organisé un tel trafic ? Selon un magistrat anciennement en poste à Mayotte, la thèse de la prime aux résultats ne tient pas : «Le capitaine Gautier était à un mois de la retraite. Le risque n’en vaut pas la chandelle.» Le commandant du GIR, nommé à sa tête dès sa création, jouit d’une bonne réputation. La course aux résultats, alors ?
Lors du premier trimestre 2011, les saisies de stups auraient atteint le niveau de toute l’année 2010. Un des «tontons» rappelle que tous les membres du GIR ont eu des promotions - «tandis que nous, on reste sans travail, toujours dans la peur». Mais c’est normal, affirme un ancien magistrat de Mayotte : «Aujourd’hui, les stats concernant la lutte contre le trafic de drogue ne peuvent que s’améliorer. On est partis de zéro il y a cinq ans. On est encore dans une phase où le trafic progresse, et où les enquêtes progressent.»
Précarité. Les mis en cause récusent avec force, par la voix de leur avocate, Me Fatima Ousséni, être des «ripoux». Leurs soutiens parlent d’enjeux de pouvoir autour du GIR. Il y a aussi des cas de conscience : le chef de la section de recherches, Michel Alise, un ami du capitaine Gautier, a été chargé par le juge de le mettre sur écoutes…
Et le déballage d’indics est à prendre avec des pincettes : «Ce sont des sans-papiers. Ils sont dans une grande précarité. Ils se raccrochent à tout ce qu’ils peuvent», indique l’entourage des mis en cause. Qui évoque une possible guerre des polices et s’interroge sur ce juge, Hakim Karki, coauteur dans une autre vie d’un essai, Et Dieu créa l’Occident. La place de la religion dans la conceptualisation de la notion d’Occident. Et qui, lors de l’audition des gendarmes, a exigé une escorte policière armée et équipée de gilets pare-balles. «Même pour des détenus, on ne fait pas rentrer les escortes dans le bureau», souffle un magistrat éberlué par cette mise en scène
Source : Libération
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