10 heures ce samedi matin, l'ambiance est bien calme au bureau de vote de l'école Paul-Langevin située à quelques mètres de la Tour...
10 heures ce samedi matin, l'ambiance est bien calme au bureau de vote de l'école Paul-Langevin située à quelques mètres de la Tour, et du Mail. Depuis l'ouverture, à 8 h 30, seules 32 personnes sont venues se prononcer pour ou contre la création d'une police municipale, sur 2310 électeurs inscrits. (Lire "Êtes-vous favorable à la création d'une police municipale ?").
On parle de référendum, mais il s'agit plutôt d'une consultation : la décision finale restera entre les mains du conseil municipal. Dans une ville où l'abstention est importante, le maire a estimé que ce vote serait considéré comme significatif au delà de 25 % de votants. Les habitants étrangers et les jeunes à partir de 16 ans pouvaient également se prononcer.
Mais ce sont les plus âgés qui animaient surtout le bureau de vote dans la matinée. Et le débat s'invitait souvent dans les conversations à la sortie. "Paraît que vous vous êtes fait agresser ?" lance Pierre, 81 ans, à l'un de ses voisins de la Tour, de six ans son cadet. "Oui, au mois de décembre, à six heures du soir. Ils m'ont roué de coups et personne n'a bougé ! Le vieil homme s'emporte, il parle fort, en brandissant sa canne : "Les gardiens ont appelé la police, elle n'est pas venue ! La police ne fait rien ici !" Il hausse encore le ton. "Mais on a droit à la sécurité, bon dieu !"dit-il presqu'en criant. Il est en colère, exaspéré. Fragile. Ses agresseurs ont également rossé son chien, qui n'a pas survécu, confie son fils qui l'accompagne. "Ils nous ont fait un poste de police, juste à côté, mais il n'y a jamais personne. Y'a peut-être eu des flics huit jours et puis ils ne sont plus venus" explique Pierre d'un ton calme. Il fait allusion au poste de police crée dans le quartier en 2005, après la mort du petit Sid Ahmed puis la visite de Nicolas Sarkozy qui avait annoncé des renforts policiers. Située sur la place de la Fraternité, il est aisé de constaté que l'endroit est en effet toujours vide. Au point que La Poste y a été transférée temporairement l'été dernier, lorsque son agence était en travaux. "Mais c'est un vrai bunker ce truc, ça a coûté une fortune, et pour quoi ?" s'emporte derechef l'homme en colère.
Qu'ils aient dit "oui" ou "non", s'interroger sur l'arrivée de la police municipale est pour tous, ici, une façon de s'interroger sur l'efficacité de la police nationale dans la ville. A la sortie du bureau de vote, les histoires se suivent et se ressemblent tristement. Plusieurs récits d'agressions survenues cette année, et une remarque qui revient à chaque fois : "Nous avons appelé la police, mais ils ne sont pas venus. Ils ne viennent plus". "Comment voulez-vous qu'ils fassent ? Ils ne sont pas assez nombreux pour s'occuper des 37 000 Courneuviens, plus de Dugny, plus du Bourget ! ça ne va pas ça !" lance l'homme à la canne. Comme beaucoup d'autres commissariats français, celui de La Courneuve, qui compte, selon la mairie, 183 policiers, dont trois officiers de police judiciaire, est en effet en charge de plusieurs communes. Pour évoquer ces questions, nous avions demandé à l'automne à rencontrer le commissaire Jérôme Clément. Malgré son accord, sa hiérarchie a refusé. Contentons nous alors d'une interview donnée ce mois-ci au journal municipal. Il y reconnaît bien un problème de réactivité : "compte tenu de la multiplicité de nos missions, nous n'avons malheureusement pas toujours assez de véhicules disponibles, car on s'occupe aussi de Dugny et du Bourget. (...) On gère vingt interventions quotidiennes sur notre ville uniquement. Par conséquent, on est parfois obligé de faire des choix."
"COMMENT EN EST-ON ARRIVÉ LÁ ?"
Les habitants des 4 000, eux, s'interrogent sur les choix politiques qui mènent à de telles situations et poussent aujourd'hui les municipalités à chercher localement des réponses au manque d'effectif : "La police doit dépendre de l'Etat, pas des collectivités locales, lance Marianne, 60 ans. Plutôt que de faire des sous-marins nucléaires, il faudrait mieux mettre des policiers formés ! Mais se demande-t-on aussi comment on en est arrivé à ces dérives dans ce quartier ? Pendant des années, on a laissé se dégrader les logements. Longtemps, ils ont appartenu à l'office HLM de la ville de Parisqui y envoyaient tous ses laissés pour compte : ils n'en voulaient pas dans la capitale ! Mais le résultat c'est qu'évidemment, l'accumulation de gens en difficulté dans un même endroit donne encore plus de difficultés !"
Au fur et à mesure de la matinée, les électeurs arrivent un peu plus nombreux. Et plus jeunes. Et alors, doucement, le débat se déplace. "Ici ce n'est pas de policiers municipaux dont on a besoin. S'ils ne sont pas armés, de toute façon, ils n'arriveront pas à se faire respecter. Ce qu'il faut surtout ici c'est plus de travail pour les jeunes, affirme Alexandre, 28 ans, au chômage depuis deux ans. J'ai fait des études de comptabilité mais je ne trouve rien. Aujourd'hui, je ne fais plus le difficile, je cherche dans n'importe quelle branche. Mais pour l'instant rien. Alors je suis revenu vivre chez mes parents." Derrière lui, une femme acquiesce : "J'ai 58 ans. Cela fait un an que je cherche du travail comme femme de ménage, je vais au Pôle emploi tous les jours, j'ai envoyé des C.V, des lettres de motivation, on ne me répond même pas. J'avais les Assedics [allocation de retour à l'emploi] mais ma conseillère m'a dit qu'à partir du mois de juin, je n'allais plus toucher que 400 euros... Avec un loyer de 300 euros, comment je vais faire..." Et le débat glisse encore. "Qui ici à les moyens de voir encore augmenter les impôts locaux pour s'offrir une police municipale ?" dit une jeune femme qui va bientôt voir s'arrêter son contrat à temps partiel. "Moi je voudrais bien policier. Mais si c'est de cette façon, je ne peux pas me le permettre..."
Le résultat du vote sera connu dans la soirée.
A.L: le monde
On parle de référendum, mais il s'agit plutôt d'une consultation : la décision finale restera entre les mains du conseil municipal. Dans une ville où l'abstention est importante, le maire a estimé que ce vote serait considéré comme significatif au delà de 25 % de votants. Les habitants étrangers et les jeunes à partir de 16 ans pouvaient également se prononcer.
Mais ce sont les plus âgés qui animaient surtout le bureau de vote dans la matinée. Et le débat s'invitait souvent dans les conversations à la sortie. "Paraît que vous vous êtes fait agresser ?" lance Pierre, 81 ans, à l'un de ses voisins de la Tour, de six ans son cadet. "Oui, au mois de décembre, à six heures du soir. Ils m'ont roué de coups et personne n'a bougé ! Le vieil homme s'emporte, il parle fort, en brandissant sa canne : "Les gardiens ont appelé la police, elle n'est pas venue ! La police ne fait rien ici !" Il hausse encore le ton. "Mais on a droit à la sécurité, bon dieu !"dit-il presqu'en criant. Il est en colère, exaspéré. Fragile. Ses agresseurs ont également rossé son chien, qui n'a pas survécu, confie son fils qui l'accompagne. "Ils nous ont fait un poste de police, juste à côté, mais il n'y a jamais personne. Y'a peut-être eu des flics huit jours et puis ils ne sont plus venus" explique Pierre d'un ton calme. Il fait allusion au poste de police crée dans le quartier en 2005, après la mort du petit Sid Ahmed puis la visite de Nicolas Sarkozy qui avait annoncé des renforts policiers. Située sur la place de la Fraternité, il est aisé de constaté que l'endroit est en effet toujours vide. Au point que La Poste y a été transférée temporairement l'été dernier, lorsque son agence était en travaux. "Mais c'est un vrai bunker ce truc, ça a coûté une fortune, et pour quoi ?" s'emporte derechef l'homme en colère.
Qu'ils aient dit "oui" ou "non", s'interroger sur l'arrivée de la police municipale est pour tous, ici, une façon de s'interroger sur l'efficacité de la police nationale dans la ville. A la sortie du bureau de vote, les histoires se suivent et se ressemblent tristement. Plusieurs récits d'agressions survenues cette année, et une remarque qui revient à chaque fois : "Nous avons appelé la police, mais ils ne sont pas venus. Ils ne viennent plus". "Comment voulez-vous qu'ils fassent ? Ils ne sont pas assez nombreux pour s'occuper des 37 000 Courneuviens, plus de Dugny, plus du Bourget ! ça ne va pas ça !" lance l'homme à la canne. Comme beaucoup d'autres commissariats français, celui de La Courneuve, qui compte, selon la mairie, 183 policiers, dont trois officiers de police judiciaire, est en effet en charge de plusieurs communes. Pour évoquer ces questions, nous avions demandé à l'automne à rencontrer le commissaire Jérôme Clément. Malgré son accord, sa hiérarchie a refusé. Contentons nous alors d'une interview donnée ce mois-ci au journal municipal. Il y reconnaît bien un problème de réactivité : "compte tenu de la multiplicité de nos missions, nous n'avons malheureusement pas toujours assez de véhicules disponibles, car on s'occupe aussi de Dugny et du Bourget. (...) On gère vingt interventions quotidiennes sur notre ville uniquement. Par conséquent, on est parfois obligé de faire des choix."
"COMMENT EN EST-ON ARRIVÉ LÁ ?"
Les habitants des 4 000, eux, s'interrogent sur les choix politiques qui mènent à de telles situations et poussent aujourd'hui les municipalités à chercher localement des réponses au manque d'effectif : "La police doit dépendre de l'Etat, pas des collectivités locales, lance Marianne, 60 ans. Plutôt que de faire des sous-marins nucléaires, il faudrait mieux mettre des policiers formés ! Mais se demande-t-on aussi comment on en est arrivé à ces dérives dans ce quartier ? Pendant des années, on a laissé se dégrader les logements. Longtemps, ils ont appartenu à l'office HLM de la ville de Parisqui y envoyaient tous ses laissés pour compte : ils n'en voulaient pas dans la capitale ! Mais le résultat c'est qu'évidemment, l'accumulation de gens en difficulté dans un même endroit donne encore plus de difficultés !"
Au fur et à mesure de la matinée, les électeurs arrivent un peu plus nombreux. Et plus jeunes. Et alors, doucement, le débat se déplace. "Ici ce n'est pas de policiers municipaux dont on a besoin. S'ils ne sont pas armés, de toute façon, ils n'arriveront pas à se faire respecter. Ce qu'il faut surtout ici c'est plus de travail pour les jeunes, affirme Alexandre, 28 ans, au chômage depuis deux ans. J'ai fait des études de comptabilité mais je ne trouve rien. Aujourd'hui, je ne fais plus le difficile, je cherche dans n'importe quelle branche. Mais pour l'instant rien. Alors je suis revenu vivre chez mes parents." Derrière lui, une femme acquiesce : "J'ai 58 ans. Cela fait un an que je cherche du travail comme femme de ménage, je vais au Pôle emploi tous les jours, j'ai envoyé des C.V, des lettres de motivation, on ne me répond même pas. J'avais les Assedics [allocation de retour à l'emploi] mais ma conseillère m'a dit qu'à partir du mois de juin, je n'allais plus toucher que 400 euros... Avec un loyer de 300 euros, comment je vais faire..." Et le débat glisse encore. "Qui ici à les moyens de voir encore augmenter les impôts locaux pour s'offrir une police municipale ?" dit une jeune femme qui va bientôt voir s'arrêter son contrat à temps partiel. "Moi je voudrais bien policier. Mais si c'est de cette façon, je ne peux pas me le permettre..."
Le résultat du vote sera connu dans la soirée.
A.L: le monde
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