Après 30 années de brouille au sujet de Mayotte, Moroni a changé radicalement d'approche dans sa revendication. À quel prix ? Feu ...
Après 30 années de brouille au sujet de Mayotte, Moroni a changé radicalement d'approche dans sa revendication. À quel prix ?
Feu président Ahmed Abdallah se plaisait à dire que "les Comores sont pauvres, mais pas misérables". Seize ans après l'assassinat de l'homme à qui l'on reprochait d'avoir humilié la France en déclarant unilatéralement l'indépendance de l'archipel le 6 juillet 1975, c'est pour un petit million d'euros que le président Azali Assoumani a mis fin au statuquo sur la question de Mayotte, la quatrième île de l'archipel restée sous administration française et que les Comores réclament au nom de l'intangibilité des frontières héritées de la colonisation.
De gauche à droite, Azali et Chirac |
Un million d'euros donc. 492 millions de francs comoriens. La moitié d'un mois de salaires des fonctionnaires (la masse salariale mensuelle de la Fop est estimée à 1 milliard de fc). Une miette que la France a versée, début novembre 2005, au Trésor comorien sous forme "d'aide budgétaire exceptionnelle pour le paiement des arriérés de salaires 2005", révèle une note estampillée “Confidentiel”, que nous nous sommes procurée. En échange de cette aide, Paris n'exigeait ni plus ni moins qu'une petite "lettre". Un courrier confirmant la convocation par les autorités comoriennes d'une session extraordinaire du Comité international des jeux des îles de l'océan Indien (CIJ) -session dont l'unique point d'ordre du jour était d'examiner la participation des athlètes mahorais aux Jeux qui auront lieu du 31 juillet au 5 août 2006 à l'île Maurice.
Une lettre que le ministre comorien des Relations extérieures rédige le 26 octobre 2005 et adresse à Sylvestre Pool, la présidence de la Commission de la Jeunesse et des Sports de l'Océan Indien (Cjsoi). La session souhaitée a eu lieu le 28 novembre dernier dans la capitale malgache.
Ce serait sûrement aller vite en besogne que d'accuser la France d'avoir à travers ce geste, monnayé la participation de Mayotte aux Jeux des îles. Mais reconnaissons que cela ressemble fort à une transaction, surtout lorsque la même note précise que le président Azali ne souhaitait pas "de contre-partie ni sous la forme d'un don ou d'une aide budgétaire d'un million d'euros, ni sous la forme du financement d'infrastructures sportives". Il est vrai que dans son allocution du jour de l'Aïd annonçant sa décision de "déclencher le mécanisme permettant la participation des athlètes mahorais aux prochains jeux des îles", le chef de l'Etat comorien avait justifié sa décision comme étant la "réponse amicale et fraternelle que nous (les Comoriens, ndlr) donnons à nos frères et amis, au lendemain des événements déplorables qui viennent de se produire dans l'île de Mayotte".
On pouvait penser qu'il s'agissait de la vraie (et seule) motivation de cette décision, qui aurait alors une valeur historique, signant la fin de 30 années de querelles qui n'ont abouti qu'à semer la mort et la discorde. Mais ce n'est pas ce qui ressort des discussions qu'ont eues les autorités comoriennes et françaises : le 25 août dernier, Brigitte Girardin, secrétaire d'Etat française à la Coopération (ancienne ministre de l'Outremer), qui recevait Aboudou Soefo, ministre comorien des Relations extérieures, lui a bien fait comprendre que "le règlement concret de la question de la participation de Mayotte aux compétitions sportives régionales est une condition du développement de la coopération française". La représentante du gouvernement français rappelait à son interlocuteur une requête personnelle du président Chirac au président Azali, lorsqu'il l'avait reçu à l'Elysée en février dernier.
Une rétrospective sur l'activité diplomatique menée durant trois mois entre Moroni, Paris et New York pour obtenir le retrait de la question de Mayotte de l'ordre du jour de la 60ème Assemblée générale des Nations Unies révèle la même logique du donnant-donnant. "Le président veut rétablir un haut niveau de confiance avec notre pays. Il veut être perçu comme un ami de la France au moment où il dit s'apprêter à quitter le pouvoir, qu'il espère retrouver après la présidence anjouanaise. Il nous demande de l'aider à gérer au mieux la fin de son mandat en facilitant l'accord avec le FMI, et à très court terme, en lui donnant les moyens nécessaires au paiement des salaires avant le Ramadan, soit deux millions d'euros" rapporte dans un courrier un diplomate.
Officiellement, comme pour le dossier des Jeux des îles, le gouvernement comorien tient un autre discours et parle de "nouvelle dynamique" qui "doit être interprétée comme gage de bonne foi de la partie comorienne dans la recherche d'une issue acceptable par tous à cette douloureuse et regrettable question qui n'a que trop duré", lit-on dans le courrier du ministre comorien des Relations extérieures au Secrétaire général de l'ONU, daté du 11 septembre 2005. Qui croire ?
Dans la conjoncture économique difficile du second semestre 2005 marquée par une situation sociale explosive à l'approche du Ramadan, ainsi que des grèves en série dans le secteur public liées à l'accumulation des arriérés des salaires et aux exigences des institutions financières internationales, le pouvoir était-il prêt à toutes les propositions, mêmes les plus délicates, pour se sortir de cette passe difficile ? A-t-il cédé par instinct de survie ou doit-on conclure à une vraie volonté, mais maladroitement engagée, de tourner la page mahoraise ?
Kamal'Eddine Saindou
Kashkazi n° 20 du 15 décembre 2005