La "une" d'un journal afghan au lendemain de la mort de Ben Laden. Après l'assaut qui s'est conclu par la mort d...
La "une" d'un journal afghan au lendemain de la mort de Ben Laden.
Après l'assaut qui s'est conclu par la mort d'Oussama Ben Laden dans sa résidence d'Abbottabad, au Pakistan, nombre de questions demeurent. En choisissant de jeter le corps du leader d'Al-Qaida à la mer après qu'ils l'eurent éliminé, les Etats-Unis ont pris le risque d'entretenir les théories conspirationnistes.
- Un corps à la mer
Lundi matin, moins de vingt-quatre heures après l'opération américaine et l'annonce par Barack Obama de la mort du chef d'Al-Qaida, les chaînes états-uniennes CNN et MSNBC annoncent que le corps a été enseveli en pleine mer.
Le corps de Ben Laden est transporté par hélicoptère en Afghanistan pour identification.
Il est ensuite déposé sur le porte-avions USS Carl-Vinson, qui croise en mer d'Oman, allongé sur une planche et basculé dans les flots. Pour la plupart des observateurs et pour une grande partie de l'opinion mondiale, cette manière de procéder est de nature à semer le trouble.Peu après, un responsable américain, cité sous couvert de l'anonymat par le New York Times et Associated Press, explique que la décision a été prise pour respecter les rites musulmans en vertu desquels un mort doit être inhumé dans les vingt-quatre heures. Washington justifie sa décision par la difficulté qu'il y avait, dans un délai si court, à trouver un pays qui accepterait d'accueillir la dépouille du chef d'Al-Qaida.
- Eviter un pèlerinage
Mais la véritable raison de cet escamotage du corps est politique. L'administration américaine a elle-même reconnu qu'elle cherchait ainsi à éviter qu'une sépulture terrestre ne devienne à terme un lieu de pèlerinage pour ses partisans, voire un site de recrutement pour futurs djihadistes.
Le site américain Slate rapelle un précédent historique. Au lendemain du procès de Nuremberg, en 1946, les alliés avaient autorisé la crémation de Hermann Göring, qui s'était suicidé juste avant la sentence. Ses cendres avaient été dispersées dans le Conwentzbach, un petit affluent de l'Isar, afin que sa tombe ne se transforme pas en lieu de culte pour les militants ou sympathisants nazis.
L'incinération étant contraire à l'islam, le gouvernement américain a opté pour l'immersion dans le même but : supprimer une fois pour toutes la réalité physique de Ben Laden, à défaut d'être venu à bout de son héritage idéologique.
- Les rites musulmans respectés ?
La tradition musulmane a-t-elle pour autant été respectée ? Un haut responsable de la défense affirme à la presse qu'une cérémonie funéraire islamique détaillée par le Washington Post , se serait déroulée sur le pont du porte-avions, filmée par une caméra de l'armée américaine. La vidéo n'a pas été rendue publique, et rien n'indique qu'elle le sera.
Le cadavre de Ben Laden aurait été lavé, placé dans un linceul blanc, puis déposé dans un sac lesté. Un officier aurait ensuite lu un texte religieux traduit en arabe par un interprète, avant que le corps ne soit posé sur une planche puis basculé dans la mer. La cérémonie a débuté lundi à 7 h 10, heure de Paris, et s'est terminée cinquante minutes plus tard, selon des responsables américains.
La Grande Mosquée de Paris, l'institut sunnite Al-Azhar, au Caire, et d'autres organisations musulmanes ont immédiatement dénoncé le non-respect des rites musulmans qui veulent que le corps soit enterré dans la direction de la Mecque. Pour Al-Azhar, plus haute autorité de l'islam sunnite, "l'islam n'accepte pas l'immersion en mer, seulement l'enterrement". Le choix de la mer reste limité à des cas de force majeure dans la situation où une personne serait morte à bord d'un navire, et dont le corps présenterait des risques de décomposition s'il ne pouvait être débarqué rapidement souligne l'institution.
- L'ADN comme seule preuve ?
Faute de corps et en attendant l'éventuelle publication de la photo du cadavre, les Etats-Unis doivent convaincre l'opinion mondiale de les croire sur parole. Après l'assaut d'Abbottabad, Washington a affirmé avoir identifié le corps de Ben Laden à 95 % en le comparant à des photos grâce à des techniques de reconnaissance faciale.
Si cette technique biométrique s'est perfectionnée au fil des années, elle n'est pas encore aussi performante que l'étude des empreintes digitales. En particulier quand le visage du défunt est abîmé,rappelle Slate.fr sur son blog Globule et téléscope. Or, Washington a reconnu que la photo du visage de Ben Laden était atroce Une analyse d'ADN a ensuite permis de confirmer "pratiquement à cent pour cent" l'identité du cadavre, ont annoncé plusieurs hauts responsables américains.
Après qu'ils eurent exécuté Ernesto Guevara le 9 octobre 1967, les militaires boliviens, avec l'aide d'officiers américains et d'agents de la CIA, avaient transporté le corps en hélicoptère pour l'exposer devant des photographes du monde entier. Ils avaient fait ensuite trancher les mains du cadavre afin d'authentifier le corps en comparant les empreintes digitales et ainsi conserver une preuve de sa mort. Trente ans après la mort du "Che", sa dépouille a été retrouvée et de nouveau identifiée par analyse de son ADN. Une contre-identification qui sera impossible dans le cas de Ben Laden.
- Des théories conspirationnistes
En décidant d'escamoter le cadavre, les Etats-Unis prolongent d'une certaine manière la légende désincarnée de leur ennemi public numéro 1, au risque d'alimenter les théories conspirationnistes.
"Comme pour la mort de Hitler, il y aura des doutes sur la question de savoir si Ben Laden a réellement été tué", explique Robert Alan Goldberg, professeur d'histoire à l'université de l'Utah. "En outre, pour les adeptes de la théorie du complot dans les attentats du 11 septembre 2001, Ben Laden est vu comme une pièce dans le jeu de la CIA", ajoute ce spécialiste, auteur de The Culture of Conspiracy in Modern America("La Culture du complot dans l'Amérique moderne").
En Afghanistan, les talibans ont d'ores et déjà déclaré que l'annonce de la mort de Ben Laden était "prématurée", étant donné"que les Américains n'ont fourni aucune preuve acceptable pour étayer leurs affirmations".
En Iran, où ni les autorités ni les médias n'ont globalement mis en doute la véracité de la mort de Ben Laden, l'agence Mehr imagine pourtant "un accord ultrasecret"par lequel les Américains auraient convaincu celui-ci "d'accepter sa mort médiatique au lieu d'une mort réelle".
Même interrogation chez Ferial Haffajee, l'influente rédactrice en chef du journal sud-africain City Press : "Comment savons-nous que c'est vraiment Ben Laden qui a été tué s'il a été immergé en mer ?" A Prague, Petr Hajek, un conseiller du président Vaclav Klaus, a qualifié Ben Laden de "fiction médiatique" : "Il est mort comme il est né, dans d'étranges circonstances, presque mystiques. Croyez-le si vous voulez!"
Plus décalé, Slate a proposé un live sur la non-mort de Ben Laden rassemblant tous les éléments qui soulèvent encore des questions et parodiant les théories du complot. Le projet en lui-même souligne la fragile réalité de cette mort, présentée comme un des événements majeurs de ce début de siècle.
- Un corps qui a toujours fait défaut
Mort ou vif, le corps de Ben Laden a toujours fait défaut. L'incarnation du terrorisme international a traversé la décennie comme un spectre irréel, ne ressurgissant qu'au travers de messages audio ou vidéo difficilement identifiables. A tel point qu'il fut plusieurs fois donné pour mort, notamment par les services secrets saoudiens.
Depuis le 11 septembre 2001, cette absence de réalité sensible aura été la marque de Ben Laden. Son élimination par les commandos américains, dans la nuit de dimanche à lundi, au Pakistan, n'a rien changé à la donne, bien au contraire.source:le monde
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