Lorsqu’Emmanuel Macron affirmait, il y a un an lors de son déplacement à Ouagadougou, qu’« il n’y [avait] plus de politique africaine de ...
Lorsqu’Emmanuel Macron affirmait, il y a un an lors de son déplacement à Ouagadougou, qu’« il n’y [avait] plus de politique africaine de la France », sans doute fallait-il comprendre que les critères de respect des droits humains et de démocratie n’avaient désormais pas plus d’importance en Afrique qu’ailleurs : il ne serait finalement même plus question de faire semblant.
Mais c’est oublier que le soutien de la France à des régimes criminels en Afrique comporte des modalités pratiques qui contredisent dans les faits de telles déclarations, et qui concourent à la guerre et la terreur que prétendent occulter les célébrations du premier « forum de Paris sur la paix » organisé à l’occasion du centenaire de l’armistice de 1918.
Le ton avait été donné fin octobre 2017 lors de la réception à l’Elysée de son homologue le général Al Sissi, alors que des ONG dénonçaient « la pire crise des droits humains depuis des décennies en Egypte », dans une période où la France a renforcé ses liens avec l’Egypte, notamment par l’explosion des contrats d’armements. Le président français avait alors utilisé un argument en miroir qu’il affectionne : « De la même façon que je n’accepte qu’aucun autre dirigeant me donne des leçons sur la manière de gouverner mon pays, je n’en donne pas aux autres ».
Emmanuel Macron entendait ainsi éluder une question centrale pour notre diplomatie : avec quels types de régimes entendons-nous construire, entretenir ou renforcer des alliances ? Si la France a toujours activement coopéré avec des dictatures , il subsistait un principe au nom duquel l’opinion publique française pouvait prendre à parti ses dirigeants : cela n’était pas acceptable, ceci devait être dénoncé et combattu.
Désormais, la communication d’Emmanuel Macron tente ouvertement d’enterrer ce principe : qu’un général ou un émir signe des contrats d’armements mirobolants, et il serait qualifié de posture « moralisatrice » de rappeler que la main qu’il tend au locataire de l’Elysée est pleine de sang ; qu’un vieux dictateur africain s’affiche comme un « partenaire dans la lutte contre le terrorisme » et il deviendrait « néocolonial » d’appeler la France à cesser de le soutenir.
C’est un des paradoxes de la Macronie : un jeune Président de la République qui veut faire passer de vieilles pratiques antidémocratiques pour une diplomatie moderne et débarrassée de toutes considérations morales ou éthiques, mais qui convoque ces dernières lorsqu’il s’agit de faire taire la critique, comme l’embastillement et la torture étouffent les aspirations démocratiques dans ces pays alliés. Pendant ce temps, les ventes d’armes et la coopération policière et militaire se perpétuent, symboles d’une France dont le président dit d’un côté ne pas vouloir donner de leçons, tout en donnant d’un autre côté des gages d’un soutien très concret.
L’Elysée sponsorise la guerre, soutient la dictature
La veille pratique des sommets France-Afrique a ainsi disparu avec Emmanuel Macron, qui renouvelle cependant la façon de rassembler des chefs d’Etats françafricains en mal de légitimité, en les conviant à un grand sommet parisien par an. L’année dernière sur le climat, cette année sur « la paix », à l’occasion du centenaire de la fin d’une Grande guerre dans laquelle notre Troisième République précipita entre autres des milliers d’hommes recrutés de force dans son empire colonial.
Voilà l’événement pour lequel des chefs d’Etats et de gouvernements comptant parmi les pires criminels actuels sont invités à parader autour d’Emmanuel Macron du 11 au 13 novembre : l’Elysée sponsorise la guerre, soutient la dictature, « et en même temps » veut célébrer la paix. Ainsi, le désastre humanitaire au Yémen, au vu et au su de la planète entière, ne suffit pas à suspendre nos vente d’armes à l’Arabie Saoudite, invitée à ce Forum sur la Paix.
Mais on devrait aussi retrouver autour du président les traditionnels alliés françafricains : ceux qui ont déjà pu être reçus dès juin ou juillet 2017, comme l’Ivoirien Alassane Ouattara ou le Tchadien Idriss Déby, ou ceux qui attendent depuis les derniers sommets internationaux de pouvoir poser en compagnie de l’actuel président français, comme le Togolais Faure Gnassingbé, le Congolais Sassou Nguesso, le Djiboutien Omar Guelleh, mais pas le Gabonais Ali Bongo – qu’un état de santé critique empêche, ironie de l’histoire, de venir consolider son image auprès du monarque républicain français.
Quant au vieux Paul Biya, fraîchement réinvesti pour 7 années supplémentaires du pouvoir de gouverner un pays désormais en guerre, il a renoncé cette fois à se presser aux côtés de son homologue français, qui n’avait pas 5 ans lorsqu’il prit le pouvoir au Cameroun avec l’aide de Paris en 1982. Au sein de chacun des appareils répressifs de ces dirigeants illégitimes, qui emprisonnent voire torturent impunément, la France délègue des coopérants militaires et policiers : loin de « donner des leçons », de faire la « morale », ils sont alors en première ligne pour savoir ce qu’il s’y passe, et leur maintien sur place témoigne d’un soutien discret, mais durable, des locataires successifs de l’Elysée.
En s’apprêtant à commémorer le centenaire d’une armistice qui servit de terreau à la montée du totalitarisme en Europe, le président français utilise comme ses prédécesseurs des despotes alliés pour renforcer la position et l’influence de la France : la paix n’est qu’un prétexte, au service une fois de plus d’une politique internationale cynique.
Par Pauline Tétillon, co-présidente de l’association Survie. ©humanite.fr
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