En Italie, le programme commun élaboré par le nouveau gouvernement de Giuseppe Conte avec les antisystème et l’extrême droite prévoit un co...
En Italie, le programme commun élaboré par le nouveau gouvernement de Giuseppe Conte avec les antisystème et l’extrême droite prévoit un contrôle accru des imams et des mosquées.
Théologien, spécialiste du droit musulman et imam à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), Mohamed Bajrafil réagit à l’idée - récurrente en Europe - d’une interdiction des prêches en arabe.
La Croix : Pourquoi de nombreux imams ne prêchent-ils pas en français le vendredi à la mosquée, même lorsqu’ils vivent en France et s'adressent à des fidèles très majoritairement français ?
Mohamed Bajrafil : Les raisons sont de deux types : théologiques et sociologiques. Sur le plan théologico-juridique, trois avis se dégagent de la tradition musulmane. Chez les hanbalites (courant majoritaire en Arabie saoudite), le prêche ne peut se faire dans une autre langue que l’arabe, sauf « en cas de besoin ». Chez les malékites et chaféites, le prêche fait dans une autre langue que l’arabe n’est pas valide. Enfin, pour les hanafites - courant le plus présent chez les musulmans non-arabes - il est recommandé de prêcher en arabe mais ce n’est pas obligatoire.
Il est donc possible sur le plan théologique, pour des musulmans vivant en France, d’envisager un prêche en français. C’est d’ailleurs ce qui se fait dans de nombreuses mosquées. Le problème est que tous les imams ne maîtrisent pas assez cette langue. Le plus souvent, ils s’expriment en arabe dialectal et non pas en arabe classique, que ni eux ni leurs fidèles ne maîtrisent suffisamment. Mais les plus jeunes, surtout lorsqu’ils sont nés ici, ont davantage tendance à choisir le français. Moi, par exemple, je prêche systématiquement en arabe et en français.
Quels problèmes pose l'utilisation de l'arabe dans les mosquées françaises ?
M. B. : Le problème est surtout celui des fidèles, et notamment des jeunes qui le plus souvent ne comprennent pas l’arabe dialectal. Mais cette question de langue se pose partout, y compris dans mon pays d’origine, les Comores. En général, le prêche se fait donc dans au moins deux langues : en arabe, et – au début ou à la fin – un des fidèles qui s’est entretenu avec l’imam fait une présentation des grands axes du discours dans la langue vernaculaire. Ce n’est pas forcément l’idéal mais cela permet de répondre aux besoins de la communauté.
Je trouve choquante l’idée d’interdire les prêches en arabe en France ! Cela revient à criminaliser une langue alors que, pas plus que l’anglais, le français ou le latin, elle n’est en soi porteuse de violence. Une langue n’est qu’un outil au service d’un message.
C’est aussi contradictoire : comment peut-on dire à la fois que les imams utilisent l’arabe pour faire passer un message dangereux et reconnaître que les jeunes ne connaissent pas cette langue ? Il faudrait au contraire davantage enseigner l’arabe à l’école et à l’université pour montrer qu’elle n’est pas d’abord une langue religieuse et qu’elle existait avant l’islam...
Imposer un prêche en français n’est-il pas le moyen d’imposer en fait un prêche adapté au contexte français ?
M. B. : Peut-être mais c’est une autre question. Le problème alors est de savoir qui peut être imam et comment ils sont formés... Il est évident que les former à l’étranger - comme c’est majoritairement le cas aujourd’hui - n’est pas logique.
Si la situation actuelle est insatisfaisante, pour les imams comme pour les fidèles, cela tient à l’implantation récente de l’islam en France. Ce sont les associations gestionnaires des mosquées qui choisissent en principe leur imam, mais elles manquent de candidats. Les vocations sont rares ici ! Pour des raisons financières sûrement : les imams sont peu ou pas payés, et rarement déclarés car les associations musulmanes n’ont pas les moyens de payer leurs cotisations. Mais aussi parce que leur situation est très inconfortable : ils sont régulièrement critiqués par les fidèles, peuvent même être renvoyés du jour au lendemain par la mosquée...
La création d’un Conseil des imams du Rhône pour les fédérer est une piste intéressante, même si elle est encore balbutiante. Je pense qu’au fil des années, les exigences vis-à-vis d’eux vont augmenter. J’ai l’impression aussi que les fidèles sont de plus en plus conscients qu’ils doivent payer pour avoir des prêches de qualité et donc un imam bien formé. Mais l’accouchement est forcément long et douloureux car la situation est très différente dans les pays d’origine. Chez moi, aux Comores, être imam n’est pas une fonction. A l’inverse, dans les pays du Maghreb, les imams sont rémunérés par le ministère des habous et reçoivent de lui le texte de leur prêche...
Recueilli par Anne-Bénédicte Hoffner ©la-croix.com