Ici bas l'homme n'a qu'une vie. Il ne meurt donc qu'une fois, pas les villes. Mbeni vient de mourir à nouveau. Après Ch...
Ici bas l'homme n'a qu'une vie. Il ne meurt donc qu'une fois, pas les villes.
Mbeni vient de mourir à nouveau.
Après Cheik Kamardine, Cheha Ahmada Mfoihaya, Mohamed Taki, entre autres, la ville martyre perd un grand homme.
L'enfant prodige, qui a su faire oublier son handicap de naissance, cette cécité innée mais qui ne l'a pas empêché d'être l'un des plus visionnaires chanteurs comoriens, quitte notre monde.
Certains se souviennent de ces débuts à la place "funi shwandani", juste à côté de là où repose désormais et curieusement celui qui fut sans doute sa première source d'inspiration.
"Antriya koshime Takiya wa Shirissi, beramu ya komori,
hop hop hop!
Rendé ridja, rendé riri fikira, ritowa ali nkara, ne komando, ne ledjeshi, endeleya hop hop hop..."
Voilà quelques paroles de sa première chanson de "rue" qui avait marqué la période poste soilihiste. Chamasse l'avait inventée avec ces jeunes du quartier de Mluwani où il aimait se rendre après la dernière prière du soir, affrontant aveuglement les sombres ruelles de Mbeni, lui qui habitait de l'autre côté de la ville.
Mais Chamasse c'est d'abord cette voix extraordinaire qui ferait aimer le coran même aux plus mécréants de ce monde.
Il lisait sans les yeux.
Le coran il le connaissait par cœur.
Il le récitait avec ses tripes. "Comment l'aveugle a-t-il appris à lire ?". Pas un seul enfant qui a eu la chance de l'écouter réciter "surat Maryam" ne s'est pas posé cette question qui n'a de réponse que dans le livre sacré lui-même.
Chamasse c'est aussi ce révolutionnaire qui va bousculer les habitudes dans le domaine des Kaswaïd, où tout devait se chanter en arabe.
Il introduit aux Comores les Kaswaïd en langue comorienne, au grand dam des conservateurs parmi lesquels une partie de ces "ulamaou ldjuzur wayila ne ngozi" dont il dénonce l'hypocrisie dans l'un de ses Shahinri
Au fur et à mesure qu'il déploie son talent d'interprète engagé, Chamasse devient de plus en plus le défenseur de la langue de Mbaé Trambwe. Il la travaille, la poétise, la chante.
Mais Chamasse ne se contente pas d'aligner des mots et des sonorités. L'inégalable parolier y met surtout du sens. Ses chansons ne sont pas toujours dansants mais extrêmement sensées.
Elles interpellent, avertissent, dénoncent. Elles appellent à la méditation.
Chamasse devient un "agitateur public", un "indigné".
A travers ses chansons, il clame la justice contre l'injustice, la démocratie face à la dictature, la prospérité à la place de la pauvreté.
Ces chansons sensibilisent une jeunesse en perdition, contre le sida, la drogue, l'alcool, la prostitution. Et pour toucher ce public particulier, Chamasse n'hésite pas à aller puiser dans le registre du Rap pour être mieux écouté et faire passer son message, auprès de cette jeunesse qui l'adore.
Chamasse avait d'ailleurs très vite compris que l'anglais, qu'il a acquis en Afrique du Sud, où il avait élu domicile, était nécessaire pour parvenir à son but: toucher le maximum de monde. C'était aussi comme si quelque part le recours à l'anglais devait lui permettre de faire entendre ses cris contre la misère qui ronge sa terre natale jusqu'au sein de l'hémicycle de l'ONU.
Les hommes politiques, Chamasse s'en moque allègrement dans ses chansons, souvent violemment, parfois crument comme quand il invite "eka owandru dawa risome hitima ripvehe" ou quand il propose "wazabadiwa dja ngava".
Dans un humour qui lui est propre le défenseur des pauvres, aime défier les gouvernants, les parodier, même les plus populaires parmi eux n'échapperont à ses moqueuses critiques.
Comme pour compenser la vue inexistante chez lui dès sa naissance, Chamasse use infatigablement de sa langue. Sa parole est libre. Et si vous êtes allergiques aux belles formules, aux jeux de mots et aux expressions imagées et métaphoriques n'écoutez jamais les chansons de Chamasse. On retiendra entre autres " ye ynama yidjiye gashi bwazuguwa" ou " ngampvimo kilwa mabawa ni lise wa komori wayewuhe".
Chamasse s'en va mais ses paroles restent.
Mbeni et la commune de Nyumamsiru te rendent hommage.
Puisse le tout puissant te hisser au rang des bénis d'Allah. Amine"
Par Karidji
Par Karidji