La responsabilité du magistrat du fait du fonctionnement de la justice de la justice comorienne
Les citoyens, mais aussi certains hommes politiques membre de l’opposition, sont de plus en plus nombreux à critiquer l’actuelle impunité de fait des magistrats, laquelle semble se heurter au principe, énoncé par l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et des citoyens, selon lequel « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration». Il n’est donc guère surprenant de constater que la question ressurgit à chaque fiasco judiciaire. Ce fut récemment le cas dans « l’affaire Brando » qui a révélé des dysfonctionnements particulièrement dommageables. Elle suscite un débat passionné, notamment parce que l’enjeu n’est pas seulement juridique.
En effet, le sujet est particulièrement délicat, puisqu’il s’agit de remettre en cause l’activité de personnes investies de la mission régalienne de rendre la justice au nom du peuple comorien. Ces personnes sont, en principe, des agents de l’Etat qui appartiennent au corps des magistrats.
Un juge peut être amené à rendre compte de son action. Il apparaît toutefois nécessaire de protéger l’exercice de l’activité juridictionnelle en la soustrayant à la vindicte des justiciables qui peut en perturber l’exercice. Dans le même temps, les comportements fautifs ne peuvent demeurés impunis et personne, pas même les juges, ne peuvent prétendre échapper à l’application de la loi. C’est pour cette raison que les règles de droit n’excluent pas, mais restreignent assez sensiblement par rapport au droit commun de la responsabilité, les possibilités de mettre en cause l’activité d’un magistrat
C’est le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) qui est compétent en matière disciplinaire mais son rôle diffère selon les fonctions du magistrat poursuivi. Les magistrats de l’ordre judiciaire peuvent être mis en cause devant le CSM. Ce dernier est compétent pour prononcer directement la sanction à l’encontre des magistrats du siège. Ses décisions peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant la Cour suprême. En ce qui concerne les magistrats du parquet, le CSM émet un simple avis car le pouvoir de sanction appartient au ministre de la Justice dont la décision peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le Cour suprême.
Les sanctions peuvent aller de la simple réprimande avec inscription au dossier à la révocation, avec suspension des droits à pension.
La faute disciplinaire constitue «tout manquement aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité».
Il en ressort notamment que le magistrat doit répondre, sur le plan disciplinaire, des conditions dans lesquelles il a exercé son activité de juge. C’est ainsi que son comportement à l’audience peut être l’occasion de manquements à ses devoirs, en particulier de réserve, de délicatesse et de dignité. Le magistrat doit aussi répondre de son comportement dans le cadre de sa vie privée. Il a pu être ainsi reproché à un magistrat son addiction à l’alcool. En revanche, la faute disciplinaire ne saurait résulter de l’acte juridictionnel lui-même, fût-il révélateur d’une grave erreur d’appréciation commise par le magistrat.
Le CSM peut être saisi directement par les justiciables pour des faits commis par des juges. Pour éviter une instrumentalisation de cette procédure disciplinaire, la plainte fait l’objet d’un examen préalable par une commission d’admission des requêtes qui vérifie si elle n’est pas irrecevable ou manifestement infondée. La commission sollicite du chef de cour ou de l’instance dont dépend le magistrat mis en cause ses observations ainsi que tous éléments d'information utiles. Elle peut entendre le magistrat ainsi que le justiciable qui a introduit la demande mais ne dispose pas d’autre pouvoir d’enquête, comme celui d’entendre des témoins.
Par ailleurs, il existe une sorte de passerelle entre les responsabilités civile et disciplinaire puisque des poursuites disciplinaires peuvent être déclenchées à la suite de la condamnation de l’Etat pour fonctionnement défectueux du service de la justice.
La responsabilité de l’Etat du fait de magistrat :
L’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice. Cela concerne toute activité de la justice judiciaire, qu’il s’agisse de celle d’un magistrat mais aussi de celle d’un membre du greffe ou de la police judiciaire. L’Etat peut donc être amené, sur ce fondement, à réparer les dommages causés par la faute d’un magistrat.
Lorsque le dommage a été causé par la faute d’un magistrat révélant ainsi un fonctionnement défectueux du service public de la justice, l’Etat peut en être déclaré responsable. S’il est invoqué une mauvaise organisation du service public de la justice, par exemple en raison d’un déficit de personnel mis à la disposition de la juridiction, l’Etat ne peut en répondre que sur le fondement des règles du droit commun de la responsabilité administrative devant la chambre administrative. S’il est invoqué un fonctionnement défectueux du service public, éventuellement révélé par le comportement fautif d’un magistrat, l’Etat en répond également.
La responsabilité de l’Etat peut encore être engagée, sans qu’il soit nécessaire d’établir une faute lourde, lorsqu’il y a déni de justice. Il faut entendre par déni de justice le refus de répondre aux requêtes ou le fait de négliger de juger les affaires en état de l'être ainsi que, plus largement, tout manquement de l'État à son devoir de protection juridictionnelle de l'individu qui comprend le droit pour tout justiciable de voir statuer sur ses prétentions dans un délai raisonnable. L’Etat répare ainsi le dommage qui résulte non seulement du comportement d’un magistrat qui s’abstient, par sa propre volonté, de statuer mais encore de la durée excessive d'un procès.
NASSER ALI DJAMBAE