Monsieur le Ministre de l’éducation nationale, permettez-moi encore une fois de m’adresser tout d’abord à vous car vous êtes mon ultime rec...
Monsieur le Ministre de l’éducation nationale, permettez-moi encore une fois de m’adresser tout d’abord à vous car vous êtes mon ultime recours en cette période où la langue comorienne est à l’abandon. Est-il légitime de laisser votre langue maternelle, ma langue maternelle en souffrance? Faute de pouvoir l’apprécier à sa juste valeur, notre jeune littérature d’expression comorienne ne connaît ni évolution ni transmission significatives au bénéfice de ceux qui sont motivés et déterminés à l’écrire. Cette belle langue ne s’apprend pas, ne s’écrit pas. Elle est en baisse. Cette crise linguistique se passe malheureusement sous nos yeux.
Très probablement, la colonisation de l’archipel des Comores par la France, notre volonté de vouloir parler et écrire cette langue de Molière gomment notre attachement à notre langue dont nous devrons être tous le défenseur. Il va de soi que cet amour profond pour la langue de la puissance colonisatrice favorise également l’inexistence même d’une langue nationale. Oui, le colon ne nous a pas initié à aimer lire, écrire et calculer en comorien. Ainsi, la promotion de notre langue qui devrait être liée à la politique linguistique et à l’évolution économique du pays ne fait pas partie, il faut le dire, du vocabulaire de l’assemblée nationale de notre pays qui devrait aussi réfléchir sur le devenir de cette langue !
Est-il juste, Monsieur le Ministre, que les gouvernements comoriens d’hier et d’aujourd’hui continuent à encourager davantage les petits comoriens à apprendre dans nos écoles publiques et privées les langues étrangères en mettant de côté l’apprentissage du comorien, une langue qu’on nous faisait profession de croire, d’aimer et de pratiquer ? Personnellement je trouve ridicule qu’on se contente, dans un pays comme le nôtre où nombreux sont ceux qui ne maîtrisent pas bien le comorien écrit, d’ouvrir des écoles maternelles où le comorien se voit détrôné. Cette absence complète d’attrait pour notre langue permet de croire que les critères définitoires de l’école maternelle nous semblent « incompréhensifs » ! Or, vous n’êtes pas sans savoir que l’école maternelle joue un rôle central dans l’apprentissage de la langue de l’enfant.
Cet apprentissage, je le rappelle, couvre plusieurs champs dans une progression organisée, c’est-à-dire que l’enfant commence à apprendre sa langue comme un objet de manipulation, pas seulement pour le sens que sa langue véhicule mais comme objet d’observation et d’analyse. C’est le lieu où l’enfant aspire à l’excellence de son système éducatif. L’attachement de l’enfant à la culture de son pays et à la culture de sa langue est né de l’existence de son école maternelle. C’est pédagogiquement prouvé. Cette étape, vous et moi ne l’avons pas connue. Par conséquent, nous nous sommes enlisés dans une identité culturelle mal construite.
Les Comoriens sont très loin du progrès linguistique tout comme ils sont très loin de ce que celui-ci pourrait contribuer au développement de notre pays. La preuve est qu’aujourd’hui on compte sur les doigts de la main ceux qui aiment, parlent et écrivent parfaitement le shikomori hautement valorisé par la politique révolutionnaire comorienne. On le francise en écrivant. Cet échec linguistique s’observe notamment dans nos écrits, à la télévision nationale où on peine à trouver un mot comorien pour construire sa phrase. C’est normal qu’une telle déception se lise aujourd’hui sur nos visages ! Ce serait un péché grave si nos enfants seront encore victimes de cette crise linguistique subie. Sur ce, je crois, pour ma part, que l’enjeu de la démocratisation culturelle passe, dès la rentrée à l’école maternelle, par l’appropriation d’un fond partagé d’histoires, de textes constamment enrichis par la culture linguistique et littéraire du pays.
Cette vision pédagogique est tuée, vous le savez, dans l’œuf par une reforme scolaire inintelligente de notre pays. Oui, les langues étrangères, on en a vraiment besoin pour s’ouvrir au monde et enrichir la nôtre mais apprendre aux élèves comoriens à parler, à lire, à écrire, à conter en comorien doit être mis de l’avant Monsieur le Ministre. Je ne pourrais pas être bavard comme une pie en soulignant l’importance incontestable du shikomori car une bonne cause s’explique normalement en peu de mots. Par contre, je ne pourrais pas être en manque d’arguments pour pointer du doigt le manque de courage de notre État qui oublie que sans l’apprentissage du comorien dans nos institutions, notre cher pays n’irait nulle part en matière de culture. Notre identité culturelle ne part donc pas d’un bon pied car le français, langue administrative de notre pays, est un feu secret qui consume lentement notre langue.
De nombreuses études sur notre langue ont été réalisées en France, à la Réunion, en Afrique et aux Comores. Je regrette que, faute de suivi, ces travaux de recherche inestimables ne reçoivent pas de l’État un encouragement. N’est-il pas exact et motivant d’illustrer aux étudiants comoriens la particularité de ces travaux pour la promotion du travail accompli ? Il serait nécessaire, Monsieur le Ministre, que vous profitez de ce progrès linguistique sans précédent pour harmoniser votre langue maternelle en constante perte en autorisant davantage son apprentissage dans nos établissements scolaires.
Enseignant, je sens le devoir de vous rappeler qu’il est inadmissible qu’à l’heure actuelle l’université des Comores, où l’enseignement de la grammaire française, arabe et anglaise occupe bel et bien une place beaucoup plus considérable, ne dispense pas un enseignement en langue comorienne. J’attire votre attention sur la promotion de cette langue par votre politique dont la volonté de vouloir la voir s’attacher aux valeurs de la nation et de la démocratie pour son épanouissement dans le monde devrait être votre souhait. Ce serait une étape certaine pour la construction et la valorisation de notre identité culture.
Cadre, vous êtes nommé aujourd’hui Ministre de l’éducation nationale du pays, où un jour très prochain vous serez remplacé par un autre. Profitez de cette belle occasion pour faire de cette belle langue un modèle performant par excellence, en posant le jalon de son enseignement dans les écoles publiques et privées. La réalisation pratique d’un tel projet ne devrait pas souffrir d’une quelconque négligence. Elle a besoin de votre capacité de réflexion et de votre disposition à sensibiliser, motiver les linguistes, les historiens, les enseignants, la direction de l’enseignement supérieur à porter un soutien infaillible pour la réalisation de ce projet dont vous serez bien entendu l’acteur principal.
Comoriens que nous sommes, nous attendons de vous cette détermination, cette mission à vouloir transformer l’abandon du comorien par l’État en une leçon dont le but est d’accorder une grande importance à une politique linguistique nécessaire à l’apprentissage de cette belle langue dont la grammaire s’identifie, s’impose, s’affirme et s’apprête à être enseignée. Je reste convaincu que ce projet pourrait se mûrir lorsque vous laisserez, il faut le dire, cette langue s’enseigner pour s’ouvrir au bonheur de tous ceux qui veulent l’utiliser pour le développement de notre littérature et de notre économie. Notre langue n’est pas une entité figée fixée une fois pour toute. Elle doit bouger à tout moment, et nous voudrions que votre force intellectuelle et politique soit présente dans l’exercice de ce combat, qui fera de vous un homme respecté et respectable.
Espérant que cette lettre est de nature à vous donner satisfaction, je vous prie, Monsieur le Ministre, de bien vouloir marquer votre accord pour l’apprentissage du comorien dans nos institutions.
Abdou Djohar