Hachimiya Ahamada: "Le cinéma me permet d'avancer"

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En cette période de la 2e édition du CIFF (Comoros International Film Festival), Salwa Mag fait un coup de projecteur sur une des cinéastes...

En cette période de la 2e édition du CIFF (Comoros International Film Festival), Salwa Mag fait un coup de projecteur sur une des cinéastes qui font l'honneur des Comores à l'étranger. A 39 ans, Hachimiya Ahamada est née à Dunkerque. De parents originaires de Ouellah Itsandra en Grande-Comore, elle vit aujourd'hui en Belgique. Après avoir expérimenté quelques petits portraits documentaires au sein d'un atelier vidéo dunkerquois ‘l’Ecole de la Rue’, elle a suivi une formation dans la section Réalisation à l'Insas (Institut National Supérieur des Arts du Spectacle et de la Diffusion) à Bruxelles.

 Elle en sort diplômée en 2004. En 2008, elle a réalisé sa première fiction de court métrage 'La Résidence Ylang Ylang' sur l'île de la Grande Comore (premier film comorien en format 35mm). Ce film a été présenté à la Semaine Internationale de la Critique à Cannes. Avec un répertoire de plusieurs films, couronné par la participation dans plusieurs festivals, Hachimiya nous raconte son parcours, sa vie de réalisatrice et surtout ses projets. Micro!

1. Parlez-nous un peu de votre carrière ?

Carrière est un grand mot. Pour le moment, dire que j’ai une carrière serait très égocentrique de ma part et pas très juste. Je vis humblement ma passion pour le Cinéma. J’ai pu faire des courts métrages documentaire, de fiction, un long métrage documentaire et dernièrement une création radiophonique. Travaillant sur des sujets avec lesquels je suis en conflit intérieur, le cinéma est un moyen de les résoudre. Ou du moins il me permet d’avoir quelques réponses à mes questionnements sur ma culture et sur le monde qui m’entoure. Il m’aide à rencontrer une multitude de personnes venant d’horizons différents de la phase d’écriture à la diffusion des films et ainsi à échanger avec eux. Ce média privilégie le partage à travers le biais de l’image. Constamment, il me permet d’avancer et de maintenir une ouverture d’esprit. Grâce à lui, je perçois le monde d’une certaine manière. Ce qu’il y a de beau dans ce domaine c’est de faire découvrir aux autres leur propre monde sous un autre angle. Qu’ils aient un déclic. Si j’arrive à transmettre des émotions, à toucher le spectateur intimement, alors j’ai atteint ce que je cherche.

2. De quoi parle-t-on dans vos films?

Mon tout premier court-métrage, Le Fréquentage (une coréalisation), aborde la rencontre amoureuse. Un couple ayant leurs yeux qui brillent nous dévoile leurs premiers émois amoureux. On oublie tout au long du film leur handicap. Ce portrait documentaire avait gagné le Grand Prix au festival de l’Acharnière en 1996. Cette première expérience m’avait donné envie de poursuivre encore les rencontres filmées. Il y a eu un second portrait documentaire en coréalisation également, le film Koulicoucou. On y côtoie l’exclusion. J’étais en âge où je pensais que le Cinéma pouvait changer le monde. Nous suivions un sans-abri, Jean-Pierre, qui errait dans mon quartier. Le film n’avait forcément pas changé sa vie : Jean-Pierre s’est éteint doucement dans l’isolement. Ce portrait a instantanisé ses moments où il était en lien avec les habitants du quartier et ses moments de solitude.

Par la suite, à l’INSAS, j’ai eu envie de raconter le mariage arrangé à travers un exercice d’école. C’est devenu le film Destin Tracé. Etant fille aînée dans ma famille, ça implique forcément le non-choix de vie, le contrôle social dictant qui il faut épouser et suivre la tradition du Anda. C’est une condition qui m’a extrêmement bousillé l’esprit jusqu’à très tard. Inconsciemment, par le non-dit, je portais un poids en moi. Cet exercice filmé, c’était un moyen d’exorciser cela. Sous la forme de fiction documentaire, j’ai mis en place une situation fictionnelle où un père impose un mari à sa fille. Puis, j’ai eu envie de confronter cette histoire avec la réalité d’autres jeunes femmes. J’ai forme fictionnelle.

Pour terminer, le reste de mes films (Feu leur Rêve/ La Résidence Ylang-Ylang/ L’Ivresse d’une Oasis) se focalisent sur le thème de la maison. Le rêve de construire sa résidence dans le village natal. Une construction qui ne finit jamais. La maison cristallise en un certain sens la désillusion. Les habitations restent vides et sans histoires. Elles sont fermées à clef en attendant le prochain retour des propriétaires. Je dis souvent que de « maison signifiant l’Eternel Retour », elles deviennent des « maisons de vacances » pour finir « en maison tombeaux ». Elles symbolisent juste une trace de vie.

La Résidence Ylang-Ylang (mon premier court-métrage de fiction) a eu la chance d’avoir eu sa première diffusion à la Semaine Internationale de la Critique à Cannes en 2008, moment magique qui a longuement continué car ce film a circulé dans plusieurs festivals internationaux. Il a traversé des pays que moi-même je n’ai pas visité.

Montrer ce film en festivals a été une manière de faire découvrir les Comores sous un certain angle avec une problématique propre aux comoriens tout en restant dans l’universel car d’autres nationalités se sont retrouvées en l’histoire de ces maisons indéfiniment en construction.

3. Comment êtes-vous arrivée au cinéma ?

Adolescente, je passais mes mercredis et mes samedis après-midi dans un atelier vidéo à Dunkerque. C’était plus qu’un loisir. C’était un lieu de réflexion, de création et de partage autour des images que l’on faisait et autour de films que l’on regardait dans la salle de cinéma jouxtant notre atelier. On avait aussi la chance de rencontrer des cinéastes confirmés de différentes nationalités. Cela a suscité des vocations. Une bonne partie d’entre nous se sont dirigés vers les métiers de cinéma.

En parallèle à ces activités, je filmais les mariages traditionnels surtout les Oukoumbi. C’était un bel exercice d’entraînement à l’image et à l’observation.

De ma position d’amatrice, j’ai eu envie de pousser plus loin et plus tard, accompagnée de mes amies, j’ai tenté le concours d’entrée à l’INSAS à Bruxelles (Institut National Supérieur des Arts du Spectacle et de la Diffusion). Concours réussi.

4. Quels sont vos plus grands souvenirs ? et réalisations ?

Deux bons souvenirs :

Il y a 20 ans exactement, je réalisais mon tout premier court métrage. J’ai encore en tête sa première diffusion dans une salle obscure. L’appréhension que le public n’apprécie pas ce qui défilait sur le grand écran. Le cœur qui battait à fond.

Mon autre beau souvenir concerne mon travail de repérages pour le documentaire l’Ivresse d’une Oasis. C’est une longue lettre filmée adressée à mon père. Longtemps après son décès, il fallait que je fasse un voyage initiatique pour découvrir ce qui fait la part de mon identité. Je cheminais seule librement sur les quatre îles de l’archipel avec ma caméra. Voir le pays en n’étant pas dans le contexte familial. J’ai rencontré des personnes qui m’ont chacun montré un visage différent des Comores. De cette pluralité, je me suis fait mon propre puzzle. J’en suis revenue très apaisée. Et puis, j’avoue avoir été très charmée par l’île de Mohéli. Je conseille à tout mon entourage de visiter cette île.

5. Quels sont les perspectives?

Plusieurs histoires restent rangées dans un tiroir. Mon temps ne me permet pas d’exploiter au mieux ces récits confinés sur le papier.

Pour le moment, je suis en train de mettre en place un projet documentaire avec l’aide d’une production belge Voa Films. Je suis en phase d’écriture et je me focalise sur les évènements de décembre 1976 à Majunga. L’avant et l’après carnage. Plus le temps passe, plus le peu d’informations que l’on a sur les faits s’effacent de nos mémoires. J’ai conscience que point de vue production, il va être difficile de le concrétiser mais ce n’est pas ça qui va me décourager.

Un message aux lecteurs?

Un message surtout à celles et ceux qui veulent se lancer dans ce domaine. Allez-y ! Il y a tout à faire. Le terrain est totalement vierge, libre de toute contrainte pour le moment. Ce qu’il manque c’est une industrie cinématographique et des distributeurs. Sinon, si la passion est là, il faut la suivre jusqu’au bout et sans relâche. Il y a tellement d’histoires à raconter …

Les Comores ont besoin d’un miroir grand écran pour mieux se réfléchir.

Propos recueillis par Salwa Mag .Credit Photo : Marie Betbeze
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