Maurice a un rôle à jouer dans le sensible contentieux de Mayotte, entre la France et l’Union des Comores, lors du prochain sommet de la COI...
Maurice a un rôle à jouer dans le sensible contentieux de Mayotte, entre la France et l’Union des Comores, lors du prochain sommet de la COI. Son opinion, Djaé Ahamada, vice-président de l’Assemblée de l’Union des Comores, la donne sans jouer sur les mots. Dans cet entretien, il qualifie de déstabilisatrice la présence française dans l’archipel
Récemment, votre collègue, le ministre des Affaires étrangères, est venu à Maurice pour signer un accord bilatéral et on lui a demandé si le contentieux Mayotte, entre les Comores et la France, avait été réglé. Il a répondu que c’était en voie d’être réglé. Votre intervention devant le parlement ACP-UE semble pourtant suggérer le contraire…
Ce n’est pas du tout réglé ! Politiquement, ce n’est pas réglé, et juridiquement aussi, ce n’est pas réglé. Mayotte continue d’accueillir les Comoriens parce que c’est leur territoire, mais ils se heurtent aux forces de police et de gendarmerie françaises qui sont sur place. Ce n’est pas réglé parce que ce n’est pas un problème entre les Comores et la France, mais entre l’Union africaine et la France.
Nous faisons partie d’organisations internationales comme l’Union africaine et la Commission de l’océan Indien (COI), et c’est à nous de mener la danse et de prendre le devant pour que les autres nous soutiennent. J’ai soulevé la question du contentieux Mayotte à Bruxelles et j’ai reçu l’appui de tout le monde. Une résolution d’urgence a été décrochée en ce sens. Les eurodéputés sont ensuite venus à Addis pour en débattre. Ils n’étaient que neuf, alors que les pays ACP étaient à 70.
Ils savaient que la résolution allait passer, et ils ont donc accepté que la résolution condamnant la présence française à Mayotte soit approuvée. Mais les eurodéputés ont opté pour le vote ‘house’, c’est-à-dire que chaque entité parlementaire devra voter de son côté. L’UE a fait son vote et les ACP aussi. Les ACP ont voté la résolution à 100%, alors que du côté européen, le vote a été rejeté à l’exception des députés issus du parti Vert. Les députés français des Verts ont vu qu’on ne pouvait accepter ce qui se passe à Mayotte. On ne peut pas accepter que Mayotte, terre africaine et musulmane, soit territoire européen au bout de l’océan Indien. C’est comme si on disait que Port- Louis était britannique. On n’acceptera jamais cela et on fera entendre nos voix dans tous les forums internationaux. J’insiste pour dire que c’est un problème de droit, parce que vingt résolutions onusiennes ont condamné cette présence française à Mayotte depuis 1975 à nos jours. Je ne contredis pas le ministre qui était de passage chez vous, mais le contentieux n’est pas réglé.
Mayotte est comorienne et elle le restera à jamais !
On vit cela avec une douleur très profonde. J’ai exposé la réalité aux parlementaires ACP-UE et je leur ai dit : « Suivez les médias français, parce que ce qu’on croit savoir sur les gens vivant à Mayotte, c’est tout à fait l’inverse qui est vrai. » J’ai partagé la triste situation de quelques 600 enfants qui errent à Mayotte, et dont les parents ont été chassés. Mais il y a aussi les postes d’enseignants vacants et les bidonvilles. Il y a une partie pour les gens aisés, je veux dire les Français et la bourgeoisie mayottaise, et une autre pour le petit peuple, qui est en train de souffrir. C’est intolérable ! Prenez le cas du niveau de scolarité de la région, particulièrement des quatre îles, et vous verrez que Mayotte est au plus bas de l’échelle en matière de scolarité. Peutêtre qu’il y a des hôpitaux, mais c’est normal. Il y a des Français qui sont là et qui doivent se soigner avant de prendre l’avion pour La Réunion ou bien pour la France. Ils se soignent sur place à Mayotte. Il y a des hôtels parce qu’ils veulent vivre correctement dans cette île, mais le petit peuple est en train de faire face à tous les problèmes.
Cela sera abordé. Ce qui est contradictoire, c’est qu’il y a par exemple, ici, le Haut Conseil paritaire Comores-France. Et ce Haut Conseil existe depuis l’indépendance. Ici, on continue les négociations, et là-bas, on dit que c’est territoire d’outremer. Quand on est amis, il faut parler d’un langage franc et cohérent…
Je sais que Maurice a un rôle à jouer dans ce litige et surtout dans ce sommet. Nous ne sommes pas un peuple violent. Il y a plus de 300 Comoriens qui vivent en France. Nous ne sommes même pas un million. Je parle et enseigne le français. Je ne fais qu’un constat de réalité vivante et cruciale. On ne peut pas tolérer que des gens meurent parce qu’ils veulent se déplacer d’une île à une autre. Pourquoi injecter 80 millions euros dans une île et donner quatre millions seulement pour quatre îles.
Récemment, votre collègue, le ministre des Affaires étrangères, est venu à Maurice pour signer un accord bilatéral et on lui a demandé si le contentieux Mayotte, entre les Comores et la France, avait été réglé. Il a répondu que c’était en voie d’être réglé. Votre intervention devant le parlement ACP-UE semble pourtant suggérer le contraire…
Ce n’est pas du tout réglé ! Politiquement, ce n’est pas réglé, et juridiquement aussi, ce n’est pas réglé. Mayotte continue d’accueillir les Comoriens parce que c’est leur territoire, mais ils se heurtent aux forces de police et de gendarmerie françaises qui sont sur place. Ce n’est pas réglé parce que ce n’est pas un problème entre les Comores et la France, mais entre l’Union africaine et la France.
Nous faisons partie d’organisations internationales comme l’Union africaine et la Commission de l’océan Indien (COI), et c’est à nous de mener la danse et de prendre le devant pour que les autres nous soutiennent. J’ai soulevé la question du contentieux Mayotte à Bruxelles et j’ai reçu l’appui de tout le monde. Une résolution d’urgence a été décrochée en ce sens. Les eurodéputés sont ensuite venus à Addis pour en débattre. Ils n’étaient que neuf, alors que les pays ACP étaient à 70.
Ils savaient que la résolution allait passer, et ils ont donc accepté que la résolution condamnant la présence française à Mayotte soit approuvée. Mais les eurodéputés ont opté pour le vote ‘house’, c’est-à-dire que chaque entité parlementaire devra voter de son côté. L’UE a fait son vote et les ACP aussi. Les ACP ont voté la résolution à 100%, alors que du côté européen, le vote a été rejeté à l’exception des députés issus du parti Vert. Les députés français des Verts ont vu qu’on ne pouvait accepter ce qui se passe à Mayotte. On ne peut pas accepter que Mayotte, terre africaine et musulmane, soit territoire européen au bout de l’océan Indien. C’est comme si on disait que Port- Louis était britannique. On n’acceptera jamais cela et on fera entendre nos voix dans tous les forums internationaux. J’insiste pour dire que c’est un problème de droit, parce que vingt résolutions onusiennes ont condamné cette présence française à Mayotte depuis 1975 à nos jours. Je ne contredis pas le ministre qui était de passage chez vous, mais le contentieux n’est pas réglé.
La terre que nous ont léguée nos ancêtres est composée des quatre îles de Ngazidja, Ndzuwani, Maoré et Moili, et les Comoriens de ma génération n’auront de cesse de se battre, pacifiquement, pour qu’à leur tour, ils puissent léguer cette terre aux générations futures.
Mayotte est comorienne et elle le restera à jamais !
Comment peut-on décrire la situation à Mayotte ?
Comment les Comoriens des trois autres îles vivent-ils cette situation ?
On vit cela avec une douleur très profonde. J’ai exposé la réalité aux parlementaires ACP-UE et je leur ai dit : « Suivez les médias français, parce que ce qu’on croit savoir sur les gens vivant à Mayotte, c’est tout à fait l’inverse qui est vrai. » J’ai partagé la triste situation de quelques 600 enfants qui errent à Mayotte, et dont les parents ont été chassés. Mais il y a aussi les postes d’enseignants vacants et les bidonvilles. Il y a une partie pour les gens aisés, je veux dire les Français et la bourgeoisie mayottaise, et une autre pour le petit peuple, qui est en train de souffrir. C’est intolérable ! Prenez le cas du niveau de scolarité de la région, particulièrement des quatre îles, et vous verrez que Mayotte est au plus bas de l’échelle en matière de scolarité. Peutêtre qu’il y a des hôpitaux, mais c’est normal. Il y a des Français qui sont là et qui doivent se soigner avant de prendre l’avion pour La Réunion ou bien pour la France. Ils se soignent sur place à Mayotte. Il y a des hôtels parce qu’ils veulent vivre correctement dans cette île, mais le petit peuple est en train de faire face à tous les problèmes.
Pensez-vous que ce sujet doit être abordé lors du prochain sommet de la COI, qui se tiendra à Moroni, aux Comores ?
Cela sera abordé. Ce qui est contradictoire, c’est qu’il y a par exemple, ici, le Haut Conseil paritaire Comores-France. Et ce Haut Conseil existe depuis l’indépendance. Ici, on continue les négociations, et là-bas, on dit que c’est territoire d’outremer. Quand on est amis, il faut parler d’un langage franc et cohérent…
Maurice a soutenu la candidature des Comores à l’organisation du prochain sommet. Avez-vous un message à transmettre aux dirigeants mauriciens ?
Je sais que Maurice a un rôle à jouer dans ce litige et surtout dans ce sommet. Nous ne sommes pas un peuple violent. Il y a plus de 300 Comoriens qui vivent en France. Nous ne sommes même pas un million. Je parle et enseigne le français. Je ne fais qu’un constat de réalité vivante et cruciale. On ne peut pas tolérer que des gens meurent parce qu’ils veulent se déplacer d’une île à une autre. Pourquoi injecter 80 millions euros dans une île et donner quatre millions seulement pour quatre îles.
C’est cela le déséquilibre. Les accords de défense que nous avons signés, c’est parce que nous nous sentons mieux avec les Français. Mais on ne peut oublier que le 12 novembre 1975, les autres îles des Comores ont été admises, comme le nouvel Etat comorien indépendant, membre à part entière de l’Organisation des Nations unies. Mais en dépit de cette résolution clairement exprimée, depuis cette date, le fait colonial français s’est replié sur l’île comorienne de Mayotte. La question a connu de nombreuses péripéties, mais elle est en train de franchir une nouvelle étape de par le processus engagé par l’Etat français pour parachever l’annexion, du point de vue de son droit interne, de cette île. Il s’agit de la transformation de Mayotte en région ultrapériphérique de l’Europe à l’horizon 2014.
Ce faisant, l’Etat français fait, encore une fois, fi du droit international, comme maintes fois rappelé par les multiples résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies et d’autres instances internationales, qui réaffirment l’intangibilité des frontières de l’Union des Comores, héritées de la colonisation, et qui condamne à l’avance tout référendum organisé sur l’île comorienne de Mayotte.
J’ai déclaré que l’Etat français souhaite entraîner les autres Etats européens dans sa démarche de balkanisation du petit état comorien. Nous avons attiré l’attention des membres parlementaires sur l’iniquité d’une telle démarche et sur son caractère illégal. La meilleure preuve que l’Etat français pourrait donner de sa bonne foi et de son amitié envers les Comores serait de surseoir toute nouvelle action visant à compliquer davantage le contentieux qui nous divise sur cette question de Mayotte, notamment en suspendant le processus de rupéisation (Ndlr : terme renvoyant aux départements et territoires très éloignés du continent européen, mais qui font néanmoins partie de l’Union européenne) de cette île. La rupéisation de l’île comorienne de Mayotte va constituer un signal supplémentaire envers les personnes candidates à l’immigration, non plus vers la France, mais vers l’Europe, et par la même occasion multiplier les drames en mer.
Quel a été votre message à Addis ?
J’ai déclaré que l’Etat français souhaite entraîner les autres Etats européens dans sa démarche de balkanisation du petit état comorien. Nous avons attiré l’attention des membres parlementaires sur l’iniquité d’une telle démarche et sur son caractère illégal. La meilleure preuve que l’Etat français pourrait donner de sa bonne foi et de son amitié envers les Comores serait de surseoir toute nouvelle action visant à compliquer davantage le contentieux qui nous divise sur cette question de Mayotte, notamment en suspendant le processus de rupéisation (Ndlr : terme renvoyant aux départements et territoires très éloignés du continent européen, mais qui font néanmoins partie de l’Union européenne) de cette île. La rupéisation de l’île comorienne de Mayotte va constituer un signal supplémentaire envers les personnes candidates à l’immigration, non plus vers la France, mais vers l’Europe, et par la même occasion multiplier les drames en mer.
L’Europe se scandalise de ce qui se passe en Méditerranée, mais ignore ce qui se passe dans l’océan Indien de par les mêmes causes… Il y a eu 6 000 morts en mer, entre Anjouan et Mayotte, depuis 1994
L’Europe se scandalise de ce qui se passe en Méditerranée, mais ignore ce qui se passe dans l’océan Indien de par les mêmes causes. Pas un jour ne se passe sans qu’une voix ne s’élève pour parler de Lampedusa, mais globalement, Mayotte est, depuis longtemps, pire que Lampedusa. Il y a eu 6 000 morts en mer, entre Anjouan et Mayotte, depuis 1994. Moralement, c’est tout simplement inacceptable. L’attractivité de Mayotte pour la population des Comores et d’autres pays du continent africain va se trouver démultipliée par les ressources financières que l’Etat français déverse sur cette île et que l’Europe, dans le cadre du nouveau statut de région périphérique, va amplifier. Le différentiel de niveau de vie artificiellement entretenu entre l’île comorienne de Mayotte et les autres îles de l’Archipel est un facteur de déstabilisation permanente de cette région du monde. Plusieurs dizaines d’années durant, l’Etat français a fait le choix du tout répressif pour endiguer l’effet d’osmose qu’il a lui-même créé en créant un eldorado français aux portes de l’Afrique, engloutissant ainsi des millions d’euros en radars, vedettes rapides et autres, qui ne réussiront pas à endiguer le phénomène, mais qui sont perdus pour le développement de nos îles. En même temps que les crédits alloués à la coopération se réduisent comme peau de chagrin, ceux de la répression contre ce que l’on qualifie d’« immigration clandestine » ne cessent d’augmenter d’année en année.
Jusqu’à quand se poursuivront ces revendications ?
La terre que nous ont léguée nos ancêtres est composée des quatre îles de Ngazidja, Ndzuwani, Maoré et Moili, et les Comoriens de ma génération n’auront de cesse de se battre, pacifiquement, pour qu’à leur tour, ils puissent léguer cette terre aux générations futures. Et si par malheur ce combat n’aura pas d’ici là abouti, il leur reviendra de le continuer et de ne jamais abandonner.
ENTRETIEN DE DJAÉ AHAMADA, VICE-PRÉSIDENT DE L’ASSEMBLÉE DE L’UNION DES COMORES - CAPITAL PUBLICATIONS | EDITION 02
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