Corruption en Afrique : le Noir est-il plus malhonnête que les autres races ?

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Nous le savons tous, la tare principale qui empêche l’Afrique d’enclencher un processus durable de développement est le niveau élevé de la ...

Nous le savons tous, la tare principale qui empêche l’Afrique d’enclencher un processus durable de développement est le niveau élevé de la corruption. D’une façon générale, du sommet de l’Etat africain au plus petit fonctionnaire, chacun utilise son poste pour servir ses intérêts personnels. Que ce soient les détournements de fonds, les surfacturations, les rackets ou extorsions de fonds aux usagers, les ventes de toutes sortes de documents ou les vols de matériels, c’est toute la panoplie du parfait banqueroutier qui est déployée par les agents des secteurs publics et parapublics africains pour se faire de l’argent, soit au détriment de la puissance publique, soit au détriment des populations et des opérateurs économiques. Ce fléau ravage nos pays plus que tout autre mal. 
 
Dans le classement 2013 de l’ONG Transparency International qui évalue la perception de la corruption de 175 pays dans le monde, sur les 59 derniers figurent les 27 pays africains suivants, par ordre de mérite décroissant : 
119e Mauritanie, Mozambique et Sierra Leone, 123e Togo, 127e Comores, Gambie, Madagascar et Mali, 136e Côte d’Ivoire et Kenya, 140e Ouganda, 144e Cameroun, Centrafrique et Nigeria, 150e Guinée, 153e Angola, 154e Congo Brazzaville et RD Congo Kinshasa, 157e Burundi et Zimbabwe, 160e Erythrée, 163e Tchad, Guinée Equatoriale et Guinée Bissau, 173e Soudan du Sud, 174e Soudan, 175e Somalie.
 
 Ces pays, il ne faut pas se faire d’illusions, n’ont aucune chance de se redresser ou de conduire de façon durable leur développement tant que la corruption restera à ce niveau. Il ne vous a pas échappé que l’Afrique clôt la liste avec trois pays totalement ruinés, ravagés par les guerres et la misère. En réalité, si rien ne change, c’est le sort qui attend les 30 derniers pays africains de ce classement.

Alors, ils sont nombreux les Africains qui, souffrant de ce fléau, se demandent si le Noir, de nature, n’est pas plus malhonnête que les autres races. On parlerait de racisme si la question venait des autres, mais elle vient de nous-mêmes, de gens qui s’interrogent. C’est à cette interrogation, en elle-même révélatrice de lucidité et source d’espoir, que nous voulons donner quelques éléments de réponses. D’abord, nous savons tous que les pays prospères ne sont pas composés que de dirigeants ou de cadres honnêtes, mus uniquement par l’intérêt général. D’une façon générale, pour peu que le jeu en vaille la chandelle, une majorité de gens est prête à tricher, en Afrique, en Occident ou partout ailleurs dans le monde. Pour nous limiter à des cas de l’actualité récente, nous pouvons donner l’exemple de l’ex-premier ministre israélien Ehud Olmert qui a été condamné le 13 mai 2014 à six ans de prison pour corruption, ou d’un haut cadre du ministère de l’Energie en Chine qui est poursuivi pour avoir stocké chez lui, à son domicile, 12 millions d’euros (près de 8 milliards de francs CFA) en espèces. Régulièrement, les cas de détournements, de revenus ou avantages indécents, de conflits d’intérêts et autres ponctuent l’actualité des pays les plus développés. La malhonnêteté n’est donc pas une exclusivité africaine.

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Le problème en Afrique est que, du fait d’une carence totale de contrôle et d’une impunité stupéfiante, ce fléau a atteint des proportions de nature à handicaper toute la société. Le mal a tellement été accepté qu’il a fini par gangrener toute la société et s’est imprimé sur les mentalités. L’Afrique est atteinte d’anomie, et toute tentative de réforme est réduite à néant par la corruption. « Mais pourquoi les Africains tolèrent-ils plus la malhonnêteté que les autres ? », pourrait-on demander. En fait, comment a-t-on bâti ce mal depuis les indépendances, au fil des décennies ? Je me baserai ici sur le cas de la Côte d’Ivoire que je connais bien, mais le scénario est similaire dans les autres pays. Au lendemain des indépendances, les dirigeants du nouvel Etat africain ont ressenti le besoin de s’affirmer, de se donner du prestige aux yeux populations et surtout face au pouvoir des chefs traditionnels que la colonisation avait bridé pendant plus d’un demi-siècle.
 
 Les deniers publics vont être mis à large contribution pour une vaste pratique de clientélisme, appelé la géopolitique, destinée à frapper les esprits dans toutes les régions du pays : les hauts cadres sont autorisés à puiser dans les caisses des départements ou établissements qui leur sont confiés pour entretenir la clientèle de leur région. Une espèce de bourgeoisie administrative créée de toute pièce pour soutenir la gloire du régime ! Les cadres prendront l’argent, mais pour eux-mêmes et non pour leurs régions. Cette élite ne se refusera rien ! A cette époque, le directeur général de toute entreprise publique avait au moins trois résidences, une à la capitale, une au village et un appartement à Paris. A cela, il faut ajouter toutes les résidences secondaires où sont logées les maîtresses, sans parler du parc automobile, parfois digne d’une rock star ! L’élite africaine va donc s’habituer à un train de vie sans commune mesure avec les moyens de son pays. Un égoïsme et une inconscience coupables ! Ces détournements de deniers publics vont ruiner les services publics et réduire les capacités des Etats à investir dans les équipements sociaux et les infrastructures. 
 
 
Les établissements publics et les sociétés d’Etat en deviendront de vrais gouffres financiers où chaque année le trésor public devait injecter à perte le fruit du labeur des paysans et des masses laborieuses. A la fin des années 1970, en moins de deux décennies, l’Afrique s’était déjà appauvrie, dans un contexte plus difficile, lié à la détérioration des termes de l’échange ainsi qu’à l’explosion démographique qui avait multiplié par trois les bouches à nourrir. La sagesse aurait voulu que l’élite se ressaisisse, mais c’est le contraire qui se produisit, car avec les revendications socio-politiques qui s’annonçaient, le clientélisme redoubla de vigueur. En 1982, Houphouët-Boigny dira en direct à la télévision aux Ivoiriens : «on ne regarde pas dans la bouche de celui qui grille les arachides», comme une autorisation de pillage à sa clientèle politique. Le vieux président ajoutera même : «Quel homme sérieux dans ce monde n’a pas d’argent en Suisse ?» 
 
 
Pour que l’élite puisse conserver son train de vie, c’est le reste de la population qui doit se serrer la ceinture : les salaires des fonctionnaires et des travailleurs du privé sont maintenus très bas, les structures sanitaires sont de moins en moins équipés, les établissements d’enseignement se dégradent, les voies routières sont de moins en moins entretenues, etc. Pendant les années 1980, la précarité se généralise, conduisant une proportion importante de la population dans le système D et le secteur informel. Pour la majorité des fonctionnaires et des travailleurs, il devient impossible de vivre décemment avec son seul salaire. Dans un tel contexte où la solidarité nationale a disparu au profit de la lutte pour la survie, la corruption a libre cours, au vu et au su de tous. La corruption dans la société est comme l’inflation galopante dans l’économie : tout le monde croit s’enrichir, alors qu’en réalité tout le monde s’appauvrit. Le vrai problème que nous avons aujourd’hui, c’est que pour nombre de nos compatriotes, la corruption est tout à fait normale. Le cadre africain responsable des achats, quand il n’est pas trop gourmand, réclame ses 10 à 15% de commissions aux fournisseurs de son entreprise comme un droit.

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Nous sommes dans une société absurde, dans un monde sauvage où le bon sens du contrat social a disparu. Le contrôle et la sanction ne font pas partie de la culture politique africaine. Nous devons remettre l’Etat dans son rôle au service des populations, avec une meilleure répartition des revenus et une utilisation rationnelle de l’argent public. C’est ainsi que nous redresserons progressivement la situation. Pour cela l’Afrique a besoin de dirigeants responsables, capables d’analyser les problèmes et de les affronter avec courage. Si aujourd’hui la Chine est un pays qui avance à pas de géant, c’est grâce au sens de la responsabilité publique de ses dirigeants : quand il a fallu imposer l’enfant unique en vue de maîtriser les besoins des populations, ils l’ont décidé ; depuis l’année dernière, considérant que le rang de 80e pays le plus corrompu n’est pas conforme à leurs ambitions, les autorités ont lancé une campagne inédite de lutte contre la corruption qui a aboutit à des sanctions pour plus de 180.000 cadres, hauts responsables ou subalternes. C’est ce qu’on appelle conduire un pays vers une destinée meilleure ! Signalons qu’il n’y a pas à désespérer pour l’Afrique, car le Ghana, un des pays les plus corrompus d’Afrique des années 1960 et 1970, occupe aujourd’hui le rang honorable de 63e, comme le résultat de la lutte acharnée contre la corruption menée par Jerry Rawlings au cours de la décennie 1980. C’est le lieu de saluer le Botswana, un pays qui fait honneur à notre continent depuis son indépendance, et, s’il en était besoin, prouve avec son rang de 30e que la moralité publique n’est pas l’apanage des autres races.

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Si on peut pardonner aux premiers chefs d’Etats africains cette irrationalité économique d’avoir favorisé la corruption, aujourd’hui, après 50 ans de retour d’expérience et le constat des dégâts induits, nous ne pouvons pas être complaisants avec des dirigeants (dont certains se veulent de grands économistes!) qui se complaisent encore dans cette pratique nuisible. Cette complaisance est révélatrice d’une inculture d’un autre âge. Les dirigeants africains doivent, ici et maintenant, engager une lutte acharnée et permanente contre ce grave fléau. Seul le caractère permanent et soutenu de ce combat développera, à la longue, une majorité de personnes honnêtes, voire intègres, pour servir la collectivité à des responsabilités diverses. Aucun être humain ne naît nécessairement saint, mais le fonctionnement général d’une société bien gouvernée peut lui inculquer de grandes valeurs morales.

La volonté populaire étant le vrai moteur de la puissance publique, nous vous invitons à rejoindre le combat pour imposer partout en Afrique la moralisation de la vie publique, la lutte contre la corruption. Le redressement des sociétés africaines est à ce prix.
Jeunesse d’Afrique, la balle est dans ton camp !
 
 Image d'illustrationChacha Mohamed
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