Deux ennemis unis par le maniement du verbe et l’obsession de convaincre. « Je dirigerai les Comores et ta tâche consistera à me crit...
Deux ennemis unis par le maniement du verbe et l’obsession de convaincre.
«Je dirigerai les Comores et ta tâche consistera à me critiquer». L’auteur de cette phrase prémonitoire n’est autre que le bon Hamada Madi Boléro, alors âgé de 13 ans. Il s’adressait à moi. Nous étions en 1977 et usions nos fonds de culotte sur les bancs de la classe de 6ème, au Collège rural de Fomboni! Même si tout vient d’une lecture assidue et acharnée, jusqu’à ce jour, personne ne sait comment un garçon de 13 ans, qui se surnommait lui-même «Lénine», maîtrisait la doxa marxiste-léniniste du bout de ses doigts. Moins de cinq ans plus tard, un «Prophète» apparaissait à Anjouan, après des «études», semble-t-il en Arabie Saoudite et en Iran. Ahmed Sambi, puisqu’il s’agit de lui, tout en s’autoproclamant seul connaisseur de l’Islam aux Comores, avait déjà attiré sur lui l’attention du Président Ahmed Abdallah en ce début des années 1980, un Président qui disait de lui qu’«il paraît qu’un nouveau Prophète a reçu la Révélation de Dieu» et qui, en visionnaire, disait qu’Ahmed Sambi finirait par diriger les Comores. Il le détestait à cause des troubles sociaux que suscitait son discours «religieux», en décalage total avec le vécu islamique des Comores, qui débuta dès la troisième décennie de l’Islam, puisque les Comoriens sont partis à Médine chercher l’Islam et non le contraire.
Donc, dès leur jeune âge, Hamada Madi Boléro et Ahmed Sambi se signalaient par leur incroyable annonce d’une boulimie du pouvoir et par leur certitude qu’ils étaient prédestinés, créés par Dieu pour diriger les autres. Dès le début des années 1980, Ahmed Sambi mobilisait et électrisait les foules par un discours «religieux» qui intriguait et suscitait la curiosité des gens, surtout à Anjouan. En 1976, alors que le prodige Hamada Madi Boléro avait 12 ans, il était déjà le chef d’un mouvement de scouts qui faisait des défilés militaires nettement mieux organisés que ceux des soldats eux-mêmes. Tous les gens placés sous ses «ordres» étaient beaucoup plus âgés que lui, mais, le chef, c’était lui et personne d’autre. Un homme de pouvoir. Un homme fait pour commander, pour le meilleur, mais également pour le pire.
Aujourd’hui, tout le monde sait que les deux hommes se détestent. À son arrivée au pouvoir en 2006, Ahmed Sambi avait tout fait pour emprisonner Hamada Madi Boléro, dont l’étoile a beaucoup brillé sur le firmament du régime politique d’Azali Assoumani: Directeur du Cabinet du Président chargé de la Défense, Premier ministre, Président de la République par intérim, ministre de la Défense, premier Directeur général de l’ORTC-TNC, la Télévision comorienne. C’est en tant que Directeur de la Télévision que Hamada Madi Boléro donnait des conseils au Président Ahmed Sambi sur le fait qu’il ne devait pas tourner son fauteuil pendant qu’il avait les caméras braquées sur lui. Finalement, Ahmed Sambi n’arriva pas à envoyer Hamada Madi Boléro en prison, et ce dernier joua un grand rôle dans le mouvement ayant obligé Ahmed Sambi à organiser l’élection présidentielle de 2010. La haine d’Ahmed Sambi envers Hamada Madi Boléro monta de plusieurs crans, pendant que le Mohélien ne fit aucun effort pour occulter son mépris envers l’«“Ayatollah” qui n’est, en réalité, qu’un charlatan qui n’a jamais été capable de traduire et d’expliquer un seul verset du Coran». Mercredi 10 octobre 2012, quand avait été annoncée la nomination de Hamada Madi Boléro pour diriger le Cabinet du chef de l’État et la Défense, Ahmed Sambi prit ce choix pour une «trahison», et commença à rompre avec son ex-Vice-président et poulain, Ikililou Dhoinine.
Mais, malgré la haine et la détestation qui existent entre les deux hommes, nonobstant le profond mépris de Hamada Madi Boléro pour Ahmed Sambi, les deux hommes ont un point commun: le maniement du verbe. Ils ont tous les deux le verbe facile. Ils sont capables de faire sortir de leurs bouches ce qu’ils veulent, et il y a toujours des gens pour les prendre au sérieux. Ahmed Sambi parle pour promettre le Paradis aux Comores. Hamada Madi Boléro parle pour montrer qu’il connaît l’État, ses arcanes et ses bas-fonds. Les deux hommes font tout pour montrer qu’ils sont les meilleurs et qu’ils ont toujours raison. Mais, Ahmed Sambi déteste les débats et les confrontations, ne voulant que le statut d’orateur unique, pendant que Hamada Madi Boléro n’est aux anges que quand il a un interlocuteur devant lui. En termes de techniques de communication politique, il y a en lui quelque chose de Nicolas Sarkozy quand, pour valoriser l’intervieweur, se fait une obligation sacerdotale de répéter son nom. Il faut entendre Hamada Madi Boléro répéter le nom de son intervieweur fétiche: Ben Abdou. Et ce dernier rayonne d’une lumière intérieure et extérieure quand il a devant lui Hamada Madi Boléro. Ces choses-là se voient quand on a longtemps travaillé dans la communication.
Hamada Madi Boléro est toujours dans la posture d’un professeur qui explique une leçon à un élève. À l’opposé, Ahmed Sambi est l’homme des discours sans fin, l’homme qui veut parler sans être interrompu, ni être contrarié, ni être questionné. Il est l’homme des discours-fleuves. Il promet pendant que Hamada Madi Boléro explique. Hamada Madi Boléro est l’homme qui sait tout, et Ahmed Sambi est l’homme qui peut tout. Hamada Madi Boléro explique pendant qu’Ahmed Sambi promet. Pendant qu’Ahmed Sambi enflamme les foules par des promesses sans queue, ni tête, Hamada Madi Boléro fait étalage de sa stature d’homme d’État qui maîtrise ses dossiers. Il ne se veut pas en homme qui promet, mais en homme qui a parfaitement réussi sa mission. Hamada Madi Boléro dit: «Je n’ai pas besoin d’être économiste pour comprendre certaines choses qui découlent de la logique économique. C’est pour ça que, quand j’étais Premier ministre puis Président de la République par intérim, j’arrivais toujours à payer les fonctionnaires sans aucun mois d’arriérés de salaire».
Un journaliste mohélien dit avoir une faiblesse: «Si quelqu’un, à Mohéli, devait me faire peur, cet homme-là ne pourrait être que Hamada Madi Boléro». Quand on enquête sur ladite «faiblesse», notre homme dit laconiquement: «Comment ne pas avoir peur d’une personne qui a une telle force de persuasion qu’il peut vous convaincre de tout ce qu’il veut?». J’en ai fait l’expérience en disant à Hamada Madi Boléro qu’il est bien soupçonné de malversations financières sous la présidence d’Azali Assoumani. L’homme de Mohéli, arborant son demi-sourire le plus désarmant, lance à la cantonade: «Comment pourrais-je détourner de l’argent public qui n’existait pas?». Quand il pose sa fameuse question en guise de réponse, le magnétisme qui se dégage en lui est d’une telle intensité qu’on est obligé de le croire. Faisons l’expérience avec Ahmed Sambi par la question sur son bilan entièrement négatif, de 2006 à 2011. Il fait tout pour expliquer qu’il a été un très bon Président mais qu’il a été trahi par les siens: «Ce n’est pas ma faute, mais celle des autres». Il est même prêt à enfoncer ses amis du Moyen-Orient de nationalité indéterminée et douteuse, en disant ce que les Comoriens répètent depuis des années sur la confiance aveugle des autorités comoriennes à leur égard.
Ahmed Sambi déploie un discours «religieux» pour se faire admettre comme un homme fiable. Cependant, quand on connaît bien l’Islam, on sait tout de suite qu’il n’a jamais cru en Dieu et que s’il croit à Dieu, il s’agit d’un Dieu qu’il s’est inventé, car il est difficile de croire en son Dieu. Sa connaissance de l’Islam est complètement erronée et, en tout état cause, il ne peut pas s’agir d’Islam sunnite, pratiqué par presque tous les Comoriens. Par contre, certains détracteurs sont toujours prompts à accuser Hamada Madi Boléro d’athéisme et de liberté avec l’Islam, alors que l’intéressé est capable de tenir un discours islamique qui dépasse de loin toutes les connaissances «religieuses» d’Ahmed Sambi. Cependant, Ahmed Sambi a une clientèle politique que n’a pas Hamada Madi Boléro. Quand on cherche la raison, on se rend compte que celle-ci ne relève pas de la dialectique et de la puissance du verbe, mais d’une motivation beaucoup plus prosaïque: Ahmed Sambi fidélise les siens parce qu’il est devenu trop riche, pendant que même Abdallah Saïd Sarouma, dit «Baguiri», dit «Gris-gris», dit «Chabhane», avait refusé, en 2010, d’être le colistier de Hamada Madi Boléro, son «ami de 30 ans», au prétexte que celui-ci n’avait pas beaucoup d’argent pour sa campagne électorale.
On aimerait donc que Ben Abdou organise un débat télévisé opposant Hamada Madi Boléro à Ahmed Sambi. Ça aurait été un grand moment de télévision, mais qui relève du rêve.
Par ARM