Ahmed envoie tous les mois de l’argent à ses proches. Un « contrat moral » qui ne l’empêche pas de bien vivre. Il ouvre son porte-monnaie...
Ahmed envoie tous les mois de l’argent à ses proches. Un « contrat moral » qui ne l’empêche pas de bien vivre. Il ouvre son porte-monnaie à Rue89.
Une enveloppe
« Comme je dis souvent à mes copains, je paye deux fois l’impôt : une fois à ma famille, une fois à l’Etat. »Aujourd’hui employé dans une grande entreprise d’assurance, ce Franco-Comorien mène une vie simple mais confortable. Il habite une banlieue « assez bourgeoise » proche de Paris, sort et voyage.
« Je ne peux pas vivre tranquillement alors qu’ils galèrent »
Il sait que ses parents y sont pour beaucoup. Lorsqu’il a quitté les Comores pour poursuivre des études supérieures, sa famille s’est sacrifiée pour lui offrir l’opportunité d’une vie « moins pauvre que la moyenne » des gens de son pays . A son départ, parents, oncles et tantes ont mis la main à la poche pour lui offrir un petit pécule : 2 000 euros, qui feront vivre Ahmed pendant deux ans.« La gratitude, la reconnaissance, ça fait partie de ce qu’on m’a appris », dit-il simplement. C’est avec humilité qu’il rend aujourd’hui la pareille.
« Dans mon pays d’origine, celui qui s’en sort dans la famille doit subvenir aux besoins des autres. Ça fait partie de ma culture. Je ne peux pas vivre ma vie tranquillement en France sachant que mes parents sont restés là-bas et sont en train de galérer. »
« Le paradis est sous les pieds de ta mère »
Il parle beaucoup de sa mère. Il est croyant, même s’il ne prie pas assez au goût de son père :« Dans la religion musulmane, il y a une phrase – je ne suis pas sûr de la traduction – qui dit que le paradis se situe sous les pieds de ta mère. Il faut la rendre heureuse. »Si cette redevance mensuelle est parfois un poids pour lui, il assure s’en acquitter sans s’y sentir obligé ; et le jeune homme a la générosité pragmatique.
« La question ne s’est jamais posée. J’aide mes parents, c’est comme ça. Si je ne le fais pas, qui va le faire ? Mais je leur ai toujours dit que je les aiderai tant que je pourrai. En aucun cas il faut que ça me mette dans la merde. »
Revenus : environ 2 798 euros par mois
- Salaire : 2 568 euros par mois
« Le plus dur, c’est de trouver une entreprise qui veut bien vous embaucher, faire des démarches longues et coûteuses pour vous faire changer de statut. »Sa mutuelle (78 euros) est directement prélevée sur son salaire. Chaque mois, il touche donc 2 490 euros net.
- Prime : 1 500 euros en début d’année, soit 125 euros par mois
« Ils appellent ça une “ prime exceptionnelle ”. J’imagine que c’est parce qu’ils sont contents de moi. J’aurais préféré une augmentation. »
- Avantages : environ 105 euros par mois
- Sport et activités culturelles : environ 21 euros par mois pour son inscription au tennis, selon les estimations d’Ahmed, et 15 euros pour ses activités culturelles.
- Avantage sur son assurance habitation : 25%, soit environ 3 euros par mois.
Les revenus d’Ahmed
Dépenses fixes : 1 570 euros par mois
- Impôt sur le revenu : il a payé 2 680 euros l’année dernière, soit 223 euros par mois
« Je me sens redevable de la France : pendant mes études, j’ai eu le droit aux APL, à la CMU, j’ai eu les mêmes opportunités qu’un Français. Maintenant, je contribue. »
- Loyer : 768 euros par mois (charges comprises)
Ahmed aurait pu trouver « mieux, plus grand, moins cher » ailleurs, mais il a choisi son logement en fonction de la sous-préfecture à laquelle son quartier était rattaché :
« Quand j’ai été embauché, je n’étais pas encore français, j’avais le statut de salarié étranger. Je voulais une sous-préfecture où il ne fallait pas se lever à 6 heures du matin pour renouveler mon statut. A Bobigny par exemple, certains y vont la veille pour le lendemain. Ici, c’est moins bondé qu’ailleurs. »Finalement, il n’a pas eu à renouveler sa carte de salarié étranger : un mois après son emménagement, son dossier de naturalisation a été accepté et il a obtenu la nationalité française.
- EDF : 21 euros par mois
- Gaz : 73 euros par mois
- Taxe d’habitation : 720 euros par an, soit 60 euros par mois
« C’est une ville très bourgeoise. »
- Assurance habitation et responsabilité civile : 12 euros par mois
- Mutuelle : 78 euros par mois
- Remboursement d’un prêt : 185 euros par mois
- Frais bancaires : 2,50 euros par mois
- Transport : 88 euros, dont la moitié remboursée par son employeur, soit 44 euros par mois de sa poche
- Téléphonie : 45 euros par mois
- Internet : 32 euros par mois
- Sport : 24,50 euros par mois
Les dépenses fixes d’Ahmed
Dépenses aléatoires : environ 1 200 euros par mois
- Courses : environ 100 euros par mois
- Cantine : environ 55 euros par mois
- Dépenses familiales : environ 450 euros par mois
« C’est beaucoup : pour donner une idée, 500 euros aux Comores correspond à 1 800 euros ici. Mais la vie est chère là-bas. Elle s’achète à manger, paye l’électricité – quand il y en a – et peut pallier des dépenses exceptionnelles. Elle donne aussi beaucoup à ma grand-mère. »- Il aide aussi sa petite sœur arrivée sur Paris l’année dernière. Il lui paye son titre de transport (50 euros par mois), son abonnement téléphonique (10 euros), quelques vêtements, notamment pour l’hiver (il a dépensé 200 euros quand elle est arrivée), et lui donne de l’argent de poche (environ 75 euros par mois), soit environ 150 euros par mois :
« Je ne sais pas trop ce qu’elle en fait : elle mange à la fac, elle achète des trucs de fille. Elle est grande, elle se débrouille. »
- Santé : environ 4 euros par mois
- Loisirs : 12 euros par mois
- Lecture et musique : 0 euro
- Sorties : environ 100 euros entre restos, bars et boîtes.
« Je suis musulman donc je ne bois pas d’alcool, que du coca ou du jus d’ananas : c’est moins cher. »
- Tabac : il fume un paquet tous les deux jours, soit environ 100 euros par mois
- Vêtements : environ 70 euros par mois
- Voyages : environ 320 euros par mois
- Une fois par an au moins, il va rendre visite à des amis en province. Le billet de train lui coûte environ 60 euros, soit 5 euros par mois.
- L’année dernière, il est retourné aux Comores. C’était la deuxième fois en plus de 10dix ans. Le billet d’avion a coûté 1 500 euros, mais sa boîte lui a remboursé 476 euros. Il a donc payé 1 024 euros de sa poche, soit 85 euros par mois.
C’est sur place qu’il dépense le plus. Il a donné environ 800 euros à sa famille et a dépensé en plus 1 000 euros durant le voyage (« Il y a toujours des dépenses exceptionnelles »), soit 150 euros par mois.
« Je suis parti en période de mariage et ça coûte très cher. C’est un jeu bizarre, censé être à somme nulle, mais ce n’est pas toujours le cas : quand un ami se marie, vous l’aidez, et quand c’est à votre tour, les autres vous aident.
C’est une tradition qui fait, à mon avis, que le pays ne va pas de l’avant. Pour beaucoup, ce sont les économies de toute une vie pour un mariage. C’est un truc de mec, pour montrer qui a la plus grosse. Moi, je ne le ferai pas. »
Les dépenses aléatoires d’Ahmed
Épargne : en ce moment, 0 euro par mois
En principe, il peut se permettre de mettre de l’argent de côté (entre 200 et 400 selon les mois) mais avec son voyage aux Comores, son épargne a « fondu comme neige au soleil ».Il peut également placer de l’argent avec son travail mais pour le moment, ce compte est inactif.
« Quand j’aurais au moins 5 000 euros d’épargne sans risque, alors peut-être que je commencerai à boursicoter. »source : rue89.com
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