Il aura fallu plus de 25 ans depuis le tout premier roman paru aux Comores en 1985 pour que cet archipel francophone et arabisant ose publie...
Il aura fallu plus de 25 ans depuis le tout premier roman paru aux Comores en 1985 pour que cet archipel francophone et arabisant ose publier un roman en langue locale, le comorien, un parler fortement imagé proche du swahili.
Autobiographique, le roman signé Mohamed Nabhane retrace l'histoire d'une enfance déracinée et fait revivre le garçon de 11 ans qu'il a été dans les années 1960, parti étudier en Egypte, avec son père, un frère et un cousin.
"Mtsamdu Kashkazi, kusi Misri" signifie "Mutsamudu, saison des pluies et saison sèche en Egypte". Mutsamudu est la capitale d'Anjouan.
Paru la même année que la première traduction du Coran en comorien, en 2011, le roman s'est vendu à un millier d'exemplaires, une performance aux Comores, pays de l'Océan indien comptant 735.000 habitants et moins peuplé que Marseile.
Un deuxième tirage est en cours, ainsi qu'une traduction en français.
Pourquoi le comorien? "Pour raconter l'histoire d'un enfant de cet âge, il faut parler son langage. Si on parle de soi dans une autre langue, on rate quelque chose, ce n'est pas une question de traduction, mais d'authenticité", explique à l'AFP M. Nabhane, 59 ans, Comorien et enseignant d'arabe en région parisienne.
"En plus il faut valoriser notre culture, notre langue", dit-il.
D'origine bantoue, le comorien est proche du swahili, une langue répandue en Afrique de l'Est. Il contient aussi 25% de mots arabes et des éléments que les navigateurs ibériques qui s'étaient aventurés dans ces contrées ont laissé en héritage, avec quelques résidus d'anglais qui se sont mêlés au cours du temps.
"J'espère que ce sera un déclic pour encourager la littérature en langue comorienne. Beaucoup de gens ont des oeuvres qu'ils aimeraient voir publiées", dit-il.
Aux Comores, le français est utilisé dans l'administration, mais la maîtrise de l'arabe, troisième langue officielle, est précieuse pour cultiver les relations avec les bailleurs de fonds des monarchies pétrolières.
Les difficultés rencontrées par les étudiants à se rendre en France font aussi augmenter le nombre d'arabisants, très preneurs de bourses d'étude, en arabe s'il le faut.
100% des Comoriens parlent comorien sauf les enfants de la diaspora nés en France. Mais le fait que le comorien soit une langue strictement orale ne favorise pas les romans en comorien.
Un parler très châtié
La colonisation a aussi eu des effets. Les élèves de CP avaient alors interdiction de converser en comorien durant la récréation.
Le comorien n'est pourtant pas une langue d'illettrés. Il existe un parler comorien très châtié, pas à la portée de tous, fait de symboles et de figures imagées à donner parfois la migraine.
Plongée au coeur des années 1960, le roman de Nabhane est une série de récits, chacun précédé d'un poème et débutant par l'exorde: "Le monde est maudit et tout ce qui s'y trouve est maudit", tiré d'un hadith du Prophète Mahomet.
Au passage, son livre stigmatise le système "intolérable" des castes, "le mépris" des kabaïlas (les gens bien nés) des villes vis-à-vis des wamatsahas (les habitants de la brousse), particulièrement à Anjouan.
Interrogé sur la littérature comorienne, Nabhane estime que celle-ci en "est à ses balbutiements" mais qu'"il y a des talents". Tous publient en français.
Il cite Souef El Badawi, auteur de théâtre qui a dédié sa dernière pièce aux victimes des traversées clandestines vers le département français de Mayotte.
Mais aussi Mohamed Toihiri, Salim Hatubou, et bien sûr "le grand poète Saïndoune Ben Ali".
Paru en 1985, "La République des imberbes" de Mohamed Toihiri fut le premier roman écrit par un Comorien.
Komedit, la petite maison d'édition fondée en 2000 qui publie Mohamed Nabhane, compte une cinquantaine d'auteurs en catalogue.
Mais explique l'écrivain et poète Aboubacar Said Salim: "La littérature comorienne est encore trop près du quotidien, elle devrait s'élever, retrouver les épopées du passé, tendre vers l'universel et s'ouvrir à des disciplines comme le cinéma".
AFP
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