L’Union des Comores est en crise de trésorerie. Cette crise est profonde et s’aggrave d’année en année. Sa traduction la plus visible, la p...
L’Union des Comores est en crise de trésorerie. Cette crise est profonde et s’aggrave d’année en année. Sa traduction la plus visible, la plus évidente, est l’accumulation des arriérés de salaires de la Fonction publique. Elle se traduit, d’une manière plus révoltante, dans les subventions accordées, mais jamais versées. Dans la vie, elle s’exprime par les services des urgences des hôpitaux qui ne fonctionnent pas, les maternités incapables d’assurer le service minimum, les salles de classe délabrées, les routes en piteux état, faute d’entretien. Le précédent président de la République a pu s’en sortir ou presque grâce à l’exceptionnelle aide budgétaire du Qatar qui a permis de régler les arriérés de salaires et des pensions, donnant la possibilité à l’Etat de réaffecter une partie de ses recettes à des dépenses de souveraineté.
Risques
Le nouveau pouvoir hérite des mêmes pesanteurs de trésorerie, et risque, en s’enfermant dans des ateliers sans aucun suivi, de se confronter à une triste réalité : ne parvenir à payer que six mois de salaires sur les douze de l’année, avec des risques énormes de provoquer de vives tensions sociales. La grève des enseignants, qui malmène la correction des examens de fin d’année, est un signe précurseur de la profondeur des distorsions et un signal fort pour l’urgence des réformes à engager. Les performances de recettes de la fiscalité se situent en deçà des objectifs budgétaires, mais très loin de la progression constante de certaines dépenses.
Si le président Ikililou a la capacité de réduire le train de vie de l’Etat, il n’en reste pas moins que l’augmentation durable des recettes, plus particulièrement les recettes intérieures, devrait être l’un des objectifs prioritaires de ce gouvernement pour faire face aux nombreux défis de son programme. Si les dépenses de souveraineté ne sont plus assurées et les missions même régaliennes ne sont plus couvertes, aucune perspective d’investissement n’est possible dans le cadre et l’environnement actuels.
C’est connu. La direction générale des impôts ne mobilise que moins du tiers des recettes (impôt et douanes). Dans le dernier rapport du Fmi de janvier 2011, les experts enregistrent de surcroit une diminution de la performance du fisc connue entre 2008 et 2010, passant de 33 à 30% des recettes++. Le constat est amer : la structure du fisc est moins performante, cumule de graves faiblesses structurelles, des déficits criants en compétences. Il faut, de toute urgence, secouer ce grand mammouth en engageant des réformes hardies pour le soustraire aux sempiternels conflits de compétences, le sortir au plus vite de sa profonde léthargie, en renforçant d’une manière significative ses ressources humaines.
Réformer hardiement
La fiscalité est sans nul doute le talon d’Achille de l’Etat comorien, le chancre qui plombe toutes les perspectives de développements possibles. Avec 30 milliards de francs de budget, et des recettes propres qui avoisinent les 15 milliards de francs comoriens, les Comores hypothèquent leur avenir autour d’un budget qui fait à peine tourner un grand centre hospitalier. Et pourtant, l’engagement de libéralisation des échanges, par l’intégration du pays à la zone de libre échange du Marché Commun de l’Afrique de l’Est et du Sud (Comesa), l’accord en perspective de partenariat économique avec l’Union Européenne, notre détermination à accélérer notre adhésion à l’Omc, supposent une mobilisation forte des recettes intérieures par le fisc, en lieu et place des douanes.
Mais l’état actuel des services des impôts, et la mauvaise foi manifeste dans la mise en œuvre des réformes simples initiées par le Fmi, présagent des difficultés encore plus grandes. La fiscalité aux Comores reflète le cadre constitutionnel du nouvel ensemble qui accorde l’autonomie financière à chacune des îles, autorisant aux îles le pouvoir d’élaborer et gérer leur budget librement. Avec cette stupidité architecturale, qui se répercute dans les structures du fisc, nous continuerons à payer le prix fort pour des résultats financiers encore plus médiocres.
Stupidité architecturale
La loi organique détermine les quotes-parts des recettes publiques à partager entre l’Union et les Îles autonomes. Elle fixe (hormis la dette et les salaires des emplois publics) les maigres recettes à partager à hauteur de 37,5 % pour l’Union, 27,4 % à Ngazidja, 25,7 % à Anjouan, et 9,4 % à Mohéli. Ces recettes à partager entre l’Union et les Îles autonomes, proviennent de l’Impôt sur le revenu et les bénéfices (Irb), la Taxe de consommation (Tc), les Droits à l’importation, les Droits d’accises, les Cotisations sociales, et les Revenus des entreprises étatiques, tandis que les principales recettes propres des Îles autonomes relèvent de la Taxe professionnelle unique (Tpu), la Patente d’exploitation, les Droits de timbre et d’enregistrement, les Revenus du domaine, les Droits et frais administratifs. La loi de l’Union fixe l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures, ainsi que les règles concernant l’administration des services de douanes.
A l’évidence, beaucoup de monde échappent à l’impôt, notamment les médecins, les avocats, les services des Ntics. Mais plus encore, des taxes ne sont plus relevées, comme les propriétés bâties et non bâties. Le fisc reproche aux sociétés d’Etat d’engager de grands travaux en accordant des marchés de gré à gré à des entreprises souvent fictives, provoquant des déperditions importantes. ‘’Un élu vend même des voitures‘’, ironise un employé.
Zone franche
La direction générale des impôts (Dgi) à Moroni et la Direction régionale des impôts (Dri) par île, travaillent comme des administrations qui s’ignorent. Les budgets et les personnels sont exécutés séparément, les travaux en commun et les échanges d’informations sont très limités, selon le Fmi. L’assujettissement à la Tc et à l’Ibd et le statut de grand contribuable sont déterminés par la réalisation d’un chiffre d’affaires égal ou supérieur à 20 MF. Les services des Dri recouvrent l’impôt auprès de contribuables classés comme de petits et moyens contribuables, assujettis notamment à la taxe professionnelle unique (Tpu) qui est un impôt synthétique libératoire.
Sur près de 500 contribuables supposés, moins de 150 sont imposés. A Anjouan et à Mohéli, les îles sont transformées en zone franche. Sur 90 contribuables, répertoriés ces deux derniers mois au titre de l’Ibd, cinq seulement s’en acquittent. Un simple rapprochement entre les données du Sydonia permet de mesurer le nombre incalculable d’individus qui échappent à l’impôt et les sommes astronomiques en jeu. La pratiques des bilans frauduleux est monnaie courante. Il ne supporterait pourtant pas à l’examen rapide et simple d’un fiscaliste averti, possédant des compétences en comptabilité.
Les pratiques consistent pour les entreprises locales à présenter un vrai bilan aux banques pour louer l’état de santé de leur entreprises et bénéficier de crédits substantiels et communiquer au fisc un autre bilan présentant un état moribond de leurs entreprise pour justifier de bénéfices quasi-nuls et obtenir un allégement frauduleux de l’impôt. Un agent raconte l’anecdote d’une entreprise qui a inversé les bilans, et qui est venue récupérer en toute tranquillité son vrai bilan, pour le remplacer par le faux.
Exonérations préjudiciables
Pour justifier ses contreperformances, aux impôts on se défend comme on peut. Selon l’un des responsables, ‘’le gouvernement accorde des exonérations, aux entreprises étrangères, sans raisons particulière, mais aussi à certaines entreprises locales, entrainant des pertes considérables en recettes‘’. Il est acquis que la discrétion qui entoure ces exonérations provoque une distorsion de concurrence et remet en cause la légitimité même de l’impôt, rapporte d’ailleurs le Fmi. La proposition émise par le Fmi, s’inspirant d’exemples de pays confrontés aux mêmes problèmes, est ‘’d’établir chaque année la liste de tous les régimes dérogatoires, qui ne peuvent être autorisés que par la loi de finances, de chiffrer le manque à gagner (ou dépense fiscale) correspondant et à le publier sous la forme d’une annexe de la loi de finances‘’.
Parce que le nombre d’exonérations sont accordés dans l’illégalité, et à travers des conventions d’établissements rédigées dans les salons feutrés et aux vitres fumées des ministères de tutelle, sans que l’administration fiscale ne soit informée du contenu de ses arrangements. Le Fmi a établi un premier rapport intitulé ‘’Programmes de modernisation de l’administration fiscales et douanière‘’ en mars 2010, élaboré, par Gille Montagnat-Rentier, Michel Bua et Gilles Parent, avant de remettre en janvier 2011 au gouvernement le rapport de suivi du programme de la dite modernisation, rédigé par Michel Bua et Patrick De Mests.
Moderniser la Dgi
C’est avec une pointe d’ironie que les faiblesses de la Dgi sont pointées dans tous les domaines à l’exception, note le rapport, ‘’des effectifs‘’ pléthoriques. Le Fmi préconise la modernisation de la Dgi, en invitant à la mise en place d’un observatoire d’exécution des réformes. L’adoption d’une organisation de l’administration fiscale, coiffée d’un conseil d’administration représentant l’Union et les Île, et une direction opérationnelle unique, permettrait de lancer la machine. Parmi les objectifs phares, la création d’une direction des grandes entreprises à compétence nationale visant un taux de déclaration spontanée de 95 %, avec ouverture des antennes à Anjouan et Mohéli.
Ahmed Ali Amir
Prochaine article : les actions de la nouvelle direction et les réformes préconisées.
++ Pendant qu’en 2008, la Dgi a mobilisé au niveau de l’impôt sur les bénéficies divers, sociétés d’Etat compris, près de 2 milliards 743 millions, et 2 milliards 920 millions en 2009, les recettes ont diminué en 2010 pour s’établir à 2 milliards 643 millions. Par contre, si les recettes globales, mobilisées par les impôts et les douanes, sont passées de 13 milliards 745 millions en 2008 pour atteindre 13 milliards 702 millions en 2009, et retomber à 2 milliards 643 millions en 2010, l’amélioration notée est due aux seuls progrès mêmes timides des recettes douanières, les contreperformances se situent au fisc.alwatwan
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