La source première du mal-être à Mayotte réside dans le refoulement croissant de la "comorianité "de cette île

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La source première du mal-être à Mayotte réside dans le refoulement croissant de la "comorianité "de cette île

PEAU COMORIENNE, MASQUES FRANÇAIS

Alors que les Comores ont obtenu l'indépendance en 1975, Mayotte - l'une des quatre îles qui composent l'archipel - est restée rattachée à la France. Coupée de son histoire comorienne, l'île a été rendue étrangère à elle-même en même temps qu'elle souffre d'un manque de reconnaissance de la Métropole.

Fini le temps de la repentance et de l'autocensure, dans notre doux pays on célèbre chaque jour davantage la liberté d'expression et le patriotisme au point de les confondre en un même éloge de la "culture française" : "La France n'est pas coupable d'avoir voulu faire partager sa culture aux peuples d'Afrique !" clame ainsi haut et fort François Fillon.
Le président français, François Hollande, en visite à Mayotte le 3 mars 2012

Cette vision idyllique de la colonisation - une forme de négationnisme en ce qu'elle nie la violence coloniale - n'est pas seulement le fait de politiciens démagogues : "l'idée qu'un peuple refuse son indépendance pour rester français avait quelque chose de profondément romantique !" explique Frédéric, un enseignant en poste à Mayotte, sur expat.com.

Quel meilleur témoignage en effet du rôle positif de la colonisation que cet attachement viscéral qu'aurait le "peuple mahorais "pour la France ?! La départementalisation (1) de cette île a renforcé un processus d'assimilation à la "nation française" qui pousse ses habitants à renier tout ce qui les rattache aux autres îles de l'archipel des Comores : une culture, une histoire, un peuplement communs. C'est ce que Fanon, dans Peau noire, masques blancs (2), diagnostiquait comme une "aliénation ": le fait de devoir devenir étranger à soi-même pour pouvoir être reconnu enfin comme un humain, et non comme un "Nègre" ou un "Comorien"… C'est donc à la lumière de cette violence intime (à l'égard de soi), liée à la violence d'une frontière meurtrière et asphyxiante, qu'il faut analyser les chasses aux Comoriens qui se sont produites voici quelques mois.

Car c'est une véritable chasse à l'homme qui s'est déroulée de janvier à juillet 2016 et elle n'a pas épargné les établissements scolaires.

On retrouvait les élèves parfois sur la Place de la République de Mamoudzou, dormant à même le sol avec leur famille, sans même un bout de toile pour les protéger des intempéries et des regards agglutinés aux grilles de ce camp sans nom.

Ce n'étaient pas des réfugiés, mais les expulsés de la République française : les bannis du "vivre-ensemble" dans l'archipel.

Plus que jamais, "Mdzuani" ("Anjouanais") cinglait l'air telle une insulte et laissait des traces indélébiles dans l'âme et le coeur vulnérables des enfants de Mayotte perçus comme tels, des "enfants maudits". L'humain(e) poursuivi(e) est le frère, le cousin, la grand-mère du "Mahorais" : il vient des autres îles de l'archipel des Comores. Ce qu'il y a de nouveau, aujourd'hui, c'est que la police partage, désormais, son monopole de la traque légitime avec des collectifs d'habitants, aussi anonymes que les tracts nauséabonds que ces derniers propagent sur les réseaux et les murs du 101e département.

Mayotte asphyxiée, tel est le titre du tract téléchargeable depuis le 28 avril 2016 sur le site web de Kwezi : "Une manifestation et une action d'expulsion pacifiques contre l'immigration clandestine aura lieu le dimanche 15 mai 2016. Point de départ : au plateau de Boueni, à 6h, pour le tour de la commune. Suivi d'un grand Voulé [un barbecue festif]."

Qu'une opération de ce type ait pu avoir lieu, bien qu'elle ait été annoncée près de trois semaines à l'avance, en dit long sur la banalisation d'une certaine xénophobie et sur la complicité des médias, des élus, des autorités locales.

Comme l'analyse la Cimade, l'absence de réaction de la Gendarmerie et de la Préfecture "cautionne l'impunité de ces collectifs et leur offre la possibilité de développer ce type d'actions illégales et xénophobes".

Les frontières de l'âme

Au fur et à mesure que la partition de l'archipel se durcit, Mayotte n'a plus, ni archipel, ni continent. Combien de fois entend-on dans la bouche de "Mahorais" ou de "Métros" l'expression "Mayotte, c'est pas l'Afrique, c'est la France !. Il faut dire que "les Mahorais ne connaissent pas leur histoire, c'est toujours Nos ancêtres les Gaulois qu'on apprend ici. Ils n'ont donc plus aucune assise historique, ils ne savent pas ce qui les lie aux autres Comoriens, aux Malgaches, à l'Afrique", déclare Ali Hafidou, un indépendantiste mahorais.

Le "Mahorais" se veut désormais un "Français de souche", pas un de ces étrangers qui débarquent de l'île lointaine d'Anjouan, située à moins de 70 km, en réalité.

"Je suis née à Mayotte, d'une mère anjouanaise et d'un père mahorais. (…) Comme les villageois de ma commune n'aiment pas les'étrangers', surtout les 'Anjouanais', j'ai longtemps eu honte de ma mère. J'avais honte de dire à mes amis que je suis anjouanaise par ma mère. (...) Je n'osais pas me montrer en public avec ma mère. Quand elle me parlait devant les gens, je l'ignorais, comme si c'était une inconnue, une étrangère."

C'est à la lecture de ce texte, écrit par l'une de mes élèves que j'ai vraiment réalisé ce fait : les frontières ne partagent pas seulement les territoires, mais aussi les âmes, les rendant souvent étrangères à elles-mêmes. Mais j'entends déjà des voix s'écrier :"Arrêtez avec votre histoire coloniale, tout ça c'est du passé !" Certes, il n'y a plus de travail forcé, de code de l'indigénat. Ce qu'on exploite aujourd'hui dans les DOM, c'est la consommation, l'assistanat subventionné de populations rendues superflues, dont le paysage est transformé en réserve écologique. On peut parler d'asphyxie de la vie sociale, culturelle et économique, d'une population qui peut de moins en moins se passer de l'assistance respiratoire de la "Mère- Patrie" française.

La domisation a donc pour effet non seulement de stériliser les initiatives, les productions, l'économie locale, mais aussi d'évider le "domisé" qui, au fur et à mesure qu'il perd ses savoir-faire, se voit contraint, pour garder un minimum d'estime de soi, de se réfugier dans l'apparat et le "folklore". C'est la phase ultime de l'assimilation. Une colonisation parfaite, puisque méconnue comme telle et désirée par le néo-colonisé.

Si Mayotte est si méconnue en Europe, c'est sans doute parce que le "Mahorais", en tant que spécimen humain distinct du "Comorien", n'existe pas encore. Il est en cours de modelage, à partir d'images, de récits, d'une réécriture de l'histoire, visant à mettre en scène et à faire exister aux yeux du monde un "peuple mahorais". De quoi justifier la partition de l'archipel au profit de la France.

Mayotte souffre également de ne pas être reconnue par la lointaine "Métropole", alors même qu'elle ne veut plus se reconnaître dans ses îles soeurs (Anjouan, Grande Comore, Mohéli). La source première du mal-être à Mayotte réside ainsi dans le refoulement croissant de la "comorianité "de cette île. Un refoulement qui ne se produit pas seulement dans la psyché des individus, mais d'abord à travers des techniques policières de rafle, d'internement, d'expulsion. Aujourd'hui, plus que jamais, l'expulsion des "corps étrangers" est présentée comme le remède à tous les maux de la société mahoraise.

Pour comprendre : Les "visas Balladur"

En 1995, la France décide d'imposer un visa aux habitants des autres îles. Son obtention étant quasiment impossible, nombreux tentent de rendre illégalement à Mayotte. Depuis l'instauration de ce "visa Balladur", plus de 15 000 morts, selon les estimations de l'ONG Migreurop.

1. En dépit d'une vingtaine de résolutions de l'ONU, accusant la France d'occupation illégale de l'archipel des Comores.
2. Où il analyse la façon dont le désir de devenir "Blanc " poussent les Antillais à haïr le "Noir " qui est en eux.

Dénètem Touam Bona - africultures.com
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