Face à la pression de l'Otan dans le dossier ukrainien, le président russe a rappelé que son pays était une des "plus grandes puiss...
Face à la pression de l'Otan dans le dossier ukrainien, le président russe a rappelé que son pays était une des "plus grandes puissances nucléaires du monde"
"Nous sommes une des plus grandes puissances nucléaires", rappelait Vladimir Poutine, fin août, lors d'un forum de la jeunesse, en Russie. Dans le même temps se tenait une réunion de crise de l'Otan, qui cherche encore, lors de son sommet britannique des 4 et 5 septembre, un moyen de mettre fin au conflit en Ukraine, où des milliers de soldats russes soutiennent les séparatistes.
La menace de Vladimir Poutine est-elle crédible ? De quel arsenal dispose le pays ? La Russie oserait-elle l'employer ? Éléments de réponses.
Vladimir Poutine n'exagère pas. Malgré une réduction significative du nombre de têtes nucléaires dans le monde, il en reste au total près de 16 500 connues, selon la Federation of American Scientists (FAS, lien en anglais), qui publie chaque année le décompte le plus précis possible, malgré le secret qui entoure certaines données. L'essentiel de cette puissance est partagé entre la Russie et les Etats-Unis, devant la France, la Chine et le Royaume-Uni. Ces ogives sont réparties sur 98 bases, dans 14 pays, précise la FAS.
Au total, Moscou dispose toujours de 8 000 têtes nucléaires, dont 1 600 déployées, c'est-à-dire placées sur des missiles ou stockées sur des bases opérationnelles. Les Etats-Unis possèdent 1 920 ogives opérationnelles, sur un arsenal d'environ 7 300, toujours selon la FAS. Engagée auprès des Etats-Unis par le traité de désarmement nucléaire New Start, entré en vigueur en 2011, après expiration des précédents accords, la Russie démantèlerait approximativement 1 000 têtes nucléaires par an. En comparaison, la France compte environ 300 têtes nucléaires opérationnelles, et pas ou peu de stock.
Tout en réduisant progressivement son arsenal nucléaire, la Russie, comme les autres puissances, n'a cessé de le moderniser. L'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri) en déduit qu'aucun pays n'a l'intention de se débarrasser totalement de ses armes nucléaires. "Les programmes de modernisation à long terme, en cours dans ces Etats, suggèrent que les armes nucléaires restent au cœur de leurs calculs stratégiques", analysent les chercheurs du Sipri Shannon Kile et Phillip Patton Schell, dans leur rapport de 2014 (en anglais).
Dans son large arsenal, la Russie compte des missiles intercontinentaux, armes stratégiques qui participent à la logique de dissuasion qui subsiste depuis la fin de la guerre froide. Mais "ce qui inquiète le plus, ce sont les armements non-stratégiques, ou tactiques, de courte portée", explique Isabelle Facon, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), spécialiste des politiques de sécurité et de défense russes. Comme les Etats-Unis, la Russie est, en effet, équipée de bombardiers, de sous-marins lance-missiles et de toutes les technologies nécessaires pour des tirs de précision.
L'objectif de ces armes tactiques est de pouvoir mener des "frappes nucléaires ciblées", aux dégâts calculés. Il ne s'agit pas d'atteindre "des centres de population, ni des centres économiques, mais plutôt de porter une frappe sur une base militaire, un centre de commandement", tempère Isabelle Facon pour francetv info. Ces équipements modernes, de haute précision, sont plus facilement "utilisables dans le cadre d'un conflit régional classique", précise-t-elle.
Depuis la fin de la guerre froide, en raison de son infériorité sur le plan de l'armement conventionnel face aux Etats-Unis et à l'Otan, la Russie a placé son arsenal nucléaire au centre de sa politique de défense. Depuis 2010, la doctrine militaire russe prévoit le recours à l’arme nucléaire en réponse à une attaque conventionnelle, lorsque "l’existence même de l’Etat est menacée". Pas dans les cas d'attaques limitées ou contre ses alliés. Le Kremlin appelle ces principes la "doctrine de la désescalade", et fait le pari risqué qu'une seule frappe nucléaire ciblée suffirait à faire reculer ses adversaires.
En août, Moscou a toutefois annoncé un "ajustement de sa doctrine militaire" d'ici la fin de l'année. Aujourd'hui, cette ligne considère l'Otan comme un "risque" pour la sécurité russe, sans exclure des possibilités de coopération dans certains domaines. "Le statut [de l'organisation] pourrait évoluer vers celui de 'menace', mais cela dépendra probablement des annonces de l'Alliance atlantique à l'issue de son sommet", estime Isabelle Facon. L'Otan prévoit en effet d'adopter un plan de réactivité (Readiness action plan, RAP), dont les contours ne sont pas encore précisés, en réponse à l'attitude de la Russie dans la crise ukrainienne, perçue comme une menace directe par certains membres de l'organisation (Etats baltes, Pologne, Roumanie, Bulgarie).
Pour l'intellectuel et dissident russe Andrei Piontkovsky, traduit par The Interpreter (en anglais), Vladimir Poutine serait "évidemment" capable d'avoir recours à des frappes nucléaires limitées "sur des capitales européennes. Pas Paris, ni Londres", en pariant sur l'absence de réponse de l'Otan, "pour prouver que [l'Alliance atlantique] est une coquille vide, qui n'osera pas répliquer par crainte d'une plus grande catastrophe".
Pour la spécialiste Isabelle Facon, toutefois, les menaces du Kremlin tiennent de la "diplomatie coercitive". "Toute la mise en scène autour de la crise ukrainienne, les exercices militaires, les tests de missiles, servent surtout à rappeler que la Russie possède l'arme nucléaire", explique-t-elle. "Les Russes savent évidemment qu'on n'emploie pas ces armes à la légère, qu'il s'agit d'un cap dans un conflit", cap qui n'a pas été franchi depuis 1945. "Vladimir Poutine reconnaît lui-même que le poids du nucléaire dans la défense russe a vocation à diminuer", conclut la chercheuse.
En face, les Etats-Unis et l'Otan restent réfractaires à toute intervention militaire, même conventionnelle, en Ukraine, préférant les voies diplomatiques. Aucun responsable occidental n'a d'ailleurs fait référence à l'arme nucléaire en réponse aux rappels de Vladimir Poutine. Ce silence, aussi diplomatique que les menaces russes, témoigne du refus des Occidentaux de revenir à l'équilibre de la terreur qui a miné les relations entre l'Est et l'Ouest pendant la guerre froide.
Par Camille Caldini | francetvinfo
"Nous sommes une des plus grandes puissances nucléaires", rappelait Vladimir Poutine, fin août, lors d'un forum de la jeunesse, en Russie. Dans le même temps se tenait une réunion de crise de l'Otan, qui cherche encore, lors de son sommet britannique des 4 et 5 septembre, un moyen de mettre fin au conflit en Ukraine, où des milliers de soldats russes soutiennent les séparatistes.
La menace de Vladimir Poutine est-elle crédible ? De quel arsenal dispose le pays ? La Russie oserait-elle l'employer ? Éléments de réponses.
Le plus grand arsenal nucléaire du monde est russe
Vladimir Poutine n'exagère pas. Malgré une réduction significative du nombre de têtes nucléaires dans le monde, il en reste au total près de 16 500 connues, selon la Federation of American Scientists (FAS, lien en anglais), qui publie chaque année le décompte le plus précis possible, malgré le secret qui entoure certaines données. L'essentiel de cette puissance est partagé entre la Russie et les Etats-Unis, devant la France, la Chine et le Royaume-Uni. Ces ogives sont réparties sur 98 bases, dans 14 pays, précise la FAS.
Au total, Moscou dispose toujours de 8 000 têtes nucléaires, dont 1 600 déployées, c'est-à-dire placées sur des missiles ou stockées sur des bases opérationnelles. Les Etats-Unis possèdent 1 920 ogives opérationnelles, sur un arsenal d'environ 7 300, toujours selon la FAS. Engagée auprès des Etats-Unis par le traité de désarmement nucléaire New Start, entré en vigueur en 2011, après expiration des précédents accords, la Russie démantèlerait approximativement 1 000 têtes nucléaires par an. En comparaison, la France compte environ 300 têtes nucléaires opérationnelles, et pas ou peu de stock.
Tout en réduisant progressivement son arsenal nucléaire, la Russie, comme les autres puissances, n'a cessé de le moderniser. L'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri) en déduit qu'aucun pays n'a l'intention de se débarrasser totalement de ses armes nucléaires. "Les programmes de modernisation à long terme, en cours dans ces Etats, suggèrent que les armes nucléaires restent au cœur de leurs calculs stratégiques", analysent les chercheurs du Sipri Shannon Kile et Phillip Patton Schell, dans leur rapport de 2014 (en anglais).
La Russie peut mener des "frappes nucléaires ciblées"
Dans son large arsenal, la Russie compte des missiles intercontinentaux, armes stratégiques qui participent à la logique de dissuasion qui subsiste depuis la fin de la guerre froide. Mais "ce qui inquiète le plus, ce sont les armements non-stratégiques, ou tactiques, de courte portée", explique Isabelle Facon, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), spécialiste des politiques de sécurité et de défense russes. Comme les Etats-Unis, la Russie est, en effet, équipée de bombardiers, de sous-marins lance-missiles et de toutes les technologies nécessaires pour des tirs de précision.
L'objectif de ces armes tactiques est de pouvoir mener des "frappes nucléaires ciblées", aux dégâts calculés. Il ne s'agit pas d'atteindre "des centres de population, ni des centres économiques, mais plutôt de porter une frappe sur une base militaire, un centre de commandement", tempère Isabelle Facon pour francetv info. Ces équipements modernes, de haute précision, sont plus facilement "utilisables dans le cadre d'un conflit régional classique", précise-t-elle.
Sa doctrine militaire est à géométrie variable
Depuis la fin de la guerre froide, en raison de son infériorité sur le plan de l'armement conventionnel face aux Etats-Unis et à l'Otan, la Russie a placé son arsenal nucléaire au centre de sa politique de défense. Depuis 2010, la doctrine militaire russe prévoit le recours à l’arme nucléaire en réponse à une attaque conventionnelle, lorsque "l’existence même de l’Etat est menacée". Pas dans les cas d'attaques limitées ou contre ses alliés. Le Kremlin appelle ces principes la "doctrine de la désescalade", et fait le pari risqué qu'une seule frappe nucléaire ciblée suffirait à faire reculer ses adversaires.
En août, Moscou a toutefois annoncé un "ajustement de sa doctrine militaire" d'ici la fin de l'année. Aujourd'hui, cette ligne considère l'Otan comme un "risque" pour la sécurité russe, sans exclure des possibilités de coopération dans certains domaines. "Le statut [de l'organisation] pourrait évoluer vers celui de 'menace', mais cela dépendra probablement des annonces de l'Alliance atlantique à l'issue de son sommet", estime Isabelle Facon. L'Otan prévoit en effet d'adopter un plan de réactivité (Readiness action plan, RAP), dont les contours ne sont pas encore précisés, en réponse à l'attitude de la Russie dans la crise ukrainienne, perçue comme une menace directe par certains membres de l'organisation (Etats baltes, Pologne, Roumanie, Bulgarie).
Faut-il pour autant prendre ces menaces au sérieux ?
Pour l'intellectuel et dissident russe Andrei Piontkovsky, traduit par The Interpreter (en anglais), Vladimir Poutine serait "évidemment" capable d'avoir recours à des frappes nucléaires limitées "sur des capitales européennes. Pas Paris, ni Londres", en pariant sur l'absence de réponse de l'Otan, "pour prouver que [l'Alliance atlantique] est une coquille vide, qui n'osera pas répliquer par crainte d'une plus grande catastrophe".
Pour la spécialiste Isabelle Facon, toutefois, les menaces du Kremlin tiennent de la "diplomatie coercitive". "Toute la mise en scène autour de la crise ukrainienne, les exercices militaires, les tests de missiles, servent surtout à rappeler que la Russie possède l'arme nucléaire", explique-t-elle. "Les Russes savent évidemment qu'on n'emploie pas ces armes à la légère, qu'il s'agit d'un cap dans un conflit", cap qui n'a pas été franchi depuis 1945. "Vladimir Poutine reconnaît lui-même que le poids du nucléaire dans la défense russe a vocation à diminuer", conclut la chercheuse.
En face, les Etats-Unis et l'Otan restent réfractaires à toute intervention militaire, même conventionnelle, en Ukraine, préférant les voies diplomatiques. Aucun responsable occidental n'a d'ailleurs fait référence à l'arme nucléaire en réponse aux rappels de Vladimir Poutine. Ce silence, aussi diplomatique que les menaces russes, témoigne du refus des Occidentaux de revenir à l'équilibre de la terreur qui a miné les relations entre l'Est et l'Ouest pendant la guerre froide.
Par Camille Caldini | francetvinfo