Les présidents français François Hollande et algérien Abdelaziz Bouteflika à Tlemcen, le 20 décembre 2012 (Photo Bertrand Langlois. AFP) TCH...
TCHAT Lors de son déplacement en Algérie, François Hollande a reconnu «la brutalité» de la colonisation, mais n'a pas présenté les excuses de la France... De retour d'Algérie, Grégoire Biseau a répondu à vos questions.
Khaled45. Pourquoi qualifier cette visite d'échec ? Quelle partie nourrit ce sentiment ? Les Algériens partisans de la repentance ou les ultras en France ? Personnellement, je qualifie ce premier contact de très positif et porteur d'espoirs pour nos deux pays. Qu'en pensez-vous ?
Grégoire Biseau. Même si c'est la manchette du journal, je serais, moi, plus réservé. Je parlerais plus volontier d'un pari au service d'une realpolitik.
Pour le pouvoir algérien, la visite de François Hollande a été incontestablement positive, non seulement le chef de l'Etat français a prononcé des mots importants sur la reconnaissance de cent trente-deux ans de colonialisme en Algérie, mais aussi il s'est bien gardé d'émettre la moindre critique, ou mise à distance, vis-à-vis du régime en place. Même s'il est encore trop tôt pour savoir ce que ce voyage va produire de concret dans l'approfondissement de la relation entre les deux pays, j'ai le sentiment qu'il a créé les conditions d'une normalisation et d'une coopération économique plus forte à l'avenir.
Madjid. Quelle est la différence du discours de Hollande avec ceux de ses prédécesseurs ? Sarkozy et Chirac avaient, me semble-t-il, aussi dénoncé le colonialisme. D'ailleurs, peut-on faire moins en 2012 ?
G.B. En effet, les différences ne sont pas flagrantes, Sarkozy avait déjà parlé de«système global», et Chirac avait évoqué«les cent trente-deux ans de colonialisme». Hollande a, malgré tout, fait deux avancées lexicologiques jugées importantes par les Algériens, sans parler d'excuses il a prononcé le mot de «reconnaissance des souffrances que le système colonial a infligé au peuple algérien». Il a prononcé pour la première fois le mot de «torture», sans pour autant rentrer dans le détail. Et il a rappelé pour la première fois dans la bouche d'un chef d'Etat les massacres de Sétif, en 1945.
Joachim. Avez-vous pu parler avec les Algériens de la rue, comment ont-il perçu la venue de Hollande ?
G.B. Libération avait dépêché deux envoyés spéciaux, Jean-Louis Le Touzet était parti une semaine à l'avance pour préparer des reportages, et moi j'étais embarqué dans la caravane présidentielle qui, pendant deux jours, suit tous les déplacements du chef de l'Etat. Quand on suit un Président, il est très difficile, pour ne pas dire impossible, surtout dans un pays comme l'Algérie où la présence policière et militaire est très importante, de s'échapper du dispositif.
Malgré tout, le long du cortège j'ai pu à plusieurs reprises échanger avec une partie de la jeunesse algérienne, dont certains parlent français. Mais, là encore, c'est difficile de savoir si ces badauds se sont déplacés de leur propre initiative, ou s'ils ont été largement encouragés. Ce qui m'a surpris, en tout cas, c'est qu'à chaque fois cette jeunesse avait pour leur président Bouteflika que des mots élogieux, et donc forcément un peu suspicieux. C'est la limite pour un journaliste embarqué dans ce genre de dispositif.
Rico78. Après les révolutions arabes, ne pensez-vous pas que de soutenir un régime totalitaire et militaire comme le régime algérien soit à contresens de l'Histoire, et du discours de la diplomatie française, notamment sur la Syrie ?
G.B. C'est à mon sens la principale déception de ce voyage. François Hollande a non seulement choisi de ne pas critiquer le régime, mais lui a donné des attributs démocratiques qu'il n'a pas forcément. Pis, il a par exemple déclaré que l'Algérie avait, elle, connu «il y a longtemps son printemps arabe». Une façon de légitimer le pouvoir en place, et de décrédibiliser toutes les critiques sur l'absence de démocratie en Algérie. Pour un président de gauche, Hollande aurait pu porter plus fermement le message d'émancipation démocratique des peuples. Ce qu'il n'a pas fait.
Shania. On peut faire le choix de ne pas faire partie de la délégation officielle, non ?
G.B. Oui, mais dans ce cas vous n'avez accès à aucun des temps forts de la visite, ni les discours officiels, ni les déambulations dans les rues, ni les rencontres que peut faire un chef d'Etat. Idéalement, et c'était le choix deLibération, c'est préférable d'être au moins deux - un à l'intérieur du dispositif, très encadré, et l'autre à l'extérieur, plus au contact de la population et de la société civile.
Djazairi. Pour Hollande, est-ce vraiment le poids des mots et de l'Histoire ou bien celui de la crise, le chômage et la récession en France, devant le poids des 280 milliards d'euros de réserves dans les caisses de l'Algérie ?
G.B. C'est un enjeu évidemment très important de la visite, et parfaitement assumé par l'Elysée. Il faut dire qu'il y a entre nos deux économies une complémentarité évidente. L'Algérie est aujourd'hui un pays jeune, très peu développé, mais très riche grâce à sa rente pétrolière. Il n'est pas endetté et dispose d'une cagnotte de plus de 200 milliards de dollars (150 milliards d'euros). C'est-à-dire un négatif de la situation française. Il y aurait donc un avantage mutuel à ce que les deux économies s'imbriquent plus étroitement. François Hollande a d'ailleurs à plusieurs reprises invité les entreprises algériennes à venir investir en France. Comme l'Allemagne l'a fait avec l'Europe de l'Est, la France pourrait très bien construire une relation beaucoup plus forte avec les pays du Maghreb. A la fois comme débouché pour ses produits, et en même temps comme lieu de localisation pour une partie de sa production pour lui permettre de rester compétitive.
Massinho. Qui a le plus besoin de l'autre maintenant ?
G.B. Les deux, et c'est ce qui rend cette relation à la fois compliquée et potentiellement prometteuse. La France ne peut rien faire sans l'Algérie si elle veut développer une politique régionale au Maghreb et au sein de la Méditerranée. La réciproque est vraie, l'Algérie a à la fois besoin de la puissance économique française et de son rayonnement international pour éviter un isolement.
Mission. Avec cette visite, peut-on penser que Hollande agit (également) par intérêt électoraliste vis-à-vis des Français musulmans ?
G.B. Pour Hollande, il est clair que la question algérienne est aussi une question de politique intérieure, puisqu'on évalue autour de 7 millions le nombre de Français qui ont eu dans leur histoire personnelle un lien avec l'histoire algérienne. Pour autant, pour des raisons que je ne sais pas expliquer, le chef de Etat a très peu évoqué la situation de la population française d'origine algérienne, et celle de l'islam en France. Il s'est contenté d'une seule phrase, d'ailleurs très belle, mais perdue dans un discours où il a déclaré que«la réponse à l'islamisme résidait dans l'islam». Source : libération
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