Djimba et Mgomri : un duel pour une satire ! Ils ont beaucoup dit en très peu de temps. Leur théâtre, au-delà de son caractère comique est indissociab
Djimba et Mgomri : un duel pour une satire !
Dans un article que le journal a publié dans son numéro 4874 du 22 février 2024, j’ai parlé de « L’œuvre de Djimba et Mgomri » dans un aspect global relatif aux techniques théâtrales qui font du théâtre djibaén un chef d’œuvre mais qui fait surtout de ses auteurs de véritables artistes comédiens impérissables. Cette fois, nous voudrions aller encore plus loin dans notre aventure, en invitant les lecteurs de cet article à découvrir des thématiques chères chez Djimba et Mgomdri, un levier d’une littérature nationale communiquant grâce aux langues locales.
Ils ont beaucoup dit en très peu de temps. Leur théâtre, au-delà de son caractère comique est indissociable aussi des deux dimensions très importantes : la dimension sociale et la dimension morale sous l’angle politique. Ainsi, j’attends, cette fois démontrer que ce duel charismatique travaille profondément et inévitablement la satire. Ce sera une évidence, le fait de souligner nécessairement le rôle de cette satire djibaénne dans la dénonciation de tout abus, qu’il soit communautaire ou individuel dans un cadre élargi, social ou sociétal, politique et autres. Notre présente analyse traite, cette fois le cas d’une pièce souvent intitulée « M’pulanisho » (Le planning familial).
« Mpulanisho » : résumé de la pièce
Les villageois de Nkodadziwa reçoivent un courrier dans lequel est annoncée la venue d’une délégation ministérielle conduite par des cadres médecins pour une sensibilisation sur le programme de planification familiale. Le courrier arrive au village dans l’après-midi même à la place publique où les hommes jouant aux cartes palabraient, se moquaient les uns les autres sur les manières de jouer. Le jeune messager, un jeune villageois instruit annonce la nouvelle et demande au public de préparer la place pour l’accueil de la délégation.
L’histoire se passe dans les années 90 comme témoigne l’usage d’une radio cassette émettant un chant qui appelle à la planification familiale. Tous les villageois ont accueilli avec enthousiasme la nouvelle, sauf un seul : Mzé Djimba. Ce dernier connu pour ses troubles, Chef du village arrive sur les lieux et demande ce qui se passe. Les jeunes l’ont expliqué. Sans surprise, Djimba balaie d’un revers l’idée car pour lui, ce n’est pas à ces gens-là de dicter à qui que ce soit la mise en vie ou non de son enfant. De cette opposition farouche du magnat villageois nait une dynamique d’actions et de péripéties lentes, progressives mais sûres mettant à mal l’argumentaire du Chef du village.
Les caractéristiques de l’œuvre satirique
L’œuvre satirique se présente comme une critique, parfois provocante, mais qui conduit le public à la réflexion, voire à une prise de conscience. Elle repose sur le comique car elle opère en ridiculisant des personnes ou des comportements pour souligner un problème moral, social, religieux ou politique. Le rire permet ainsi de mettre à distance les travers de notre société, de les regarder de plus loin, sous un autre angle. Cette observation distanciée oblige alors le lecteur (lorsqu’il s’agit d’un texte) ou le spectateur (puisqu’il s’agit du théâtre) à réfléchir et à prendre lui-même position. En ce sens, la satire est à la fois divertissante et instructive dès lors qu’elle pointe du doigt les travers de nos mœurs en se voulant surtout plus moraliste que moralisatrice. Elle exprime alors une opinion, voire une thèse en soulignant nos contradictions et nos absurdités.
En revanche, elle n’entend pas nécessairement dire au public ce qu’il doit penser, c’est à lui de rencontrer l’œuvre et de cheminer, ou non. C’est là la nécessité de telles analyses critiques de ce travail. Le comique satirique s’appuie principalement sur des figures des images et styles comme l’hyperbole, exagérant et amplifiant les détails. La satire exploite également le comique de situation, les connotations péjoratives, les moqueries ou bien encore le grotesque et la trivialité. Les auteurs ont aussi recours aux antithèses et aux jeux de mots pour rendre certaines phrases plus percutantes. Ces procédés sont utilisés par certains adeptes médiatiques pour faire le buzz. Ces caractéristiques sont couramment employées dans le théâtre de Djimba et Mgomdri.
Critiquer les puissants tout en déjouant la censure
La satire a un rôle social nécessaire. Elle soude les dominés en leur permettant de rire ensemble de ceux qui les oppressent et leur permet ainsi d’évacuer des frustrations. Cependant, ceux qui ont et exercent les pouvoirs sur les autres n’entendent pas permettre cette liberté d’expression dont l’objectif est de leur faire changer d’avis et donc de leur démunir du pouvoir. Ils ont donc recours à la censure, à l’étouffement du débat. Pour les auteurs et artistes, il s’agit alors de déjouer cette censure en développant des stratégies diverses.
Dans le cas de « Mpulanisho », les auteurs (Mohamed Laher et Djounaïd) s’appuient sur une stratégie consistant à ramener le personnage Djimba, d’une manière progressive, lente mais sûre à sa propre impasse. Nous avions signalé en avance le fait que Djimba soit le premier, mais seul à s’opposer à l’idée de contrôler et maîtriser le taux de natalité dans le cadre familial. Mais en fin de compte, il s’avère qu’il est le seul au village à avoir beaucoup d’enfants avec une seule épouse qui elle-même partage l’idée de planifier. Au village, on la surnomme Mkaribou Idjongo à cause de sa vieillesse malgré son âge de jeune femme.
À la réunion au village, sans surprise, Djimba, le Chef du village est prié de répondre au nom de la communauté de Nkodadziwa. Au départ, il hésitait ou faisait semblant (protocole oblige) et demande à son ami Mgomdri de le représenter car il risque de tout chambouler. Son ami refuse l’offre car à ses yeux, seul Mzé Djimba, présent surtout est le seul à représenter légitimement le village. Il se lève et donne son avis qui, sans surprise balaie la demande formulée par les médecins. Pour le dissuader, son ami Mgomdri a beau évoquer son cas avec Mdzadza Housnati (un mariage de 32 ans avec seulement trois enfants tous en passe de réussir à l’école), le vieillissement de Mkaribu (l’épouse de Djimba) … etc. mais rien à faire.
« Seuls les imbéciles qui ne changent pas »
Droit dans ses bottes, Djimba tient le cap alors que dans le quotidien familial, c’est lui qui en paie. Il est la parfaite victime de cette surpopulation familiale ; en revenant du champ ou d’une sortie, il lui arrive de ne rien trouver à manger alors que Mkaribou Idjongo, sa femme faisait le nécessaire pour les nourrir tous, mais que les enfants, parce qu’ils sont nombreux (dix) lui piquent souvent sa part cachée faute d’en avoir pas eu assez. Cette surpopulation lui vaut les moqueries de tout le monde ; un jour alors qu'il devait ramener tous les enfants à l’hôpital Marouf pour un vaccin contre la varicelle, il a dû emprunter une voiture et son chauffeur pour ramener des « fagots » (ses enfants) à Moroni.
Les médecins en riaient, parlant d’escaliers familiaux. Un jour, à force de se faire avoir par les enfants, il avait mis un plan avec Mkaribou (elle devait faire à manger tard le soir pour le vieux). Un de ses gosses avait entendu le message en cachette. Ils se sont organisés pour que chacun s’en pare d’un ustensile sauf la marmite pour laisser cuire le riz. Djimba demanda à sa femme de vérifier la profondeur du sommeil de chaque enfant. Tout le monde faisait semblant de dormir. Piégée, leur mère se rend compte qu’il n’y avait aucune assiette, ni cuillère, rien. Mais au fur et à mesure qu’elle signale l’outil manquant, c’est un enfant qui se réveille avec jusqu’au complet.
Djimba devient fou furieux et les laisse tout manger. Mais le lendemain, il fait une chute alors qu’il se rendait chez son ami Mgomdri pour lui annoncer qu’il était prêt à pratiquer le planning familial. Des jeunes villageois découvrent le corps presque inanimé de Djimba par terre. Un médecin du village appelé d’urgence demande d’apporter du jus. « Seuls les imbéciles ne changent pas d’avis ». Djimba qui s’en est remis s’est rendu chez Mgomdri pour avoir les informations sur les programmes et pratiques de la planification. Sur conseil de son ami, il s’est finalement rendu à la mission catholique (là-bas, on ne l’oblige pas l’utilisation des « hofu » pour planifier, mais d’autres méthodes qu’il a acceptées).
Abdoulatuf BACAR, Enseignant
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