Il faut frapper la pieuvre mafieuse à la tête. Nazra Saïd Hassane, la jeune femme qui est accusée d’être le cerveau d’une vaste escroquerie de type Po
Il faut frapper la pieuvre mafieuse à la tête
L’interpellation le 28 décembre 2021 à l’aéroport international Prince Saïd Ibrahim de 2 Malgaches et d’un Comorien qui s’apprêtaient à se rendre aux Emirates Arabes Unis à bord d’un jet privé en possession de 49 kilos d’or en lingots a jeté une lumière crue sur les défaillances du pays en matière de sécurité des frontières. L’enquête menée à la suite de ces arrestations a permis au public, à « ceux qui ne savaient pas », de savoir que les trafiquants n’étaient pas à leur premier voyage en jet privé au départ de Hahaya. De dangereux criminels y compris des terroristes pouvaient entrer et sortir du pays quand ils voulaient.
Nos craintes étaient légitimes et nous avaient conduit à l’époque à pousser plus loin nos investigations. Lorsque nous avons appris que les autorisations d’atterrissage à l’aéroport de Hahaya étaient décidées directement par la présidence de l’Union des Comores pour des raisons évidentes de sécurité, 20 km seulement séparant ces 2 endroits stratégiques, nous avions compris que ceux qui gardaient nos frontières fermaient et ouvraient leurs yeux sur ordre du locataire de Beit-Salam.
Dès lors, nous avions conclu que les Comoriens arrêtés et condamnés pour ce trafic rocambolesque n’étaient que du menu fretin. Le directeur général de l’aéroport n’était qu’une victime expiatoire. Les poursuites judiciaires engagées contre lui et son incarcération n’étaient qu’un écran de fumée destiné à empêcher notre curiosité de remonter plus haut dans la chaine des responsabilités et d’atteindre les centres de décision des services de sécurité et Beit Salam. Il ne fallait surtout pas que le scandale éclabousse le Chef de l’Etat en personne !
Les Malgaches furent extradés chez eux et leurs complices comoriens durent passer quelques mois au frais à Dawedjou, histoire de faire croire aux naïfs que la justice est implacable et que personne ne peut échapper à sa rigueur, puissant directeur général d’une entreprise publique fut-il. Histoire aussi pour ce coupable idéal de se faire oublier et de faire oublier le scandale. Condamné à sept ans de prison ferme, le voilà libre de ses mouvements suite à une liberté conditionnelle prononcée le 22 mars 2023. Yasser Ali Assoumani fut un bon soldat et a été bien récompensé pour son silence.
Nazra Saïd Hassane, la jeune femme qui est accusée d’être le cerveau d’une vaste escroquerie de type Ponzi connaîtra-t-elle le même sort ? Des ministres dont le Chargé de la Défense, des magistrats parmi lesquels le procureur général près de la Cour d’appel de Moroni et le procureur de la République près du Tribunal d’instance de Moroni, le chef d’état-major de l’AND, le désormais ex directeur général de la Police et de la Sûreté Nationale, un capitaine de la gendarmerie (qui, curieusement, fait partie des enquêteurs) sont impliqués à des degrés et titres divers dans ce scandale. Nazra Saïd Hassane qui a été licenciée auparavant par la société Huawei pour des faits d’escroquerie a bénéficié des voix des sociétaires membres de l’armée pour être élue au conseil d’administration de la banque mutualiste Meck Moroni, sous le patronage du Délégué à la Défense et du chef d’état-major de l’armée et avec la bénédiction de la directrice générale de cette institution financière.
Le procureur général aurait été sollicité par le Chargé de la Défense pour dissuader un commerçant floué de porter plainte et aurait reçu les différents protagonistes dans son bureau pour trouver un arrangement loin des prétoires et des oreilles indiscrètes.
Acculée et interdite de sortie du territoire, Nazra Saïd Hassane a pu quitter les Comores avec un faux passeport délivré par les services du directeur général de la police et de la sûreté nationale avant de se faire arrêter à l’aéroport d’Addis Abeba.
La liste des victimes est longue. Elle comprend, en plus des particuliers, des entreprises publiques (Comores Télécom), des administrations financières (Direction générale des Impôts) et plus grave encore des établissements financiers (Meck-Moroni, Banque de Développement des Comores). On tombe des nues lorsque l’on apprend que la Banque Centrale des Comores, la garante du fonctionnement régulier de notre système financier, était au courant de ces activités illégales depuis 2ans et qu’elle a croisé les bras, mettant ainsi en danger la sécurité des dépôts des épargnants et offrant par son laisser-aller un boulevard aux opérations de blanchiment d’argent sale.
L’affaire Nazra Saïd Hassane n’est pas un simple fait divers. Elle est révélatrice d’une crise systémique qui affecte le fonctionnement de notre Etat. Nous avons affaire à une pieuvre mafieuse qui a étendu depuis plusieurs années ses tentacules dans le monde politique, dans la magistrature, dans l’appareil sécuritaire, dans la haute administration et dans le système financier. Bref, les Comores sont devenus un Etat mafieux. A moins de vouloir blanchir de l’argent sale, qui se hasarderait à venir investir dans un pays caractérisé par un système financier d’une telle porosité surtout si l’on ajoute à cette affaire les incendies jamais élucidées du Trésor public le 4 mars 2017, de la Banque de Développement des Comores le 21 mai 2018 et de la Banque Fédérale du Commerce le 14 août 2019 ? Il faut préciser que ces incendies n’ont jamais été élucidées parce qu’il a été dit aux enquêteurs de vaquer à d’autres occupations.
La vénalité des hauts responsables de l’armée et de la police est très inquiétante. La situation du pays n’est pas sous contrôle, contrairement à ce qu’affirmait le prédécesseur de l’actuel ministre de l’Intérieur. Ceux qui sont en charge de la sécurité intérieure et extérieure du pays peuvent, en échange d’espèces sonnantes et trébuchantes, laisser entrer et/ou sortir aux Comores des assassins, des agents au service de puissances étrangères et des terroristes.
Et que dire du degré avancé de corruption de notre appareil judiciaire ! Des procureurs impliqués dans une vaste escroquerie qui lèse les intérêts des particuliers et qui risque de faire imploser le système financier du pays ! C’est tout simplement abracadabrantesque !
Dans un pays normal, ce scandale aurait provoqué une onde de choc de magnitude 9,5 et aurait précipité des changements profonds. Je crains fort que nous nous contentons de priver la pieuvre de quelques tentacules, oubliant que tant qu’elle n’est pas frappée à la tête, la pieuvre peut survivre en régénérant ses tentacules.
Abdourahamane Cheikh Ali
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