Il y a deux jours, un ami m’a parlé de vifs échanges entre les Comoriens réseaux-socialisés au sujet..Hymne national comorien :quelle version retenir?
Hymne national comorien, quelle version retenir?
Il y a deux jours, un ami m’a parlé de vifs échanges entre les Comoriens réseaux-socialisés au sujet de l’hymne national, qui ne serait pas encore fixé. Il m’ a dit qu’un chercheur serait même parti voir un des auteurs de Udzima wa masiwa (Unité des îles), “nom” de l’hymne national comorien, dans le souci de les départager. En vain.
C’était sans compter sur les différents Virus Réseaux-Socialement Transmissibles (désormais VRST), dont certains parmi nous sont atteints. Le pire de tous ces VRST est le caractère interminable des polémiques, qui ne débouchent que très rarement sur quelque chose de positif.
Un autre VRST est que tout le monde a, comme « Arrias, tout vu, tout lu et veut le persuader ainsi. Il aime mieux mentir ou divaguer que de se taire ou paraître ignorer quelque chose ».
Devant un million de Sethon, il ose disserter sur tout, distribuer bons et mauvais points comme bon lui semble. C’est l’honnête homme des temps modernes. Un abîme d’informations, un ordinateur bipède.
Le pire est qu’on aura beau savoir qu’il n’était pas bon à l’école, qu’il a eu les pires difficultés du monde pour avoir le petit quelque chose lui servant de diplôme, notre honnête homme ne se dégonfle devant rien. Après tout, comme dit un proverbe comorien, “Quand on n’a pas de nez on n’a jamais peur de se mettre de lourdes charges sur la tête”. Mais, quelqu’un pourrait lui dire, comme le chantait merveilleusement feu Muhammad Hassane, qu’on le voit nu”? Pourrait-on lui dire qu’il faut savoir se taire et ne pas parler de tout, de peur de se mordre la langue un jour?
Revenons à l’Unité des îles. En débattre aujourd’hui n’est pas en soi un problème. L’hymne national japonais, bien que le plus vieux du monde, à ma connaissance, n’a été officialisé qu’en 1999. Donc, si nous, Comoriens, débattons du nôtre aujourd’hui, ce n’est pas une honte.
J’irai même plus loin. Que d’aucuns disent qu’il faut garder “dini n-dzima” (une religion unique) et d’autres ulimi udzima (une langue unique), c’est banal. Ceux qui voient derrière l’utilisation de ulimi en lieu et place de dini une volonté cachée pour certains de séculariser les Comores exagèrent d’autant plus qu’un vers avant, il est clairement fait mention de la religion musulmane - comme ciment de la nation comorienne. Je ne vais pas ouvrir ici un autre débat sur ce qu’est la sécularisation.
L’Etat doit trancher, s’il ne l’a pas déjà fait, sur quelle version garder. Et ce ne sera pas la fin du monde, si ce n’est pas fait avant. Le kimi ga yo japonais n’a été officialisé qu’en 1999, comme sus-mentionné.
Le danger que les Comores courent, en revanche, est que, notre langue nationale, le comorien, une langue bantu très fortement arabisée, 30 à 50 % du vocabulaire est arabe, n’est toujours pas enseigné à l’école. Une orthographe est proposée par M-A Chamanga, depuis près d’une vingtaine d’années, voire plus, mais l’Etat n’a jamais mis les moyens nécessaires pour son adoption.
Conséquence, les Arrias de Facebook disent tout et n’importe quoi, sur l’unité des Comores. Le shiMaore serait une langue à part, comme le shiNgazidja serait lui le vrai comorien. Certains, de bonne foi, en viennent même à demander aux linguistes de se mettre d’accord sur la variante à enseigner à l’école, sous-entendant sans le savoir, que le comorien n’est pas une seule et unique langue.
Et c’est là qu’on dit aux gens de rester chacun dans son domaine de spécialité. Le linguiste sait que upepeza (de la variante anjouanno-mahoraise) et upepeya (de la variante mohélo-grande-comorienne) sont les deux réalisations d’un même étymon bantu, et non l’expression de deux langues différentes, comme il sait que djimbo (chant) (le b est ici implosif) en comorien et nyimbo en shi/ki Shewa ou shiNanja (parlé par exemple au Malawi) dérivent du même étymon bantu. Aucun de upepeza et upepeya n’est plus vrai que l’autre.
Et le fait qu’il y ait ces variantes là sur un territoire marqué, qui plus est, par l’insularité est d’une banalité sans nom. Un restaurant, à Marseille, est une forme de baguette de pain. À Paris, c’est seulement le lieu où l’on va pour manger. Est-on pour autant face à deux langues différentes? Une wassingue, dans le Nord de la France, voire en Belgique, c’est une serpillère. Dira-t-on pour autant qu’on n’y parle pas français? Il s’agit là d’éléments, au demeurant, familiers en linguistique qu’on appelle des variétés diatopiques, qui se déclinent en dialectes, regiolectes, topolectes, etc.
Le comorien est Une langue, faite de deux grandes variantes, celle parlée en Grande-Comore et Mohéli (shiNgazidja-shiMwali) et celle parlée à Anjouan et Mayotte (shiNdzuani-shiMaore). Cette division est, vous l’aurez compris, due à la proximité géographique des îles, créant une isoglossie (similarité linguistique) entre les îles les plus proches.
Il est facile de l’enseigner puisque la structure grammaticale est la même, les mots veulent à près de 99% dire la même chose, avec une forte arabisation selon qu’on est dans la noblesse et les classes lettrées. Cela, aussi a un sens et, s’appelle variation diastratique.
L’arabe se fait parfois ressentir sur une île plus que sur une autre dans des champs sémantiques particuliers. Ainsi du numéral qui, à Anjouan et Mayotte, est très arabisé, le système numéral bantu s’arrêtant à 5 - au-delà, il fait de la réduplication, comme nane, qui est de fait ne (4) na (et/avec) ne, avec l’élision du premier ne, a recours à des noms, fait des additions, du style 5+1.
En shi/Ki Shewa (ki et shi c’est la même chose, ils veulent dire « à la façon de, ki/shi Farantsa, c’est la langue française, parce que c’est à la française, bref), on dit: modzi (1), wiri (2), tatu (3), nayi (4), sanu (5), contre montsi, mbili, ndraru, nne, nstanu, en shiKomori (variante shiNgazidja). Les similarités sont patentes.
Il n’y a donc pas besoin de cent ans pour introduire le comorien dans l’enseignement. Il faut de l’huile de coude et une réelle volonté politique. Il en va de l’existence même de la nation. Nous devons former les enseignants à l’enseignement du comorien, afin de pouvoir ensuite l’enseigner aux élèves.
Aussi faut-il encourager la recherche sur le comorien. La plupart des chercheurs qui travaillent ou ont travaillé sur le comorien ne sont pas Comoriens, à ma connaissance. En effet, la première thèse faite sur le comorien est celle de Mme Rombi, en 1983, suivie de celle de Michel Lafon en 1987. Chamanga en soutient une en 1991, suivi de feu Said Soilihi, de Haladi Hamadi, de C. Patin, d’ A-Aimee Johansen, de Mohamed Bajrafil et d’Abdou Djohar.
À l’université paris 8, Madame Picabia et ses étudiants, dans les années 90, comme l’actuel ministre comorien de la justice qui a consacré son mémoire de DEA au comorien et d’autres articles, ont amorcé pas mal de choses. L’actuel ambassadeur des Comores auprès du Sénégal a aussi fait certains travaux sur le comorien, comme Madame Cheikh a énormément travaillé sur la langue comorienne. Gérard Philippson, Francis Jouannet et Kisseberth ont aussi travaillé sur le Comorien.
Chamanga est, sans conteste, celui qui a le plus travaillé sur le comorien, et ce bien avant que nous autres naissions. Les grands traits de la langue sont connus grâce à tous les travaux cités, certes. Cependant, on est vraiment loin de connaître exhaustivement la langue comorienne. Ces travaux restent très insuffisants face à l’immensité et à la complexité de la langue comorienne, qui n’est pas moins riche, ni moins intéressante qu’une autre.
J’en appelle aux jeunes chercheurs, tout autant qu’aux autorités comoriennes. Aux premiers de se lancer dans la recherche en linguistique comorienne, qui passe nécessairement par une connaissance des théories linguistiques d‘abord, autrement on est un linguiste de pacotille. Aux secondes de prendre conscience de l’urgence d’introduire le comorien dans l’enseignement.
L’homme est un être de parole. Il s’éteint lorsque s’éteint sa parole. Hushante, ce n’est pas du comorien. Hubude, non plus. Ils le deviendront si rien n’est fait. Et le linguiste y trouvera toujours son compte, dans la mesure où il n’est pas là pour dire ce qu’il faut dire, plutôt décrire ce qui se dit.
Enfin, jouer les patriotes sur Facebook est plaisant parce que facile. Le patrimoine comorien a besoin de la contribution de tous. Ce n’est pas l’affaire d’un gouvernement seulement, même s’il doit impulser une politique encourageant sa protection, à travers par exemple des journées du patrimoine, des maisons de la culture, etc.
Des associations existent dans les villes et régions, qui travaillent à protéger le patrimoine, souvent avec des bouts de ficelle. Elles doivent être sérieusement aidées par l’Etat, les bailleurs et autres mécènes. À quiconque dira que l’éducation coûte cher dites, comme Lincoln, d’essayer l’ignorance.
Il y a, cependant, des actions qui n’ont pas besoin d’autre chose que la volonté de chacun de nous, comme l’inscription au cours d’initiation au comorien, à l’INalCO, qui existe depuis plus de trente ans aujourd’hui, mais qui, hélas, risque de s’arrêter, faute d’étudiants et de candidats. On peut s’y inscrire sans être étudiant, parce que l’INalCO propose plusieurs parcours.
Quelle version retenir de l’hymne national? Une question secondaire, une énième polémique, dirais-je, qui doit déboucher sur une prise de conscience collective de la nécessité impérieuse d’enseigner la langue comorienne à l’école.
Comoriennement vôtre.
M. B
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