Nous ne sommes pas connus pour notre ardeur au travail. No….Notre relation au travail serait elle congénitale ou liée à notre environnement culturel ?
Notre relation au travail serait elle congénitale ou liée à notre environnement culturel ?
Nous ne sommes pas connus pour notre ardeur au travail. Nous le reconnaissons aisément et sans fard. Nous associons, sans honte aucune et donc sans aucune volonté de remise en question, la motivation pour le travail, la persévérance et le travail bien fait à l’Européen. « Hazi ya Mzungu kehisa » (le travail de l’Européen ne finit jamais). « We uruma dja Mzungu » (Tu commandes comme un Européen) pour indiquer que SEUL un chef européen peut être exigeant. Nous concluons par « Hazi, mzungu !» (le travail, c’est l’Européen) pour insinuer que le travail bien fait ne peut être que l’œuvre de l’Européen.
Nous passons peu de temps au travail. Nos journées de travail effectif sont trop courtes et nos retards et absentéismes sont fréquents y compris lorsque nous travaillons à notre compte. Les hommes, jeunes et moins jeunes, délaissent les travaux des champs pour squatter ces innombrables places publiques dont les villages s’enorgueillissent. Ils abandonnant ainsi aux femmes le travail de la terre, la commercialisation des produits agricoles et plus largement le devoir de nourrir la famille.
Les rares hommes qui travaillent la terre s’arrangent pour être au village à 13Haprès une journée de travail de 4 heures maximum pour passer le reste de la journée à palabrer et à jouer aux cartes et au mraha dans les bangwe traditionnels ou les places aménagées par les jeunes. Ceux et celles qui tiennent les magasins ne font pas mieux. Il n’y a pas d’horaire d’ouverture et de fermeture des magasins. Leurs propriétaires les ouvrent et les ferment quand bon leur semble. Vous pouvez y entrer et en sortir sans que le commerçant vous adresse la parole. Il peut continuer la conversation avec un ami et ignorer superbement l’acheteur potentiel que vous êtes.
Cette propension à l’oisiveté, cette répugnance à l’effort et cette absence du sens de l’accueil ne peuvent être qu’un repoussoir pour les touristes et investisseurs étrangers que nous espérons ériger en moteurs de notre développement.
Je vous épargne notre relation au travail dans les administrations et entreprises publiques. Il serait illusoire d’y espérer une motivation de la part de gens qui répugnent à l’effort lorsqu’ils travaillent pour leur compte. Ne dit-on pas qu’il faut s’aimer avant de pouvoir aimer les autres ? « Mdru djanza ye hadjohandza mdru ».
Nous ressemblons comme des jumeaux à nos frères continentaux, qu’ils soient subsahariens ou Nords Africains. Comme nous, ils sont également infectés par les virus de la flemmardise, s’adonnent volontiers aux futilités et sont connus pour être des fêtards.
Ainsi, la République Démocratique du Congo avec ses 80 millions d'hectares de terres arables n’est toujours pas autosuffisante sur le plan alimentaireet importe chaque année pour plus d'un milliard de dollars de denrées alimentaires alors qu’elle a le potentiel pour nourrir ¼ de l’humanité. Ce grand pays ne cultive que 3 % de son territoire par contre il compte le plus grand nombre d’orchestres musicaux au km2 et le plus grand nombre de chanteurs par habitant au monde.
La Chine, quant à elle, a réussi le miracle de nourrir ses 1,3 milliards d’habitants grâce au travail acharné de ses exploitations familiales et vise désormais à détrôner les Etats Unis de la place de 1ère puissance économique mondiale. Quel parcours pour un pays qui était en 1949 le plus pauvre du monde ! De toute évidence, les Congolais et d’une manière générale les Africains, n’ont pas les mêmes priorités que les Chinois.
Nos frères du nord du continent n’échappent pas à la règle. Les Egyptiens passaient plusieurs heures pendant la journée et en semaine à écouter et applaudir Oum Koulthoum pendant que les Israéliens consacraient leurs efforts et leur intelligence à l’agriculture jusqu’à assurer l’auto-suffisance alimentaire à hauteur de 95% dans un pays qui n’est pas doté d’atouts naturels pour l’agriculture, investissaient considérablement dans la recherche-développement et se dotaient de l’arme nucléaire. Israël est aujourd’hui, avec peu de ressources naturelles, au premier rang des pays du Moyen Orient en termes d’IDH ( Indice de Développement Humain).
Il est à noter que Maurice est le pays africain qui dispose du meilleur IDH. Cependant, lorsque l’on constate que la population du pays africain qui dispose de cette performance est composée seulement de 27 % de citoyens d’origine africaine contre 68 % d’origine indienne, on ne peut que se poser cette question : la relation des Africains au travail est-elle congénitale ou liée à leur environnement culturel ?
Beaucoup seront tentés d’attribuer les performances de l’économie mauricienne exclusivement à son modèle démocratique, oubliant que la Corée du Sud, Taïwan et Singapour pour ne citer que ces pays, ont posé les jalons de leur développement économique sous des régimes dictatoriaux parfois plus violents que nos potentats locaux avant d’évoluer vers la démocratie et que la Chine, 2ème puissance économique du monde, reste toujours et peut-être pour longtemps une dictature.
Hors de notre contient, nous faisons preuve d’ardeur au travail quel que ce soit le secteur d’activité, prouvant que nous ne sommes pas nés avec des bras cassés et que la posture malsaine que nous adoptons par rapport au travail sous nos cieux n’est pas congénitale. Faudrait il en déduire que nous évoluons en Afrique dans un environnement culturel toxique ? J’ai tendance à le penser.
D’autant plus que nous sommes capables de nous surpasser, de travailler avec beaucoup d’ardeur et d’être très productifs chez nous en Afrique si on agite un bâton sur nous ! N’étions nous pas proches de l’auto-suffisance alimentaire pendant le régime d’Ali Soilihi entre le 3 août 1975 et le 13 mai 1978 ? Sous la terreur des comités populaires, les Comoriens avaient déserté les bangwe et passaient de longues journées à travailler la terre.
Il en est résulté une abondance de produits vivriers qui profitait également aux autres catégories socio-professionnelles. Les produits agricoles étaient bon marché car l’offre était nettement supérieure à la demande. Les autorités de l’époque n’avaient pas besoin ni de conférences de presse ni d’arrêtés ministériels pour obliger les vendeurs à baisser les prix.
Ce régime qui avait au moins réussi à mettre les Comoriens au travail et qui visait sérieusement l'autosuffisance alimentaire a été renversé le 13 mai 1978, soit 44 ans jour pour jour. Le lendemain, les Comoriens ont repris leurs mauvaises habitudes et nous voilà aujourd'hui réduits à importer du manioc, des oignons et des citrons....et à nous lancer dans une course effrénée dans l'édification de places publiques
Abdourahamane Cheikh Ali
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