Le ramadan de mon enfance, dans mes Comores natales (suite) : le tsahu

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De l’arabe sahūr, le tsahu est le repas que l’on prend la nuit en préparation...Le ramadan de mon enfance, dans mes Comores natales (suite) : le tsahu

Le ramadan de mon enfance, dans mes Comores natales (suite) : le tsahu

Le ramadan de mon enfance, dans mes Comores natales (suite) : le tsahu


De l’arabe sahūr, le tsahu est le repas que l’on prend la nuit en préparation d’une journée de jeûne. Précisément, ce repas est pris bien après minuit, ce qui en fait un médianoche, comme dirait la noblesse française.

Vous vous imaginez bien que ce n’est pas le repas en tant que tel qui importe ici. C’est l’ambiance qui l’entourait que je m’en vais vous conter.

Tout était question de prière, dans la vie, aux Comores. Autrefois, en effet, les rendez-vous étaient donnés avant ou après telle ou telle prière. Ainsi entendait-on les vieux dire “baada ye adhuhuri” ou “kabula ye asubuhi” ou “kabula ye maharibi”, ou “lanswiri”, ou “le’esha”, respectivement après la prière d’aldhuhr (la mi-journée), avant la prière d’alsubh (l’aube/matin) avant la prière d’almaghrib (coucher du soleil), celle d’al-‘asr (avant le coucher) et celle d’al-‘ishā’, la nuit.

Le tsāhu ne pouvait, ainsi, qu’être avant ou après une prière. En l’occurrence, il s’agissait du witiri, de l’arabe witr, une prière impaire qu’il est recommandé d’accomplir après la prière de la nuit, mais qui revêt une importance particulière les nuits du ramadan. Et ce, bien après une autre prière surérogatoire très observée par les musulmans, le tarāwīh.

Dans mon enfance, le tarāwīh était de 20 unités de prières (rakaat) dans lesquelles on récitait les petits chapitres du Coran, précisément ceux de juz’ ‘amma. C’était relativement rapide. Mais, il y avait toujours plus rapide. Dans la zāwiyā shādhuliyya, où Papa nous enseignait, on allait relativement vite. Mais, il y avait plus vite, à la grande mosquée du vendredi. On y récitait tellement vite que de la fātiha, on en entendait seulement le début et le dhāllīn. Comme si l’imam entrait en apnée le temps de la fātiha! Trop forts, les tontons. Ni règle de tagwid, ni rien! J’en ris encore aujourd’hui car souvent on allait à la mosquée du quartier qui était toujours meilleure que les autres!

Une fois le tarāwīh finie, certains allaient dormir pendant que d’autres restaient éveillés jusqu’au tsahu, qui discutant de tout et de rien, qui animant des débats intellectuels. Ailleurs, dans les autres îles, il y avait et il y a encore le m(u)rengue, un combat dans lequel individuellement les jeunes se cognent par les poings, au visage seulement. Moi qui ne sais pas me battre et qui n’y ai jamais pensé, je ne sais pas comment on fait pour aimer une telle pratique. Qui pis est, la nuit du ramadan. Mais, quand on est jeune, on a une raison que la Raison ignore.

À Tsidjé, ma ville, les intellectuels avaient imaginé pour nous une sorte de question pour un champion. Pour nous pousser à bosser, à lire et à nous cultiver, ils nous donnaient rendez-vous tous les soirs après tarāwīh à la place principale de la ville, appelée Mtsandzani. Pendant la journée, on devait se cultiver, lire, faire des recherches, dans l’espoir de gagner face à des gens qui étaient médecins, pharmaciens, sociologues, statisticiens etc, diplômés des grandes universités occidentales, pour certains, du moins.

Je pense à Fundi Labrosse, alors directeur de l’Ecole Nationale d’Administration et de Commerce, à Boinaboina Houssein, Vice-président de l’Assemblée Nationale, Ali Mohamed Abdou (Tony) pharmaco-biologiste, à Paris, qui était parfois de passage au pays, à l’époque, à Fundi Chaarane Andhūm, statisticien et mathématicien de renom, bien que candidat au bac en 1978, il provoque l’arrêt de l’épreuve de maths parce qu’il y y a vu une erreur, et refaite, il a décroché, comme d’habitude, 20, et surtout à feu Bakri Chakira, mon second père, à qui je dois le choix de ma fac, Paris 7.

Lorsqu’il n’y avait pas ces débats, il y avait d’autres occasions de jeu. Tenez, il y avait des jeux musicaux assez drôles, comme ceux qu’animaient deux frères de mon quartier, Hassan et Kadhafi, respectivement surnommés Soka et Koeman. Qu’est-ce qu’ils nous ont amusés avec leurs chants à capella!

Bref, vous l’aurez compris! Après Tarāwih, c’était liberté de jeux et farniente! Les gens, d’habitude, couche-tôt, à 21h tu n’as personne dehors aux Comores, jusqu’à lors, d’ailleurs, sauf le Ramadan, restaient sur leurs terrasses ou dans les bangwé (place publique).

Ceux qui dormaient se faisaient réveiller pour le tsahu vers mi-nuit, 1h-2h du matin. Et pour ce faire, il n’y avait pas la même chose, selon les villages, villes et quartiers. À Tsidjé, on avait les chants de certains grands frères, comme mes grands frères, Ibrahim Muhammad, Souleiman bin Daoud, qui pour l’occasion se transformaient en fanfare, les hauts parleurs de la grande mosquée, qui diffusaient à mi-nuit le fameux: Wakāt! Wakāt! (Waqt, en arabe), (C’est l’heure, c’est l’heure! ) accompagné d’invocations qu’il serait long de rapporter.

Et tu avais aussi les petits malins qui se jouaient toujours des autres. Ils venaient non pour te réveiller, mais pour pouvoir t’embêter le lendemain. Ils te demandaient par exemple: Ngo ulo hau ngo yeho (Tu manges ou tu laisses pour demain?)

Bref, c’était le tsahu de mon enfance! Plus qu’un simple rite, une ambiance, un esprit. C’était l’esprit tsahu

Humainement vôtre!

Mohamed Bajrafil

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