« L’école coloniale n’avait qu’un but : former ses cadres, ses serviteurs pour l’avenir et le devenir de ses intérêts » Saïd le fidèle
Communiste depuis son adolescence aux Comores, Saïd n’a renoncé ni à ses convictions militantes ni à ses croyances religieuses.La poésie et les camarades aident ce militant internationaliste, ancré sur le terrain, à garder le cap.
On ne lui donne pas d’âge. Lui-même ne sait pas vraiment quand l’a caressé pour la première fois ce soleil que chante sa poésie. Le fonctionnaire qui a enregistré Saïd Ibrahima quand il lui a fallu une identité administrative pour entrer à l’école primaire l’a présumé né en 1968 (« l’année où le cyclone est passé », ou une période d’abondance ?), et lui a assigné un mois et un jour d’anniversaire.
L’intéressé, « en harmonie avec la nature », ne se formalise pas : « les arbres ne savent pas quand ils ont été plantés… Voilà comment ça se passait à l’époque coloniale ». Mieux que personne, Saïd fait la différence entre la période qui a précédé l’Indépendance de l’île dont il est originaire, la Grande Comore, et la situation ailleurs dans l’archipel, spécialement à Mayotte restée dans le giron français, décision à l’origine de drames que ce passionné ne cesse de dénoncer.
En 2017, il a publié chez Pincky Blue Mayotte. Un autre mur de la honte, recueil de textes en prose et en vers où il rappelle que hors de l’Océan indien aussi, des murs d’eau et de silence causent la mort de milliers d’hommes. La misère qui pousse les habitants des « îles sœurs » à rejoindre Mayotte au prix de leur vie est en effet liée à une situation d’« occupation illégale » « condamnée vingt-deux fois par l’Assemblée générale de l’ONU » (p. 15). Saïd a rencontré l’éditrice qui lui a proposé de publier ce recueil lors d’un hommage aux militants tués le 8 février 1962 métro Charonne par la police qui réprimait une manifestation contre l’OAS et la guerre d’Algérie. Toutes les victimes étaient syndiquées à la CGT et (à une exception) membres du parti communiste, comme Saïd.
Communiste, il l’est « depuis toujours », bien qu’il n’ait officiellement adhéré qu’en 2007, après que Marie-George Buffet a obtenu moins de 2% au premier tour de l’élection présidentielle : il a alors pensé qu’on avait « besoin de [lui] ». Saïd a donc connu le temps où les cartes du PCF arboraient la faucille et le marteau, un symbole auquel il est attaché par fidélité à un idéal d’union prolétarienne. Critique de la dérive stalinienne, il estime que « Trotski a eu raison », et se sent plus proche du NPA que de l’actuel parti socialiste.
Si, lors de la dernière campagne présidentielle, il a suivi la « base » du PC, qui contrairement à l’appareil, ne voyait pas d’un bon œil le rapprochement avec les socialistes – Saïd mettrait des guillemets à cette dernière étiquette –, pour 2022 il aurait souhaité un candidat unique, comme en 2017. Non qu’il adore la tête d’affiche de l’ancien Front de gauche… Mais, nécessité faisant loi, il l’a soutenue. Dans le grand complexe sportif où il travaillait alors comme gardien, ses collègues le surnommaient même Mélenchon ! Le « centralisme démocratique » est, reconnaît-il, nécessaire et compliqué : au cours de sa vie militante, Saïd a toujours respecté, même à contrecœur, les décisions de la majorité.
Lui qui avait prêté son visage à la campagne contre l’austérité a dû renoncer il y a quelque temps à se présenter sur une liste municipale, en raison de son emploi, dépendant de la Mairie de Paris. « Vieux de la vieille » en comparaison de camarades moins expérimentés, il le regrette un peu ; pas dupe des stratégies qui poussent le Parti à moderniser son image, à la « colorer », il est toujours disposé à prêter main-forte. Et si cela « peut inciter des Noirs à s’engager », c’est encore mieux. Il précise que, s’il entend lutter contre « toutes les formes d’injustice » à l’œuvre dans une société qui fonctionne à « la domination et l’oppression », son militantisme est ancré sur une conscience de classe : « “Prolétaires de tous les pays, unissez-vousˮ est « un principe non négociable ».
« Je ne suis pas l’égal de mon patron », constate ce travailleur, qui ajoute : « s’il suffisait de voter pour obtenir l’égalité, ça se saurait ». Non que l’égalité politique soit une illusion, mais elle n’est pas possible sans « un système financier juste ». Anti-impérialiste, Saïd considère que la colonisation a eu des effets négatifs sur les colonisés comme les colonisateurs, qui ont intégré le fantasme de leur propre supériorité. Sa France n’est pas celle des Lumières (l’expression le chiffonne) ; plutôt « une France éveillée » où chacun travaillerait contre ses propres préjugés. Tâche – de plus en plus ? – difficile.
Deux causes le touchent au cœur : celle des mal-logés et celle des sans-papiers, pour lesquelles il s’est mobilisé au sein d’associations dès son arrivée en France, parallèlement à la routine de l’activité militante, plus ou moins intense selon les périodes : tractage de sept à huit heures du matin aux bouches du métro ou à la sortie du tram ; « boîtage » dans telle ou telle « cité » HLM ; distribution de L’Humanité dimanche (relooké en HD, au format tabloïd) place Henri Krasucki, dans le 20e arrondissement de la capitale, non loin de la Villa Faucheur, haut lieu de la mémoire anarchiste où Saïd a vécu.
Plusieurs années après son déménagement, il a continué de militer dans le quartier. Sur la « petite place rouge », pas d’hostilité : en route pour le marché ou les Buttes-Chaumont, les riverains comme les sportifs d’occasion se montrent plutôt réceptifs : pas mal de jeunes ont adhéré au PCF lors de la précédente campagne pour la présidentielle. Saïd n’a pas de tactique ; mais ses arguments et sa sympathie parviennent parfois à convaincre.
« Ah, le parti communiste est encore vivant ? » – peut-être la simple manifestation d’un étonnement – est bien la seule « pique » que Saïd...Lire la suite sur La Vie des idées
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