Amy, 14 ans : « Mon père a choisi une autre famille » Amy a 14 ans. Elle est collégienne, à Rennes. Son témoignage a été recueilli par les j...
Amy a 14 ans. Elle est collégienne, à Rennes. Son témoignage a été recueilli par les journalistes de la Zone d’expression prioritaire, lors d’ateliers avec des jeunes.
La Zone d’expression prioritaire (Zep) collecte la parole des jeunes de 14 à 28 ans lors d’ateliers d’écriture encadrés par des journalistes. Ces témoignages sont ensuite publiés par des médias. Ouest-France a choisi d’être l’un d’eux. Tous les mois, le premier mardi, dans le journal et sur ouest-france.fr, on peut lire ces récits de vie, comme celui d’Amy, 14 ans, collégienne à Rennes.
« Pendant des années, je pensais que mon père partait des semaines en déplacement pour le travail. En fait, il avait une autre famille. Il nous a laissés dans la galère et aujourd’hui encore j’ai plein de questions sans réponses.
Quand j’avais 4 ans et mon frère 1 an, mon père a trompé ma mère. Mon père est alors parti en France et nous a laissés à Mayotte, sans rien. Mes parents avaient déjà des problèmes financiers, mais il ne nous a vraiment rien laissé. Nous avons donc été obligés de vendre la maison et de partir vivre chez la marraine de ma mère, qu’elle considérait comme sa propre mère. Mais son mari n’appréciait pas vraiment ma mère : pour lui, ce n’était pas sa fille, même symboliquement. Ma mère ne supportait plus les tensions, elle a donc décidé, deux ans plus tard, que nous devions de nouveau partir et chercher un autre endroit où vivre. »
« J’aurais aimé pouvoir aller aux Comores »
« Nous avons trouvé un petit logement. Ma grande tante nous aidait pour le loyer jusqu’à ce que son mari l’oblige à ne plus nous soutenir. Nous avons donc dû déménager encore une fois. C’était à côté de mon école, c’était plus facile pour moi d’y aller par rapport aux autres maisons. Mais malgré tout, cet appartement ne me plaisait pas. C’était tout petit, et puis je n’avais pas d’amis.
J’aurais aimé pouvoir aller aux Comores chez mes grands-parents. Je suis sûre que ma mère aussi aurait aimé. Une partie de notre famille y vit, ma mère y a grandi. Elle y était vraiment heureuse, elle nous l’a souvent dit. Au départ, je ne comprenais pas bien pourquoi nous n’avions pas le droit, mon frère et moi, d’aller voir notre famille sur l’île d’à côté. Mais en fait, il fallait avoir des visas. Mayotte est française et pas le reste des Comores. Nous sommes des étrangers sur le papier là-bas. Et puis, elle nous disait aussi que les conditions n’auraient pas été vraiment mieux pour y emménager tous les trois. »
« Je me souviens du jour où j’ai quitté le pays »
« Une assistante sociale nous a aidés dans cette période, elle a fait beaucoup pour nous. Grâce à elle, nous avons trouvé une autre maison. Depuis le départ de mon père, c’était mon quatrième déménagement. Je me souviens que dans ce nouveau quartier j’avais des amis, ma maman aussi, et mes cousines habitaient tout près. Je pouvais jouer avec elles souvent. La vie « normale » reprenait. Ma mère s’est battue pour que mon père nous verse une pension alimentaire. Peu à peu, et même si moi j’étais jeune, j’ai commencé à avoir moins peur qu’on n’ait encore une fois plus d’argent. Puis nous avons de nouveau dû partir, cette fois pour la France.
Je me souviens très bien du jour où nous avons quitté le pays. Nous avons dormi chez l’assistante sociale, qui nous a aidés pour les démarches pour la France, à Petite Terre proche de l’aéroport. J’étais triste de quitter mon pays et une partie de ma famille, mais je pensais vraiment que nous allions enfin être tous ensemble. Mais la réalité était toute autre, je ne le savais pas encore. Mon père est venu nous chercher à l’aéroport. J’étais tellement contente, ça faisait cinq ans qu’on ne s’était pas vus. Ma mère n’était pas aussi enthousiaste, mais à ce moment-là tout ce qui m’importait c’était d’être enfin avec mon papa. Nous nous sommes installés dans notre nouvelle maison en Alsace. Mais mon père nous a juste déposés et est reparti. »
« Pour moi, c’était nous sa vraie famille »
« Je ne comprenais pas. En même temps je ne me posais pas trop de questions, pour moi j’étais en France avec toute ma famille. Ma mère, elle, était un peu paniquée ; elle ne connaissait pas ce pays, la ville, elle ne savait pas comment y vivre, se repérer...Et quand elle appelait mon père, il ne répondait pas. Quand il est revenu quelques jours plus tard, mes parents se sont beaucoup disputés. J’ai compris que malgré la distance et le temps, rien n’avait changé.
En Alsace, j’ai appris qu’il avait une autre famille. Et visiblement, il préférait être avec elle qu’avec nous. C’était la même femme avec qui il avait trompé ma mère et pour laquelle il était parti en France. Pour moi, c’était nous sa vraie famille, il allait revenir. Ma mère m’a alors annoncé qu’il avait eu une fille avec cette autre femme, et qu’elle était enceinte d’un petit garçon. »
« Je me pose toujours beaucoup de questions »
« À partir de là, j’ai eu l’impression d’être entre les deux et de ne pas savoir comment réagir, sans bien comprendre. Ma mère me dit toujours de ne pas en vouloir à mon père, qu’il reste mon père, qu’il m’aime. Et en même temps, je vois depuis qu’il est parti de Mayotte et même depuis que nous sommes en France, qu’il ne fait rien pour nous et que ma mère se plaint de son comportement. Alors, je me pose toujours beaucoup de questions qui restent sans réponses : pourquoi a-t-il choisi cette femme plutôt que nous ? Nous aime-t-il vraiment ?
Depuis que nous vivons à Rennes avec mon frère et ma maman, et que lui est toujours en Alsace, je n’ai pas vraiment l’esprit plus clair sur toutes ces années et le comportement de mon père. Je lui parle de temps en temps au téléphone, mais j’essaie d’accepter que je n’aurai peut-être jamais de réponses à mes questions. »
Amy, collégienne, à Rennes. Ouest-France
« Mon père avait une autre famille. Il nous a laissés dans la galère. »© D’après une photo mariesacha – stock.adobe.com
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