Explication Dix-sept mois après la naissance d’un volcan sous-marin près de l’île de Mayotte, les chercheurs redoublent d’attention ...
Explication
Dix-sept mois après la naissance d’un volcan sous-marin près de l’île de Mayotte, les chercheurs redoublent d’attention car il s’avère que ce volcan géant est à la fois puissant et encore bien mystérieux.
Près d’une cinquantaine d’océanographes, géophysiciens et volcanologues se sont réunis, mardi 15 octobre à l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP), pour faire le point sur les résultats et, surtout, réfléchir aux projets de demain.
►Que s’est-il passé depuis mai 2018 ?
À cette date ont commencé à se faire sentir, à environ 10 km à l’est de Mayotte (Petite-Terre exactement), une succession de près de 2 000 microséismes (dont une majorité de magnitude 3,5 et la plus forte de 5,8). Certains parmi eux sont accompagnés d’ondes dites de tremor, ce qui signifie qu’on est en présence de laves circulant dans des conduits. Aujourd’hui, la sismicité a diminué, et les séismes sont profonds, entre 30 et 50 km.
Parallèlement, à partir du fond océanique situé à 3 500 m de profondeur, un cône volcanique a commencé à émerger. Ses dimensions aujourd’hui sont de 800 m de haut et d’un diamètre à la base de 4 à 5 km. Il a craché deux grandes coulées de lave ainsi que des panaches de fluides (méthane) qui ne sont pas arrivés jusqu’à la surface de l’eau. La nature de la lave dégueulée par le volcan est du basalte, c’est-à-dire une roche magmatique, compacte et noire, issue d’un magma refroidi rapidement et caractérisée par une composition minéralogique particulière (pyroxène, olivine et magnétite).
« Pour l’heure, le volcan a émis au moins 5 km3 de lave en moins d’un an, ce qui équivaut à 30 % de la lave éjectée le long des 50 000 km des dorsales océaniques, ces chaînes de montagnes sous-marines qui se sont formées le long des zones de divergence entre les différentes plaques tectoniques qui tapissent la croûte océanique », explique Éric Humler, géochimiste au CNRS, et coordinateur d’une des missions d’étude (1). Ce qui en fait un « point chaud » particulièrement important.
« Cette éruption est probablement responsable du déplacement de l’ensemble de l’archipel vers l’est, l’ile de Mayotte s’étant en un an enfoncée d’environ 15 cm déplacée d’environ 20 cm. Encore sans nom, ce volcan sous-marin actif est le héros d’une éruption originale et massive en cours », poursuit Éric Humler.
Fort de ces connaissances, on peut dire que l’on a affaire à un phénomène exceptionnel du fait du gigantisme et de la grande vitesse d’évolution, que les chercheurs qualifient de « crise sismo-volcanique ». Il s’agit sans doute de « de la plus importante éruption depuis celle du volcan Laki, au sud de l’Islande, en 1784 », s’accordent les chercheurs (2). « C’est sans doute la première fois qu’on a pu assister à la naissance en direct d’un volcan sous-marin », complète Éric Humler.
La population a ressenti certaines des secousses en 2018 et a été quelque peu apeurée par ces tremblements. Certaines habitations, notamment les plus modestes, ont été fissurées. Depuis, des spécialistes de la sécurité civile sont venus à Mayotte et la préfecture a publié des mesures de sécurité.
►Des moyens importants
Les hommes et les moyens dépêchés sur place sont importants. Les opérations ont déjà coûté plus de 3 millions d’euros. Sur l’île de Mayotte, les ingénieurs du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et de l’IGN sont équipés d’une vingtaine de sismomètres et de stations GPS. En mer, au cours de cinq missions océanologiques avec des navires lourds comme le Marion-Dufresne et le Beautemps-Beaupré, ont été installés sismomètres, balises GPS et baromètres. Un véritable « observatoire câblé », connecté par satellite avec les laboratoires de l’Hexagone. Les instruments installés à terre sont en « temps réel », tandis que ceux en mer ne le sont pas encore. D’où la nécessité de créer un observatoire permanent « fond de mer », comme seuls en disposent actuellement, en d’autres points chauds les Américains et les Japonais.
Simultanément, des robots sous-marins autonomes ont permis d’obtenir les premières images en 3D du volcan ainsi que celles des deux coulées de lave, aujourd’hui épandues et solidifiées. « Deux plongées ont révélé, sur la coulée du flanc ouest, des laves de structures différentes, en forme de coussin ou bien de cordes, ces dernières étant constituées de laves plus fluides », explique Arnaud Lemarchand, responsable opérationnel des observatoires de l’IPGP
Le phénomène géologique est si important qu’à la suite de la venue en août à Mayotte, d’Annick Girardin, ministre française des Outre-mer, le gouvernement français a annoncé la création d’un Observatoire volcanologique et sismologique.
►Encore des questions à résoudre
Malgré ces succès scientifiques, il reste de nombreuses inconnues. « Nous avons encore des doutes sur la position, la forme et le volume de la chambre magmatique, indique Nathalie Feuillet, coresponsable des missions. On a raté le début de la crise avant la naissance du volcan. Or la sismicité, qui a diminué mais existe encore en profondeur (entre 20 et 50 km), est liée avec la chambre magmatique », poursuit la géophysicienne.
Bref, la centaine de chercheurs, ingénieurs et techniciens impliqués dans cette aventure a encore du pain sur la planche. D’autant plus qu’il y a toujours un risque : le volcan sous-marin a-t-il tendance à s’étendre sous l’île de Mayotte ?
(1) Auteur avec Christiane Grappin de Quand la Terre tremble, CNRS éditions, 2019, 262 p., 24 €.
(2) Le fluor contenu dans les cendres volcaniques a entraîné la mort de plus de la moitié du cheptel, puis une famine entraînant la mort de 9 300 personnes, soit plus de 20 % de la population islandaise.
Par Denis Sergent ©la-croix.com
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