VIH : A Madagascar, «personne ne se sent concerné»

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Un couple malgache dans un centre de dépistage gratuit du sida, à Antananarivo. Photo Radu Sigheti. Reuters Dans une île où seulement 8...

Un couple malgache dans un centre de dépistage gratuit du sida, à Antananarivo. Photo Radu Sigheti. Reuters
Dans une île où seulement 8 % de la population est dépistée et où les idées reçues ont la vie dure, la lutte contre l’infection avance difficilement. Favorisée par la pauvreté et des crises sanitaires à répétition, l’épidémie perdure, touchant notamment les jeunes, les homosexuels et les travailleuses du sexe.

Al’entrée du marché d’Andravoahangy, l’un des plus grands d’Antananarivo, la capitale de Madagascar, une dizaine de bénévoles, vêtus de rouge et questionnaire à la main, se mêlent au ballet des vendeurs de cartes téléphoniques et d’antennes paraboliques. 

Pour la Journée mondiale de lutte contre le sida, le 1er décembre, l’antenne malgache de Médecins du monde (MDM) y organise un sondage qui tient en deux questions : «Vous êtes-vous déjà fait dépister ? Si non, envisagez-vous de le faire ?» Les réponses sont quasi unanimes : face aux bénévoles, toutes les têtes, ou presque, se hochent négativement. «Un dépistage ? Pas besoin ! Je suis en bonne santé et, surtout, je suis très fidèle, s’esclaffe Christophe, la soixantaine édentée. Je fais du sport et j’utilise des herbes médicinales. Tout va bien pour moi.»

Face à lui, Tokiniaina, enquêteur pour MDM, soupire doucement sous sa casquette : «C’est souvent comme ça. Soit les gens pensent que le VIH n’existe pas, soit ils se disent que c’est une maladie de prostituées qui ne touche que ceux qui ont plein de partenaires. Personne ne se sent concerné, d’autant qu’au début il n’y a pas de symptômes apparents.»

Paradoxe

Onusida estime à seulement 8 % la part de la population malgache adulte dépistée, bien loin de l’objectif des 90 % d’ici à 2020 fixé au niveau mondial. Dans un pays de 25 millions d’habitants soumis à des crises sanitaires à répétition - après la peste, c’est une épidémie de rougeole qui frappe cette année -, l’urgence semble souvent ailleurs. Pourtant, le très faible taux de dépistage est porteur de risques multiples. Seuls 3 600 séropositifs ont été dépistés à Madagascar. Loin des projections d’Onusida, qui estime qu’au moins 39 000 personnes y vivent avec le VIH, ce qui représenterait une prévalence de 0,3 %. 

«Le paradoxe malgache, c’est qu’on a un chiffre de personnes infectées très faible, alors que toutes les conditions sont réunies pour la propagation du virus. Cela laisse penser que les chiffres sont sous-estimés, explique le coordinateur de MDM à Madagascar, Yoann Maldonado. Et même si la prévalence est bien de 0,3 %, cela laisse plus de 90 % des séropositifs qui ne connaissent par leur statut et qui risquent donc de répandre le VIH

Au centre de santé d’Isotry, un des quartiers les plus populaires de la capitale, on ne cesse d’entrer et de sortir. Les patients y viennent pour des vaccinations, des consultations prénatales comme pour des dépistages. Depuis l’an dernier, le centre fournit aussi un suivi médical et psychosocial aux séropositifs. Le dépistage et le traitement du VIH y sont gratuits, comme dans tout le pays, grâce au financement du Fonds mondial de lutte contre le sida. «C’est bien d’avoir plusieurs services, comme ça personne ne sait pourquoi on vient au centre. 

Cela évite à ceux qui viennent se faire dépister ou suivre leur traitement d’être pointés du doigt, glisse le docteur Hervé Rabeson, le chef du service médical, en désignant d’un geste les allées et venues dans le hall. Le VIH a un côté tabou. Il touche à la sexualité, en particulier en dehors du mariage, parfois à la prostitution ou à l’homosexualité ; autant de choses dont on évite de parler. Le résultat, c’est une grande méconnaissance du virus et une stigmatisation des séropositifs, qui vivent cachés.»

Dans une salle du centre de santé, à l’abri des regards et de l’agitation de la rue, Hosea et Kasaina (1), la vingtaine et dépistés positifs depuis un an, rencontrent régulièrement les membres de Mad’aids, un réseau qui accompagne les séropositifs dans leur traitement. Aucun de leurs proches ne connaît leur statut sérologique. Hosea, le visage à moitié caché dans sa capuche, se contente de secouer la tête, horrifié, quand on lui pose la question. 

«Beaucoup de séropositifs craignent d’être chassés de leur famille, explique la secrétaire générale de Mad’aids, Rachel Rahantarivelo. Trop de gens continuent à penser qu’il peut être transmis par les gestes quotidiens, le toucher, la salive, un repas commun…» «On évite d’en parler parce que les gens considèrent que tu es coupable, que tu as attrapé le virus à cause de pratiques déviantes», renchérit Andry (1), lui aussi séropositif et membre de Mad’aids.

Résistance

Une série d’indices - comme la présence importante d’autres infections sexuellement transmissibles, de la tuberculose qui est un symptôme fréquent du VIH, ou la jeunesse des dépistés récents - et les bilans fragmentaires relevés par les centres de dépistage laissent penser à une avancée du virus. «Au centre d’Isotry, on est au-dessus du taux de prévalence national, affirme Hervé Rabeson. Et, mécaniquement, avec la multiplication des dépistages, le taux va augmenter.» 

Depuis deux ans environ, sur les 300 à 350 dépistages effectués tous les mois dans le centre, les cas de séropositivité se font plus nombreux. Dans la salle d’attente en ce début d’après-midi : trois filles et deux garçons, tous très jeunes, accompagnés par des membres du réseau Mad’aids qui les ont convaincus de se faire dépister. Ils sont reçus un par un par la sage-femme Bakoly, qui procède au test et évalue leur connaissance du VIH. «Ici, le principal facteur de risque reste les rapports non protégés, surtout chez les jeunes. Il existe une forte résistance au port du préservatif», raconte-t-elle.

Certaines catégories de la population, comme les professionnelles du sexe ou les homosexuels, plus exposées au virus, sont déjà confrontées à une épidémie concentrée. D’après les estimations d’Onusida, à Madagascar, 14 % des hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes sont séropositifs, comme 5 % des travailleuses du sexe, nombreuses dans un pays où la prostitution n’est pas illégale.

Dans le quartier de Tsaralalana, au centre d’Antananarivo, des femmes de tous âges, en short et mini-jupe, arrivent avec le crépuscule pour s’adosser aux murs. Ici, pas de prostitution de luxe, comme on en trouve dans les grands hôtels ou les salons de massage, mais des passes à 10 000 ariary (2,40 euros). Au rez-de-chaussée d’un immeuble jaune et vert, un bar cache l’entrée d’une maison de passe. Devant la porte, trois travailleuses du sexe. L’une attend les clients. Les deux autres, membres de l’Association des femmes samaritaines (Afsa), qui lutte pour l’amélioration des conditions de vie des prostituées, en profitent pour lui poser des questions destinées à évaluer sa connaissance du VIH.

Mères de famille

Avec trois autres associations, représentant les différents types de populations particulièrement exposés au virus, l’Afsa participe à un observatoire du VIH mis en place par Médecins du monde pour mieux comprendre les barrières, logistiques comme socioculturelles, qui empêchent l’accès au dépistage et aux soins. Dans chaque association, des militants ont été formés pour sensibiliser leurs pairs aux risques de transmission du VIH et les interroger sur leur pratique du dépistage à travers un questionnaire. Une sensibilisation communautaire destinée à briser certains tabous et à éviter la stigmatisation.

Sylvia (1), travailleuse du sexe depuis plusieurs années, a répondu au questionnaire. Elle assure avoir toujours recours au préservatif avec ses clients. «Ce n’est pas toujours le cas. Les professionnelles du sexe ont beau être plus au courant du VIH que le reste de la population grâce à un travail de sensibilisation de longue date, certaines continuent à accepter des rapports non protégés, explique Jeanie Randriamalina, la présidente de l’Afsa. Les clients sont prêts à payer jusqu’au double. Donc parfois elles cèdent, surtout à la période de la rentrée, quand elles doivent payer les frais scolaires des enfants, puisque la plupart sont avant tout des mères de famille.»

Face aux alertes venues du monde associatif et des ONG, qui redoutent une épidémie cachée, les autorités sanitaires malgaches ont réagi cette année. Le nombre de centres de traitement du VIH a plus que doublé en 2018, passant de 52 à 112. Une amélioration encore insuffisante, puisque l’accès au dépistage comme au traitement reste très limité en zone rurale, où les données de prévalence sont quasi inexistantes. «A partir de 2019, nous allons aussi mettre en place un dépistage communautaire. Il ne sera plus forcément nécessaire de se rendre dans les centres de santé pour faire le test, réalisé à domicile par des agents de confiance, explique Liva Rakotobe, directrice de la Direction de la lutte contre le sida. Avec ces progrès, on espère réussir à dépister plus tôt et ne plus perdre de vue certains séropositifs.»

Aujourd’hui, sur les 3 600 dépistés positifs du pays, seuls 80 % sont sous médicaments. Les autres n’ont pas accès à un centre de traitement à proximité ou sortent du système, faute d’accompagnement. L’autre grand chantier prévu en 2019 est la réalisation d’une enquête de séroprévalence nationale. «C’est une étape essentielle, souligne la médecin Charlotte Dézé, conseillère régionale en santé mondiale à l’ambassade de France. Sans chiffres fiables, c’est très compliqué de mettre en place une politique de prévention et de traitement efficace.»

(1) Les prénoms ont été modifiés.

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