A Marseille dans le sud de la France, la situation à Mayotte a laissé des traces. Malgré les 7000 kilomètres qui séparent l'île de la...
A Marseille dans le sud de la France, la situation à Mayotte a laissé des traces. Malgré les 7000 kilomètres qui séparent l'île de la cité phocéenne, la diaspora comorienne se sent plus que jamais concernée. Si aujourd'hui, les barrages sont levés, la stigmatisation des Comoriens originaires des trois îles (Anjouan, Mohéli, Grande Comore) passe mal.
« A chaque fois, ils sont pointés du doigt et on les accuse d'être responsables de tous les maux qui frappent Mayotte », s'insurge Ismaël Aboudou, 48 ans, conseiller principal d'éducation dans un lycée à Marseille. Pendant près de deux mois, la contestation sociale portée par une intersyndicale et un collectif de citoyens a dénoncé l'insécurité et l'immigration clandestine en provenance des Comores. Des expulsions, appelées décasages, avec des habitations détruites et brûlées ont été menées par des citoyens. Et ce n'est pas la première fois que cela arrive. En 2016, des opérations de même nature avaient déjà eu lieu sur l'île.
«Nous devons nous exprimer en tant que Français et en tant que Comoriens»
Ismaël Aboudou fait partie de ces Franco-Comoriens qui ne souhaitent plus rester « spectateurs». Avec plusieurs responsables d'associations et des membres de la communauté comorienne à Marseille, il a décidé de créer le « Mouvement Mayotte Comorienne pour la paix » (M2CP).
Un collectif spontané, pacifiste qui, assure Ismaël Aboudou, ne se positionne pas contre les Mahorais. Militant politique depuis l'âge de 17 ans, cet homme aguerri aux plans d'action, sait ce qu'il veut. Un par un, il énumère les objectifs de ce collectif : renouer le dialogue entre la France et les Comores vis à vis de la situation à Mayotte, restaurer la libre-circulation des personnes entre les 4 îles (Anjouan, Mohéli, Grande Comore, Mayotte), arrêtée net par le visa Balladur en 1995 et résoudre le conflit territorial entre Paris et Moroni, qui revendiquent tous les deux la souveraineté de Mayotte. Ce combat, Ismaël Aboudou se sent légitime à le mener. Ce natif de la Réunion, dont les parents sont Comoriens, le répète, il souhaite que « sa voix porte dans ses deux pays ». « La question de Mayotte ne peut plus rester aux mains de quelques individus. Nous devons nous exprimer en tant que Français et en tant que Comorien ».
Sans la diaspora «les Comores n'existeraient plus»
Si aujourd'hui, la diaspora comorienne s'empare de ces problématiques, c'est qu'elle joue un rôle économique prépondérant aux Comores qui figurent dans le Top 3 des pays d'Afrique qui bénéficient le plus des transferts de leurs migrants. Selon les derniers chiffres de la Banque Mondiale, ils représentent 21 % du PIB de l'archipel. A Marseille, où un habitant sur 10 est d'origine comorienne, les associations d'aides aux villages natales sont nombreuses. Soutien aux primo-arrivants, aux familles endeuillées, aide financière et matérielle aux proches restés au pays, intégration et maintien des coutumes en France, ces structures œuvrent dans différents domaines. Dans le centre-ville de Marseille, à Belsunce, Djamilat Ali Soilihi a créé la Fondation Mtsachiwa en hommage à son père, ancien président des Comores (1976-1978), assassiné suite à coup d’État.
A la différence des autres associations concentrées sur leur village natal, Djamilat et son équipe intervient dans toutes les Comores pour « aider » mais aussi « réhabiliter le nom de son père ». Matériel médical, fourniture scolaire, elle compte sur les hôpitaux et les pharmacies pour lui envoyer des dons. Une goutte d'eau pour la fondatrice de Mtsachiwa qui confie que sans la diaspora « les Comores n'existeraient plus ». Pour elle, soutenir son pays est avant tout un cas de conscience. « Je pense à ces Comoriens qui sont partis en kwassa kwasssa vers une vie meilleure, à mon amie, qui a rejoint Mayotte, au péril de sa vie, non pas pour s'y installer mais pour s'y faire soigner ». Selon un rapport du sénat Français, depuis 1995, entre 7000 et 10 000 Comoriens sont morts en tentant de traverser un bras de mer de 70 km qui sépare Anjouan au 101ème département français.
«A force de perdre leurs amis en mer, de voir leurs habitations brûlées, ils vont finir par rentrer en conflit»
A ces morts noyés en mer s'ajoutent le souvenir de ceux massacrés à Majunga à Madagascar en décembre 1976. Un affrontement banal entre Comoriens et des Betsirebaka (Malgaches immigrés originaires du sud-est de l’île) qui a dégénéré en émeutes anti-comoriennes. Au total, selon l'ethnologue Amélie Barbey auteure d'un article intitulé « Les migrations comoriennes dans l’ouest de l’Océan indien » , plus d'un millier d'entre eux y auraient perdu la vie. « Je ne peux pas m'empêcher de faire le parallèle avec la situation à Mayotte», confie Mohamed Itrisso, né à Madagascar en 1976. «Cela me renvoie à d'autres images, les voitures qui brûlent, du sang sur le trottoir, des Comoriens qui se cachent au sein des gendarmeries car ils ont peur pour leur vie». Après les événements, la vie de la famille d'Ibrahim n'a plus été la même.
« Sur l'île, le climat entre les Comoriens et les Malgaches s'est considérablement dégradé. Pour eux, nous étions responsables de leur misère, nous leur volions leur travail ». Son père a dû quitter l'île en 1978 et a rejoint Marseille quelques années plus tard suivi par le reste de sa famille. Aujourd'hui, Mohamed Itrisso devenu membre fondateur de l'association Ushababi créée afin de défendre, accompagner et promouvoir les intérêts de communauté comorienne, craint qu'un jour la situation dégénère à Mayotte. « Pour l'instant, les Comoriens ne contre-attaquent pas. Mais à force de perdre leurs amis en mer, de voir leurs habitations brûlées, ils vont finir par rentrer en conflit ».
«Je pressens une transposition de la situation de Mayotte à Marseille»
Cette histoire malgache, Mohamed Itrisso la partage avec Soly Mbaé, né à Antananarivo en 1968.
Lui aussi se rappelle son père parti en catastrophe à Majunga pour récupérer ses frères jumeaux. Pour la première fois, Soly Mbaé s'est senti Comorien. « Ce jour là, j'ai été renvoyé à ma propre communauté ». A cette époque, il ne savait pas, que bien des années plus tard, après son départ pour La Réunion et son installation à Marseille en 1989, ce sentiment allait réapparaître. Plus exactement en 1995, après le meurtre du jeune Français d'origine comoriennne Ibrahim Ali par un militant extrême droite. « Ma génération a grandi en une nuit, le temps de l'amusement s'est soudainement arrêté. Il a fallu militer pour le vivre ensemble et le devoir de mémoire ». Après ce drame, Soly Mbaé, médiateur social et culturel au sein de la Sound Musical School B.Vice à la Savine, n'a cessé d’œuvrer pour la paix sociale et le dialogue. Avec les récents événements à Mayotte et la création d'un collectif marseillais de Mahorais contre l’insécurité et immigration clandestine, il le sait, son travail est loin d'être terminé. « Je pressens une transposition de la situation de Mayotte à Marseille. »
Par TV5MONDE Stéphanie Plasse