Mayotte - Un enjeu de lutte : l’aveu de xénophobie

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Mayotte vit en état de siège . L'économie est suspendue. Les transports de marchandises et les déplacements des personnes ne franchisse...

Mayotte vit en état de siège . L'économie est suspendue. Les transports de marchandises et les déplacements des personnes ne franchissent aucun barrage. La chasse aux étrangers est ouverte. Les reconduites à la frontière se multiplient. Jusqu'à l'arrêt final décrété par l'Union des Comores et le refoulement de ses ressortissants. L'état de siège est alors parachevé.
Photo d'archives

Depuis plus d’un mois, Mayotte vit en état de siège . Généralement la stratégie du siège consiste à supprimer tous les accès d'une ville pour l'asphyxier et la forcer à reddition et soumission. Les populations assiégées s’organisent alors pour survivre et lutter contre des forces extérieures qui la menacent en développant un régime de solidarité. Tout le monde se sert les coudes et partagent les vivres en fonction de priorités unanimement acceptées. A Mayotte l’état de siège est conduit de l’intérieur en vue d’amener l’État (extérieur) à satisfaire les revendications de groupes d’intérêt suffisamment puissants pour le maintenir et le renforcer.

Une île est par nature dans une situation obsidionale dont l’intensité dépend de trois facteurs : son éloignement par rapport à sa métropole, sa surface et la densité de sa population. Mayotte cumule les trois désavantages : située à plus de 8000 kilomètres de l’Europe, d’une taille modeste de 376 km2, sa densité atteignaient 682 ha/km2 lors du recensement de 2017 (par comparaison la densité de population d'Anjouan, île voisine partie d'un des pays les plus pauvres au monde atteint 784 ha/km2). Une infographie du journal Le Monde indique qu’un Mahorais sur deux, âgé de 15 à 19 ans vivant à Mayotte en 2007 aurait quitté l’île en 2012, en majorité pour la métropole. (Ici pour les abonnés) 

Dans une île aux dimensions de Mayotte, les échappatoires et les échanges inégaux avec l'extérieur sont des conditions de la survie. Dépendant essentiellement de la métropole pour ses ressources, pour la régularisation de sa population, et pour son administration, elle est particulièrement sensible à un sentiment de déréliction qui l’amène périodiquement à organiser sa propre asphyxie.

Comment assiéger une île ?

Quelques barrages suffisent à bloquer toute activité : un seul sur Petite-Terre ferme l’accès à l’aéroport et tout lien avec la jetée de la barge qui relie à Grande-Terre. Les voyageurs empruntent des barques de pêcheurs pour effectuer la traversée, favorisant un marché noir florissant, seconde nature de l’économie mahoraise. Un second barrage fortement stratégique isole le port de Longoni où transitent les importations par voie maritime. Ainsi depuis un mois, les marchandises, périssables ou durables, s’accumulent dans les entrepôts portuaires et aéroportuaires. 

Ces deux points de blocage assurent l’efficacité de la technique du siège par l’intérieur, supprimant tout échange de marchandises avec l’extérieur. L’île recouvre sa situation naturelle d’isolement. Elle confirme en même temps sa fragilité et sa totale dépendance.

Mais cela ne suffit pas : afin de cadenasser l’ensemble de l’économie et des échanges intérieurs, il importe de séparer les communes les unes des autres et de gêner les déplacements, isolant totalement Mamoudzou au nord par le verrou de Koungou, au sud par celui de Dembeni-Tsararano, et par l’ouest celui du Mont Combani. D’autres barrages au sud, à Chirongui, à l’ouest à Chiconi, bouclent le dispositif. Les barreurs de route interdisent toute circulation, automobile et piétonne, en engageant un minimum de troupes pour une efficacité maximale. Leur intention s'apparente nettement à un chantage au suicide.

Petit à petit les réserves s'épuisent : pénurie de gaz et de pétrole domestique ; pénurie de carburant : des attentes de plusieurs heures sous le soleil au risque presque assuré d’un retour bredouille ; des files de voitures de plusieurs centaines de mètres ; l’achalandage raréfié dans les boutiques incitant les plus solvables à la constitution de réserves. Les conditions sanitaires se sont rapidement dégradées.

Les poubelles ne sont plus ramassées, partout des tombereaux ouverts de détritus malodorants s’agglomèrent en importants tumulus à quelques mètres des habitations. Les puanteurs dérangent le sommeil, coupent l’appétit. Les volailles poules et coqs, les pies-corbeaux déchirent les sacs qui s'amoncellent. 

L’hôpital de Mamoudzou fonctionne au ralenti : les difficultés de circulation empêchent d'y accéder ; l'arrêt des importations accélèrent les ruptures de stocks en matériel de soins, linge, médicament, oxygène… Les interventions d’urgence et l’évacuation de malades ou blessés sont stoppés aux barrages, mettant les vies en danger, les intégrités corporelles en péril ; la nationalité des évacués serait contrôlée…

Un enjeu de lutte : l’aveu de xénophobie

Car dans le même temps où se met en place le siège de Mayotte s’organise ouvertement la chasse aux « étrangers ». On assiste à des menaces contre les populations dans les villages du Sud, à Combani dans le centre de l’île, dans le nord à Acoua. Des habitations sont détruites, incendiées. Peu importe que les « étrangers » soient en situation régulière, que les familles réunissent plusieurs nationalités, qu’importe encore qu’ils soient français. 

Le ballet fut ouvert dès la visite de deux jours de la ministre des Outre-mer pendant lesquels furent révélés les véritables enjeux de lutte : pudiquement dissimulé lors des défilés contre l’insécurité dont se plaint l’ensemble de la population de Mayotte, se dévoila soudain l’aveu de xénophobie portée par une minorité et s'esquissa un programme politique contre l’immigration et la population venue des îles voisines.

La notion d’étranger est confuse à Mayotte. Dès qu'il porte les stigmates largement partagées de la pauvreté, spécialement inscrites dans le quartier et le logement, l'habitant de Mayotte se distingue mal du ressortissant des autres îles. Tous les pauvres partagent même couleur de peau, même culture, même langue maternelle, même religion. Cela certes prête à confusion. 

L’administration peut demander à un ressortissant français un certificat de nationalité pour le renouvellement d’une carte d’identité ou d’un passeport. Les actes de naissance truffés d’erreurs condamnent les requérants à multiplier les démarches longues et compliquées auprès de la mairie, du tribunal, de la préfecture. 

L’enfant arrivé avec ses parents dans son plus jeune âge se découvre « étranger » à sa majorité. Il dépose une demande de titre de séjour que le bureau de l’immigration mettra un an, deux ans, voire davantage à lui délivrer. En attendant, il se retrouve en situation irrégulière, empêché de travail, arrêté dans ses études. Il voit ses camarades de classes et ses amis d’enfance poursuivre leur destin sans encombre, alors qu'il est largué sur le bord du chemin.

La jeune femme de 22 ans née en France de mère comorienne, mère de deux enfants français (double droit du sol), ne dispose d’aucun papier en propre faute d’obtenir des services de l’État-Civil un acte de naissance sans erreur ; scolarisée par l'école de la République, titulaire d’un CAP, elle n’a pas accès à l’emploi ni aux allocations auxquelles elle pourrait prétendre.

De si belles perspectives de tableaux de chasse excitent les milices xénophobes qui s’en donnent à cœur joie. Elles livrent à la gendarmerie les "étrangers" qu’elles débusquent. L’État n’en demande pas tant qui les acceptent et interceptent ! Les reconduites à la frontière se multiplient à la suite d’interpellations et de vérifications désinvoltes.

Le parachèvement de l'état de siège

Soudain se produit l’inimaginable : l’Union des Comores parachève l’état de siège dans lequel Mayotte s’est elle-même enfermée. Le gouvernement comorien refuse tout mouvement de population non volontaire depuis Mayotte. Retour à l’envoyeur des Comoriens ayant fait l’objet d’une reconduite à la frontière. Imbroglio diplomatique. Stupéfaction d’un État qui n’en croit pas ses yeux. Rien ne rentre, rien ne sort. La France est tenue de gérer ses propres déchets.

Le centre de rétention de Petite Terre saturé interdit toute nouvelle interpellation plaçant la police aux frontières en chômage technique partiel. La population éberluée prend d’assaut le gymnase de Pamandzi réquisitionné par la Préfecture pour le placement des refoulés des Comores. 

Les revenants de l’Exodus 2018 avaient été interpelés sur l’île mardi 20 mars, reconduits à la frontière le mercredi 21, retournés le jeudi 22. Des femmes et des enfants, dont une vingtaine âgés de moins de 10 ans sont ainsi retenues depuis plus de huit jours dans des locaux inadaptés, sans linge de rechange, nécessaire de toilette ni sanitaires conséquents. Plus de cinquante hommes croupissent dans deux cages verrouillées de quelques huit mètres carrés. Ils sont extraits des cellules à tour de rôle pour se rendre aux toilettes. La nuit ils urinent dans une bouteille qu’ils vidangent à travers une grille aménagée au-dessus d’un mur.

Lundi 26, le juge des Liberté a ordonné leur libération, le procureur de la République a immédiatement déposé un recours. Mercredi 28, neuvième jour de rétention dans des conditions indignes que même les policiers qui les gardent supportent mal.

A qui profite le conflit ?

Depuis six semaines, l’île est paralysée.
Calme insolite.
Moteurs à l’arrêt, absence de circulation
Quelques conversations sur les événements. 
Des questions sur les meneurs et leur légitimité.
L’insécurité habituelle n’est plus un sujet, sinon celle générée par les barreurs de route.
La population de Mayotte semble à l’arrêt, à l'économie, résignée.

La plupart des salariés du privé en chômage technique. L’activité au ralenti.
Lundi 26 mars, le Conseil Général a demandé par voie de presse à son personnel de reprendre le travail et menacé de retenue sur salaire les employés absents. Avouant ainsi que tous les fonctionnaires ont perçu leur traitement durant le conflit.

Les administrations ouvrent doucement leurs portes. 
Timidement les enfants retrouvent le chemin des écoliers.

Le service de l’immigration de la Préfecture insiste sur une piètre étoffe chiffonnée : « service immigration en grève ». Les étrangers en situation régulière ne peuvent plus demander le renouvellement de leur titre de séjour et rentrent dans la clandestinité.

Les barreurs de route peinent à renoncer à leur pouvoir.

PAR DANIEL GROS
BLOG : MAYOTTE, C'EST LOIN. J'Y HABITE.
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