Mayotte : amalgame, danger et journalisme Depuis plusieurs semaines un mouvement de colère contre la violence secoue Mayotte et se tr...
Mayotte : amalgame, danger et journalisme
Depuis plusieurs semaines un mouvement de colère contre la violence secoue Mayotte et se traduit par des barrages qui paralysent l'île.
Madame la ministre française des Outre-mer, Annick Girardin, est venue discuter avec les leaders du mouvement afin de trouver une sortie de crise.
On a pu prendre connaissance, au lendemain de cette visite, d’un premier communiqué du Journal de Mayotte, relatant des promesses de mesures venant de la plateforme de revendications des grévistes. En fait les engagements pris par la ministre diffèrent des propositions de l’intersyndicale. Ceci appelle une mise au point afin que chacun, notamment les média nationaux, y voit plus clair : nous souhaiterions reprendre certaines revendications car elles peuvent susciter de vives inquiétudes chez tous ceux qui souhaitent un retour à la paix civile.
On apprend dans ce communiqué que des « associations de lutte contre l'immigration clandestine » seraient reconnues et financées par l'Etat. Même s’il n’en sera probablement rien, la proposition interroge sur le degré de connaissance des règles républicaines de ceux qui la font. Quel serait le mandat de ces associations, sous l'autorité de qui seraient-elle placées ? La « lutte » impliquent-elle le droit de faire la police ou leur action serait préventive, notamment contre les complicités dont les migrants bénéficient sur le territoire ? Il est peu probable qu'une ministre de la République défende en conseil des ministres, un droit nouveau accordé à des citoyens français. Une situation d'exception pourrait-elle engendrer des lois d'exception ?
On apprend aussi, et cela par contre cela est confirmé par les engagements, qu'est prévue la « suspension de la délivrance des titres de séjour pendant un mois », seuls les renouvellements seraient autorisés. Il y a là un problème d'adéquation du discours à la réalité : depuis plusieurs mois déjà, la préfecture ne délivre pratiquement plus de titres, seulement des récépissés qui privent des étrangers en situation régulière d’une partie de leurs droits.
Si ce compte rendu traduit bien la nature des propos échangés, force est de constater que la question de l'immigration et de la violence ont été fondues dans un seul et même problème. Il n’y a pas d’autres raisons à la violence que l’immigration. Madame la ministre risque de ne pas être informée complètement de la réalité du quotidien. Tous les acteurs sur le terrain, éducateurs, enseignants, gendarmes, savent que la question de la violence est liée à une partie de la jeunesse quelles que soient ses « origines », et au problème de la circulation de drogues chimiques aux effets dévastateurs, générant un début de guerre des gangs. Les affrontements à l'arme blanche se passent aussi bien dans la banlieue de Mamoudzou peuplée majoritairement d'immigrés, que dans les établissements scolaires éloignés où ils sont aussi le fait de jeunes mahorais.
Au milieu de tous ces amalgames alors que des fake sont envoyés par sms appelant pratiquement à la guerre civile, alors que certains proposent pour les jeunes comoriens, sur l’un des îlots de Mayotte, un Guatanamo à la française nous voudrions alerter toute personne soucieuse du respect du droit républicain.
Les étrangers étaient d'emblée désignés comme les responsables du mal être social de l'île, il n'est pas étonnant que cela transparaisse dans la table des revendications ; mais il est à craindre que les citoyens français, qui ont bien d'autres soucis, ne sachent pas précisément ce qui se passe sur ce lointain territoire français. Les journalistes nationaux, ceux du Figaro comme ceux du Monde, ceux de TF1 comme ceux d’Arte ont une approche lointaine et somme toute aveugle de la situation : approche qui s'appuie tantôt sur la pitié, tantôt sur la peur de l'invasion. Récemment un reportage plein d'humanité montrait des images des bidonvilles de Mayotte, des images d'un autre âge, pendant que le commentaire répétait la revendication des élus : un milliard huit cents millions d'aides. Qui ne les donneraient pas ? Un de ces reportages mentionne la Cour de Comptes qui tire la sonnette d’alarme depuis des années, sans plus de commentaires : mais les journalistes sont-ils aller regarder ce rapport, sont ils sûrs qu’il aille dans le sens des revendications ou bien évoque t-il la manière dont l’argent public est dépensé ?
On rétorque à ceux qui dénoncent cette stigmatisation qu'il faut voir la réalité en face et que l'immigration venant des Comores empêche le développement du département. Il faut voir la réalité en face, toute la réalité ; et ne pas pousser de cris indignés quand un membre du gouvernement rappelle que ce département fait partie d'une zone économique et que la recherche des solutions sera globale ou ne sera pas. Ne pas parler d’insultes quand il s’agit de mettre tout le monde devant ses responsabilités, sans même de rappeler que l’immigration, surtout quand elle est illégale, est une bonne affaire économique pour tous.
Comment se fait-il que des média modérés voire de gauche parlent d’une même voix en reprenant, sans aucun sens critique, l’équation immigration égale violence ?
Comment se fait-il qu’ils cèdent tous à une vision du monde et du vivre ensemble qui est celle de l’extrême droite européenne que ces même humanistes combattent en métropole ?
Il ne s’agit pas d’être angélique, de nier la réalité de la violence, mais que peut-on attendre de la part de jeunes laissés à la rue après que leurs parents aient été menottés et tabassés sous leur yeux puis embarqués pour Anjouan : qu’il chantent la marseillaise la main sur le coeur ?
De mauvaises solutions apportées à des problèmes mal posés, sont les meilleurs garants des manipulations et de la violence à venir.
*Un sms a été envoyé ce matin Jeudi 15 Mars faisant état de jeunes armés d’armes de guerre circulant en camions à Mamoudzou, le chef lieu, et massacrant tous les mahorais qu’ils rencontrent. Des élus politiques évoquent le Rwanda depuis plusieurs années : peur ou désir ?
Ariel Ben Ayoun, professeur de lettres à Mayotte
Article écrit par un collègue professeur suite aux annonces mardi dernier de Madame la Ministre Annick Girardin
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