Sur une île où la majorité de la population a moins de 18 ans, des structures comme Tama, les Apprentis d’Auteuil ou le Secours catholique ...
Sur une île où la majorité de la population a moins de 18 ans, des structures comme Tama, les Apprentis d’Auteuil ou le Secours catholique soutiennent les plus exposés : mineurs isolés, jeunes en situation irrégulière ou qui n’ont pas accès à l’école.
La pente est abrupte et les fortes pluies ont rendu la terre ocre glissante. Des vieux pneus de scooter, encastrés dans le sol, servent de marches pour avancer entre des banga, des cabanes précaires édifiées sur les collines au-dessus de Cavani, un des quartiers de Mamoudzou.
Chifaou Ayouba progresse précautionneusement dans ce bidonville. Elle est chef du pôle enfance de l’association Tama – en shimaoré, la langue mahoraise, ce mot signifie « espoir » – une structure en pointe de l’action sociale dans le département le plus pauvre et le plus jeune de France.
Suivie de Claire, une assistante sociale, la jeune femme va rendre visite à une famille qui a recueilli trois enfants dont la mère, une Comorienne d’Anjouan, a été reconduite dans son pays après l’interception d’un kwassa kwassa, une embarcation de fortune.
« Selon les textes, ils sont “isolés”, parce qu’ils n’ont pas de tuteur légal, explique-t-elle. En fait, comme souvent à Mayotte, ils ne sont pas seuls. Des adultes s’occupent d’eux, au moins un certain temps. La solidarité de proximité fonctionne. Nous sommes là pour les accompagner, pour éviter, par exemple, des cas de maltraitance. »
3 000 mineurs isolés
Un des enfants dort paisiblement dans une case au sol en terre battue. Ses deux aînés sont en classe. Moirabou, leur oncle, se tient debout dans cette pièce unique coupée en deux, sans eau courante ni électricité. Il a lui-même six enfants, nés à Mayotte, et fait partie de ces milliers d’étrangers sans papiers qui survivent dans la peur de l’expulsion. Il subvient aux besoins de cette famille élargie en « bricolant » et grâce à des aides. Le téléphone sert de lien avec la maman et ses trois autres enfants installés à Anjouan. « C’est très dur, mais il faut assumer, dit-il. C’est mieux ici que là-bas. »
Tama suit actuellement 180 de ces mineurs isolés, qui seraient au nombre de 3 000 à Mayotte. « Mais le problème, ici, va au-delà de ces mineurs isolés,commente Philippe Duret, le directeur général de l’association. Le problème, c’est toute cette jeunesse, d’origine étrangère ou pas, qui grandit dans la précarité et dans des conditions éducatives très aléatoires. Avoir 100 000 jeunes sur un territoire comme ça, avec une société traditionnelle qui se désagrège, cela crée des chats sauvages et génère toute une délinquance de survie. »
Les institutions départementales à la traîne
Pour tenter d’offrir des solutions, d’autres associations interviennent alors que les institutions départementales, normalement compétentes en la matière, ont longtemps été à la traîne pour la protection de l’enfance. Dans cet autre bidonville, Hidaya chemine en terrain connu. Éducatrice pour les Apprentis d’Auteuil, elle participe à des maraudes pour aller à la rencontre de jeunes. « Les mineurs vraiment isolés sont très rares, indique-t-elle. Quand ils sont seuls, c’est qu’ils ont été chassés, à la suite de conflits avec les adultes. Souvent, ils se regroupent ensuite avec d’autres jeunes. »
La travailleuse sociale croise alors Ayam, un garçon de 15 ans, vêtu d’un short et d’un tee-shirt noir. Cet adolescent vit, lui aussi, sans sa « vraie » maman et habite chez sa tante, Arafati. En tout, cette Comorienne élève cinq enfants, dont un seul est le sien. Malgré la boue, son banga est impeccable. Le sol a été recouvert d’un lino, un câble amène l’électricité pour la télé et le frigo. Hidaya essaie de la convaincre d’entreprendre des démarches pour obtenir la « DAP », la délégation de l’autorité parentale, qui pourrait permettre l’inscription de son neveu dans le système scolaire.
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Pour aider des 11-16 ans comme Ayam à se préparer à être scolarisés, les Apprentis d’Auteuil ont créé un service d’accueil de jour, dont bénéficient une centaine de garçons et de filles. Trois salles de classe ont été aménagées dans cette maison, où les élèves peuvent aussi bénéficier d’une douche, d’une collation et participer à des activités éducatives. « On pourrait en ouvrir une deuxième tellement la liste d’attente est longue »,souligne Isabelle Stefanuto, la chef de ce service.
La jeunesse, « principale richesse » de l’île
L’institution catholique a également ouvert un internat et un lycée d’enseignement adapté, baptisé « Espérance ». C’est le seul établissement privé sous contrat de l’île. La majorité des 192 élèves, qui sont en « difficulté cognitive », se trouvent en situation irrégulière. « Certains se lèvent à quatre heures du matin pour venir, raconte Antoine Duhaut, directeur d’Apprentis d’Auteuil Mayotte. On n’a aucun problème avec eux. Ils écoutent et ont un rapport à l’autorité qui est surprenant. Bien sûr, on n’est pas naïfs. Pour eux, être scolarisés permet d’avoir des justificatifs pour rester sur le territoire. Mais ils ont vraiment envie de s’en sortir. »
Des jeunes qui veulent s’en sortir, on peut aussi en croiser au centre Nyamba, où le Secours catholique vise un autre public en difficulté : des 16-25 ans en situation irrégulière, qui ne peuvent pas être scolarisés. Là aussi, il y a plus de candidats à l’inscription que d’élus. Des bénévoles donnent des cours de français, de mathématiques et d’anglais à 120 d’entre eux. Des activités parascolaires sont aussi proposées.
Ce jour-là, des parents d’élèves sont réunis. La plupart sont musulmans, comme 95 % de la population de l’île. « Nous pensons que la principale richesse de Mayotte est sa jeunesse et nous sommes là pour aider vos enfants, pas pour les amener à l’église, leur explique Benoît Gizard, le responsable de la délégation.Mais notre objectif est aussi de faire passer des valeurs de fraternité et de combattre les préjugés entre communautés. »
Espoir
Ces préjugés, Bounou, 18 ans, les connaît. « Les Mahorais nous détestent et nous insultent, raconte-t-il. Dès qu’il y a un problème, c’est la faute des Anjouanais. »Lui qui est né à Mayotte a déjà été expulsé une fois vers Anjouan avec son père. Il est revenu « tout seul » et parle un français parfait, mais n’a pas réussi à intégrer un lycée. Jeune père de famille, il vit désormais dans son propre « banga » et craint une nouvelle expulsion chaque fois qu’il se rend au centre Nyamba : « Mais c’est mieux que de rester à la maison. Là-bas je pourrais avoir de mauvaises idées et faire n’importe quoi. »
Parmi les élèves, il y a aussi Hadidja, 21 ans. Née à Mayotte, puis repartie aux Comores et revenue comme beaucoup, elle dégage une énergie contagieuse sous son air timide. Elle a poussé le Secours catholique à ouvrir bientôt une activité informatique. « J’ai vu mes parents souffrir et j’ai envie d’avancer, lance-t-elle. Pour cela, il faut beaucoup étudier. Peu importent les obstacles. On a toujours sa chance. »