Ce jeudi 29 mai, s'ouvre la deuxième édition d'un festival d'art contemporain à Moroni, la capitale des Comores. Ce festival ...
Ce jeudi 29 mai, s'ouvre la deuxième édition d'un
festival d'art contemporain à Moroni, la capitale des Comores. Ce
festival invite des artistes venus des quatre coins du monde. Il cherche
à désenclaver l’art comorien et de réconcilier la société comorienne
avec elle-même. D’où le titre du festival : Hudjijuwa, « la connaissance de soi ». Entretien avec Fatima Ousseni, présidente et co-fondatrice du Festival.
Pourquoi organiser un Festival
international d’arts contemporains aux Comores, un archipel dans
l’océan indien avec quelque 900 000 habitants ?
Justement, parce qu’il n’y a pas d’école d’art, ni de musée où l’on présente de l’art contemporain ou de l’art. À Moroni, la capitale des Comores, il y a un musée un peu sociologique qui parle des traditions. Il est important de montrer la vivacité artistique et intellectuelle sur cette île où il y a un art contemporain qui est développé, avec des plasticiens, des peintres, des photographes, des créateurs de mode. Ainsi, on permet à la population de savoir ce qui se produise sur son territoire.
Vous allez montrer du cinéma, de la danse, du théâtre, de l’art… Vous êtes vous-mêmes l’une des très rares collectionneuses d’art contemporain aux Comores où il n’y a pas de salles de cinéma non plus. Est-ce qu’il y a des théâtres, des lieux où ces jeunes créateurs peuvent exercer leur métier ?
Non, tout est très embryonnaire. Il y en avait des salles de cinéma. Il reste quelques vestiges d’une salle qu’on souhaite retravailler. Depuis décembre 2012, il y a un festival international de cinéma qui s’appelle Comoros International Film Festival (CIFF) qui œuvre dans ce domaine et qui essaie de provoquer des créations et des réalisations à travers d’un concours. C’est pareil pour le théâtre, il n’y a pas véritablement de lieu. Il y a une structure qui a été mise à disposition aux jeunes créateurs et artistes . C’est le Centre culturel des arts comoriens (CCAC) qui se trouve au centre du quartier Mavuna dans le cœur de Moroni, mais qui peine beaucoup à se positionner en centre culturel, mais qui a le mérite d’exister. Donc il y a une véritable volonté de la part d’acteurs locaux, d’artistes, d’investir ce domaine et de construire et de créer pour qu’il y ait une plus grande représentation et représentativité aussi des créations artistiques. Mais sur un plan économique et de volonté politique, cela reste extrêmement difficile. Ce n’est pas une priorité.
Vous allez montrer des artistes venus de la France, de la Chine, de Tahiti, de la Guyane, de Madagascar, d’Israël et aussi des Comores. Est-ce qu’il y a une spécificité de l’art comorien ?
Oui, certainement. L’art est universel, mais on peut dégager de véritables caractéristiques de l’art contemporain comorien. Par exemple, on a un groupe d’artistes qui est impliqué depuis plus d’une décennie dans une expression très conceptuelle, qui travaille le talisman, qui questionne l’être, les rapports entre les individus, les rapports sociaux, à travers de ce prisme du talisman, dans une peinture abstraite qui fait appel à des signes particuliers qui sont ces signes pas toujours évidents à comprendre.
Selon vous, l’intitulé de cette édition 2014, Formes, signes et symboles, est un peu l’ADN de l’art comorien ?
L’ADN, je n’irai pas jusque-là, mais toute la vie dans l’archipel est constituée de formes et de signes. Et c’est tout cela qui devait être décelé, montré pour reprendre les expressions de la vie pour les montrer sur un plan artistique.
C’est la deuxième édition de votre festival, mais il y a aussi
d’autres îles qui se sont lancées : jusqu’à janvier, il y avait la
première Biennale internationale d’art contemporain de la Martinique (BIAC), en mars, il y avait la deuxième édition du Salon international du livre de Maurice.
Le Festival d’arts contemporains des Comores s’inscrit-il dans la
ligne de ces îles qui ont décidé d’afficher et d’affirmer des
rendez-vous artistiques pour renforcer leur identité et développer leur
économie ?
On peut le dire. L’art est incontestablement un important levier de développement économique. C’est le contraire d’une futilité ou seulement d’un plaisir pour l’œil ou des sens. L’art fait partie intégrante de la vie et de l’individu et il est important de le développer. Notre Festival d’arts contemporains des Comores est né de la volonté de montrer le dynamisme artistique du territoire. Très vite, le festival a souhaité de s’associer aux créations qui venaient de l’extérieur. À la première édition, on avait des invités d’Australie, de Belgique, de France, de tout l’archipel et d’autres territoires. Cette fois-ci on a encore accru les territoires qui vont intervenir. A travers des ces expressions, on va pouvoir travailler aussi les sciences, grâce au socle conceptuel de cet événement : les questions d’identité, de patrimoine, de préservation de ce patrimoine, de la façon dont on veut le transmettre à nos jeunes. C’est pour cela que le Festival d’arts contemporains des Comores ait également un troisième volet qui intéresse la jeunesse : on a une forte implication scolaire, des travaux sont accomplis dans les établissements scolaires sur les thématiques du Festival.
L’actualité des Comores suivie par les médias fait souvent parler d’un pays avec des grandes difficultés qui a connu plus de 20 coups ou tentatives de coup d'Etat depuis son indépendance en 1975, la dernière tentative était en avril 2013. On évoque aussi souvent des pénuries concernant l’eau, l’électricité ou l’essence. Lors des Francophonies en Limousin en octobre 2013, le metteur en scène Soeuf Elbadawi, qui est également programmé dans votre festival, avait évoqué son échec concernant la création d’un collectif de théâtre aux Comores en déclarant : « on est dans un pays déchiré, nous-mêmes nous n’arrivons plus à construire un projet ensemble ». Est-ce que ce temps-là est passé aujourd’hui ?
Non, il n’est pas passé, mais c’est justement, parce que le pays est déchiré, parce que la présentation du pays à l’extérieur de ce pays ne passe que par les coups d’État, que par les difficultés économiques, qu’il faut montrer que cet archipel est aussi dynamique, qu’il a une jeunesse qui se bat et qui veut construire son futur. À travers de cette thématique, Hudjijuwa, il s’agit de se connaître, en sachant qui nous sommes. Ainsi on répare les déchirures dont parle Soeuf Elbadawi. On les dépasse et on décide le vivre ensemble. Il a raison, le vivre ensemble n’existe pas. C’est vrai qu’il y a une vraie déchirure dans ce pays. Il ne faut pas se voiler la face. C’est justement parce que nous avons conscience de cela que nous n’avons pas pu faire un événement culturel futile, mais fondé sur un travail intellectuel en profondeur pour permettre à cette population de se retrouver et d’accepter de se construire en vivant ensemble, en partageant un destin commun.
En France, qui dit Comores, pense aussi à Mayotte, devenue en 2011 le 101e département français, mais toujours révendiqué par Moroni. Est-ce que votre festival essaie aussi de dépasser les clivages très présents dans la relation entre les deux îles ?
On le fait depuis toujours. Mayotte est dans son territoire, le sud-ouest de l’océan indien, la Réunion, tout le monde est là. Il n’est pas question d’exclure. Nous allons même certainement avoir des participants des Seychelles. Il faut se parler. Nous sommes dans une unité territoriale. Il n’est pas question d’exclure les uns et les autres, au contraire. D’autant plus que cette notion de connaissance de soi, elle prévaut et elle est valable pour tous ces territoires : à la Réunion, vous avez également d’importants problèmes d’identité, on parle souvent d’une Réunion bigarrée, mélangée, mais en fait, c’est plus une société alvéolaire où les gens ne se rencontrent pas et ne se connaissent pas tant que cela. Donc cette thématique prend sens dans tout l’ensemble du sud-ouest de l’océan Indien, Mayotte incluse.
Par Siegfried Forster | RFI
Justement, parce qu’il n’y a pas d’école d’art, ni de musée où l’on présente de l’art contemporain ou de l’art. À Moroni, la capitale des Comores, il y a un musée un peu sociologique qui parle des traditions. Il est important de montrer la vivacité artistique et intellectuelle sur cette île où il y a un art contemporain qui est développé, avec des plasticiens, des peintres, des photographes, des créateurs de mode. Ainsi, on permet à la population de savoir ce qui se produise sur son territoire.
Vous allez montrer du cinéma, de la danse, du théâtre, de l’art… Vous êtes vous-mêmes l’une des très rares collectionneuses d’art contemporain aux Comores où il n’y a pas de salles de cinéma non plus. Est-ce qu’il y a des théâtres, des lieux où ces jeunes créateurs peuvent exercer leur métier ?
Non, tout est très embryonnaire. Il y en avait des salles de cinéma. Il reste quelques vestiges d’une salle qu’on souhaite retravailler. Depuis décembre 2012, il y a un festival international de cinéma qui s’appelle Comoros International Film Festival (CIFF) qui œuvre dans ce domaine et qui essaie de provoquer des créations et des réalisations à travers d’un concours. C’est pareil pour le théâtre, il n’y a pas véritablement de lieu. Il y a une structure qui a été mise à disposition aux jeunes créateurs et artistes . C’est le Centre culturel des arts comoriens (CCAC) qui se trouve au centre du quartier Mavuna dans le cœur de Moroni, mais qui peine beaucoup à se positionner en centre culturel, mais qui a le mérite d’exister. Donc il y a une véritable volonté de la part d’acteurs locaux, d’artistes, d’investir ce domaine et de construire et de créer pour qu’il y ait une plus grande représentation et représentativité aussi des créations artistiques. Mais sur un plan économique et de volonté politique, cela reste extrêmement difficile. Ce n’est pas une priorité.
Vous allez montrer des artistes venus de la France, de la Chine, de Tahiti, de la Guyane, de Madagascar, d’Israël et aussi des Comores. Est-ce qu’il y a une spécificité de l’art comorien ?
Oui, certainement. L’art est universel, mais on peut dégager de véritables caractéristiques de l’art contemporain comorien. Par exemple, on a un groupe d’artistes qui est impliqué depuis plus d’une décennie dans une expression très conceptuelle, qui travaille le talisman, qui questionne l’être, les rapports entre les individus, les rapports sociaux, à travers de ce prisme du talisman, dans une peinture abstraite qui fait appel à des signes particuliers qui sont ces signes pas toujours évidents à comprendre.
Selon vous, l’intitulé de cette édition 2014, Formes, signes et symboles, est un peu l’ADN de l’art comorien ?
L’ADN, je n’irai pas jusque-là, mais toute la vie dans l’archipel est constituée de formes et de signes. Et c’est tout cela qui devait être décelé, montré pour reprendre les expressions de la vie pour les montrer sur un plan artistique.
Hudjijuwa, « la connaissance du soi »
La connaissance de soi passe par l’art, mais aussi par la science.
Fatima Ousseni, présidente et cofondatrice du Festival d'arts contemporains des Comores
28/05/2014
- par Siegfried Forster
écouter
On peut le dire. L’art est incontestablement un important levier de développement économique. C’est le contraire d’une futilité ou seulement d’un plaisir pour l’œil ou des sens. L’art fait partie intégrante de la vie et de l’individu et il est important de le développer. Notre Festival d’arts contemporains des Comores est né de la volonté de montrer le dynamisme artistique du territoire. Très vite, le festival a souhaité de s’associer aux créations qui venaient de l’extérieur. À la première édition, on avait des invités d’Australie, de Belgique, de France, de tout l’archipel et d’autres territoires. Cette fois-ci on a encore accru les territoires qui vont intervenir. A travers des ces expressions, on va pouvoir travailler aussi les sciences, grâce au socle conceptuel de cet événement : les questions d’identité, de patrimoine, de préservation de ce patrimoine, de la façon dont on veut le transmettre à nos jeunes. C’est pour cela que le Festival d’arts contemporains des Comores ait également un troisième volet qui intéresse la jeunesse : on a une forte implication scolaire, des travaux sont accomplis dans les établissements scolaires sur les thématiques du Festival.
L’actualité des Comores suivie par les médias fait souvent parler d’un pays avec des grandes difficultés qui a connu plus de 20 coups ou tentatives de coup d'Etat depuis son indépendance en 1975, la dernière tentative était en avril 2013. On évoque aussi souvent des pénuries concernant l’eau, l’électricité ou l’essence. Lors des Francophonies en Limousin en octobre 2013, le metteur en scène Soeuf Elbadawi, qui est également programmé dans votre festival, avait évoqué son échec concernant la création d’un collectif de théâtre aux Comores en déclarant : « on est dans un pays déchiré, nous-mêmes nous n’arrivons plus à construire un projet ensemble ». Est-ce que ce temps-là est passé aujourd’hui ?
Non, il n’est pas passé, mais c’est justement, parce que le pays est déchiré, parce que la présentation du pays à l’extérieur de ce pays ne passe que par les coups d’État, que par les difficultés économiques, qu’il faut montrer que cet archipel est aussi dynamique, qu’il a une jeunesse qui se bat et qui veut construire son futur. À travers de cette thématique, Hudjijuwa, il s’agit de se connaître, en sachant qui nous sommes. Ainsi on répare les déchirures dont parle Soeuf Elbadawi. On les dépasse et on décide le vivre ensemble. Il a raison, le vivre ensemble n’existe pas. C’est vrai qu’il y a une vraie déchirure dans ce pays. Il ne faut pas se voiler la face. C’est justement parce que nous avons conscience de cela que nous n’avons pas pu faire un événement culturel futile, mais fondé sur un travail intellectuel en profondeur pour permettre à cette population de se retrouver et d’accepter de se construire en vivant ensemble, en partageant un destin commun.
En France, qui dit Comores, pense aussi à Mayotte, devenue en 2011 le 101e département français, mais toujours révendiqué par Moroni. Est-ce que votre festival essaie aussi de dépasser les clivages très présents dans la relation entre les deux îles ?
On le fait depuis toujours. Mayotte est dans son territoire, le sud-ouest de l’océan indien, la Réunion, tout le monde est là. Il n’est pas question d’exclure. Nous allons même certainement avoir des participants des Seychelles. Il faut se parler. Nous sommes dans une unité territoriale. Il n’est pas question d’exclure les uns et les autres, au contraire. D’autant plus que cette notion de connaissance de soi, elle prévaut et elle est valable pour tous ces territoires : à la Réunion, vous avez également d’importants problèmes d’identité, on parle souvent d’une Réunion bigarrée, mélangée, mais en fait, c’est plus une société alvéolaire où les gens ne se rencontrent pas et ne se connaissent pas tant que cela. Donc cette thématique prend sens dans tout l’ensemble du sud-ouest de l’océan Indien, Mayotte incluse.
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2e Festival d’arts contemporains des Comores : expositions d’arts,
rencontres artistiques, conférences, concours scolaires, du 29 mai au 2
juin 2014, à Moroni.Par Siegfried Forster | RFI