Un bras de mer de 70 km sépare l'île comorienne d'Anjouan de l'ile de Mayotte dans l'océan Indien. Il est connu pour ses c...
Un bras de mer de 70 km sépare l'île comorienne d'Anjouan de l'ile de Mayotte dans l'océan Indien. Il est connu pour ses centaines de candidats migrants noyés et ses plus de 20000 expulsions chaque année, pour une population mahoraise de 210000 habitants. Plus original: les refoulements d'un débarcadère de la ligne maritime Mayotte-Anjouan-Mayotte à l'autre.
Un article de Kamal Eddine Saindou dans Malango.
Mardi 15 janvier. ''La Citadelle'', un des bateaux de la SGTM, la société des transports maritimes assurant la ligne Anjouan/Mayotte, est prête à appareiller du port de Mutsamudu. A l'entrée de la nouvelle gare maritime, l'habituel tohu-bohu. Les passagers règlent les dernières formalités et s'informent sur l'état de la mer. Le ciel est clément, le voyage s'annonce donc moins houleux.
Juste avant de larguer les amarres, un membre de l'équipage accompagne une passagère de dernière minute. Une jeune femme au visage à moitié dissimulé par un châle négligemment posé sur la tête et avec comme seul bagage, un sachet plastique bleu contenant une enveloppe. Le portrait classique du sans papier reconduit à la frontière. Sauf que nous ne sommes pas à Mayotte. Et Anjouan n'a pas la réputation de refouler ses ressortissants. Et pourtant, c'est bien ce qui se joue sous les yeux des passagers ébahis.
La jeune femme se livre aux regards braqués sur elle. «Je m'appelle Koulthouyoune Combo à l'autre». Le 10 janvier dernier, carnet médical à la main, elle se rend à un rendez-vous avec le médecin Catherine Fraissois au centre médical de Passamainty (Mayotte), pour un test de grossesse. Elle croise les policiers sur son chemin. Et c'est le début du calvaire. Sans papier, Koulthouyoune atterrit au centre de rétention administrative de Pamandzi. 48 heures plus-tard, le 12 janvier, elle se retrouve dans le lot des expulsés pour Anjouan. La jeune femme débarque au port de Mutsamudu. Personne ne l'attendait et elle ne connaît personne. Son carnet indique qu'elle est née à Mayotte un 29 décembre 1992. Et avant ce 12 janvier, Koulthouyoune n'a jamais mis ses pieds dans l'île de ses parents, installés sans papiers, depuis plus de 20 ans à Mayotte.
La Police aux frontières comorienne qui d'habitude se contente de ramasser les décisions des reconduites à la frontière des jeunes Anjouanais expulsés de Mayotte, prend en charge la jeune femme et décide de la faire revenir à son port de départ. Le 13 janvier, Koulthouyoune réembarque dans le même bateau qui l'a conduit à Anjouan la veille, munie d'une note officielle de la direction du Ministère de l'Intérieur. Signée par le Commissaire Youssouf Ahmed Ali , le document motive la décision du refoulement de la jeune femme en se référant à des «concertations entre l'Ambassade de France aux Comores et les représentants du Gouvernement comorien, tenues à Moroni les 24, 26 et 31 mars 2011» qui auraient fixé les trois limites aux reconduites à la frontière que prend l'administration de Mayotte : «Non séparation des familles, non refoulement des personnes malades ou enfants scolarisés et la possibilité offerte aux personnes refoulées de récupérer leurs biens et effets personnels».
Voilà donc Koulthouyoune en route vers Mayotte. Au port de Dzaoudzi, elle se fait de nouveau arrêter et placée en zone d'attente avant sa seconde expulsion. Le 14 janvier, la jeune femme reprend pour la seconde fois le même bateau à destination d'Anjouan. Entêtement contre entêtement, la PAF de Mutsamudu établit le même document de refoulement que la dernière fois et remet Koulthouyoune dans le bateau du 15 janvier vers Mayotte.
Combien d'autres Koulthouyoune vivent en silence ce calvaire ? Selon le mensuel mahorais Upanga (n°57 ; décembre 2012), ces «reconduites ping-pong» durent depuis le début de l'année et «pourraient concerner plusieurs dizaines de personnes par mois». Citant une source humanitaire, Upanga explique que par cette pratique, «les autorités comoriennes ne font pas de la reconduite de masse. C'est généralement à la personne de se manifester auprès des autorités. Si la personne, a avec elle, tous les documents attestant de sa situation, la PAF comorienne monte un dossier pour renvoyer la personne vers Mayotte».
C'est sans doute le cas de Koulthouyoune Combo qui avait eu la prudence de garder sur elle, un vieux carnet de sa mère attestant de sa naissance à Mayotte, ainsi que le carnet médical confirmant qu'elle débute une grossesse et qu'elle avait un rendez-vous avec un médecin le 10 janvier, le jour où elle est arrêtée par la police mahoraise et expulsée.
Si l'on ignore le sort réservé à toutes ces personnes, le cas de Koulthouyoune Combo prouve que pour l'instant, ni le caractère officiel des documents remis par la PAF comorienne, ni la référence à un accord diplomatique entre la France et les Comores, n'ont eu aucun effet sur la PAF mahoraise, mais mettent en danger la vie des victimes ainsi condamnées à une double peine expulsion/refoulement.
Dans un état de santé fragilisé par son début de grossesse, Koulthouyoune a subi en une semaine, deux expulsions/refoulements, forcée à deux allers-retours en mer entre Mayotte et Anjouan , sans aucun moyen de subsistance, et passé des nuits à dormir à même le sol ou, au mieux, sur un simple matelas mousse au centre de rétention de Pamandzi et dans la zone d'attente du port de Mutsamudu. Expulsée pour une troisième fois vers Anjouan, Koulthouyoune y est restée.
La PAF anjouanaise a finalement renoncé à poursuivre ce match de ping-pong avec la PAF mahoraise, au détriment de la santé physique et morale de la jeune femme. Une décision salutaire, mais qui laisse en suspend cette question : quelle est la validité des fameux accords entre la représentation française et les autorités comoriennes sur lesquels s'est référé la PAF de Mutsamudu pour refuser l'expulsion de Koulthouyoune? Encore une fois, ce sont les petites gens qui paient les atermoiements du gouvernement comorien sur ce serpent de mer que constitue "l'émigration" vers Mayotte.
Source : médiapart
Par fini de rire