Comores : anagramme de Socrome, pays où il fait ses premiers pas dans le graffiti. Paris, anagramme de Pairs car oui, ses lettres sont hors pairs. Interview et images.


Socrome à l'œuvre aux Comores (2010).
FC : Racontes-nous tes débuts et ta découverte du graffiti.
Socrome : J’ai grandi du côté de la porte de St-Ouen et Clichy dans le nord de Paris, j’ai quelques souvenirs de grandes fresques sur la PC. Á l’adolescence je suis parti vivre aux Comores avec mes parents qui voulaient rentrer au Pays : la meilleure chose qui me soit arrivé à cette période. C’est là-bas, autour de 1999 que j’ai fait mes premiers petits tags, mais rien de bien fou.
FC : Que signifie ton nom Socrome et comment l’as-tu trouvé?
Socrome est un anagramme de Comores. La recherche identitaire est importante pour moi, j’ai besoin de représenter, d’affirmer qui je suis. Mais j’aime bien aussi taper d’autres lettres pour des tags ou lettrages pour changer un peu, me libérer de certains automatismes : beaucoup de « Glock2 » en ce moment, « Couscous », « Swag2 », « Croms » etc…

Fresque (monumentale) d'Azek, Posh, Rezo, Reks, Ja, Rel, Opse, Nes, Socrome, Komo, Keyone, Kaise, Stela, Metro, Fish, Jouir, Toune, Forma, Shick, Ocre, Sare & Trist à Toulouse.
FC : Tu fais parti d'un crew bien connu le LCN (Le chat Noir), peux-tu présenter le crew pour ceux qui ne le connaissent pas, sa création, le style, l'esprit et ses actions marquantes?
Le Chat Noir Crew est né en 2003 de ma rencontre avec Öpse Öne à Nanterre. Keyone et Agooti nous ont rejoint. L’un venant des Antilles, l’autre de Guyane, chacun était un tueur en persos et a ramené son truc. Je suis un peu nostalgique de cette période : on peignait énormément, tout le temps, on se promenait un peu partout, on prenait goût aux fresques, se mettre d’accord sur les couleurs, les compos etc…On avait envie de représenter, c’était très « Black Power » au départ, mais ça a évolué et ça s’est métissé. Plus tard, Rel (qui deviendra Nasone) et Komo (Le seul et l’unique !) sont venus se rajouter au crew. Autres origines, autres expériences, autres visions des choses et tout ça est venu  enrichir les prods. Depuis, Agooti nous a quitté et on s’est retrouvé à cinq. On est pas très nombreux mais on se connaît bien, on s’estime et on aime se retrouver pour faire des gros murs quand on le peut. D’un point de vue style, chacun a sa propre personnalité mais on est tous assez proches d’une vision « puriste » du graffiti : on aime le flow, les gros wild qui tabassent, les Bboys, les réalistes et les putains de scènes à la New-Yorkaise. On fait pas mal de projets pour nous ou quand on nous propose des trucs intéressants. Récemment par exemple on a peint l’espace détente des joueurs pour L’Open de Bercy 2011, on a peint quelques vans, on a encadré des ateliers avec des jeunes, on a fait une grande fresque pour dédicasser Marko la Photo… Vous pouvez suivre tout ça sur notre site Le Chat Noir Crew.

"Wild letter" par Socrome.
FC : Comment tu définirais ton style?
Pas facile de répondre à cette question. Je pense que c’est du wildstyle avec des influences calligraphiques. J’aime de plus en plus caler des bboys et les mettre en scène avec le lettrage, ça apporte quelque chose. J’aime bien aussi faire du réalisme, surtout les portraits de gamins et les vieux : un regard de gosse ne ment pas, le visage d’un beau vieux est une encyclopédie. Question lettrage je suis un gros gros casse couille : il faut que les lettres soient équilibrées, expressives, qu’elles tiennent la route à la fois individuellement et au sein du lettrage. J’aime pas non plus les phases et les rajouts qui n’ont pas de sens et ne sont pas cohérents avec la dynamique du truc. Les couleurs, c’est pas si important, mais ça peut te ramener de l’intensité en plus. Dur de rassembler toutes ces conditions dans une seule pièce et je suis très rarement satisfait de moi…

"Zéhidja zo hamboi wandru" / "Ce qui est durement travaillé dans l'ombre brillera à la lumière" par Calcamart & Socrome aux Comores (2010).
FC : Quelle est la place du graffiti dans ta vie?
Je crois me souvenir d’une interview de Jonone où il disait que le graffiti « est un monstre qui t’attrape et te dévore ». Je rejoins assez ce point de vue. C’est une passion qui est gourmande en temps et qui peut vite te déborder si tu ne la contrôle pas. D’ailleurs, plus le temps passe, plus c’est difficile à gérer : vie de couple, vie de famille, vie professionnelle… Plus que le graffiti, je dirai que c’est la création qui occupe une grande partie de ma vie, et c’est tant mieux!

Pièce de Socrome.
FC : Qu’est-ce que tu aimes dans le graffiti?
Ben justement, déjà, j’aime découvrir des gens qui ont aussi chopé le virus. Ca se sent direct : c’est une culture, des références, c’est s’y intéresser en permanence, savoir ce qui se fait, qui a le style qui tue… Et surtout le challenge ! Ça c’est un truc qui me fait vraiment kiffer : la compétition. Étre en évolution constante, éviter de tourner en rond, se surpasser… C’est un état d’esprit qui me plait. Chacun a sa chance, c’est une question de détermination, de travail, d’opportunités. C’est toujours impressionnant quand tu connais le style d’un mec, tu suis son travail pendant plusieurs années, tu te fais une image de lui. Genre le mec te fait des grosses pièces hyper nerveuses et dynamiques et met des baffes à tout le monde et un jour tu découvres que c’est un petit mec tout sec et tout discret, ça tape ! L’habit ne fait pas l’Imam.

Fresque de Socrome, Azek, Posh, Opse, KeyOne, Fish, Sare & Triste à Toulouse.
Un autre truc que je trouve fort dans le graffiti est qu’il te fait vivre des choses que tu n’aurais peut-être jamais vécues, il te fait rencontrer des gens, te met dans des situations de fou, t’as vraiment l’impression de vivre par moments. Il est aussi assez puissant pour lier des gens qui n’ont rien à voir les uns avec les autres. Par exemple, tu peux débarquer dans n’importe quel pays, si les gens ont une bonne mentalité, tu captes des gens et en très peu de temps tu partages de vrais moments de partage et d’échange avec eux… Sans parler la même langue, je trouve ça fort.
FC : C’est quoi tes goûts en terme de livres et de films ?
Je vais être sincère : je ne lis pas énormément et je ne vais pas non plus énormément au cinéma : je préfère peindre ! Par contre, de temps en temps je me motive et je lis des trucs qui me nourrissent beaucoup. Quelques bouquins de Yasmina Khadra, La bio de Mandela…
FC : Ta citation préférée?
Justement, je te parlais de la biographie de Mandela (Un long chemin vers la liberté), y’a des phrases vraiment fortes. Je pense que sa vie et son combat est une leçon pour tous. Dans ses réflexions, il va beaucoup plus loin que l’image que je m’étais faite de lui. Quelques passages qui ont retenu mon attention :
- ”Il est tout a fait logique qu'un système légal injuste et immoral fasse naître le mépris pour ses lois et ses règlements”.
- “Un combattant de la liberté apprend de façon brutale que c'est l'oppresseur qui définit la nature de la lutte, et il ne reste souvent à l'opprimé d'autres recours que d'utiliser les méthodes qui reflètent celles de l'oppresseur. À un certain moment, on ne peut combattre le feu que par le feu“.
Nelson Mandela
Á méditer…

Sketch par Socrome.
FC : Tes sources d’inspiration?
C’est très très varié. Tout et tout le monde est susceptible de m’influencer.
FC : Cites-nous un artiste dont tu admires et respectes le travail.
Je suis obligé de citer Shoe qui est une grosse influence pour moi. Déjà uniquement dans le graffiti, j’appréciais beaucoup son travail. Un rythme dans les lettres, un vrai flow. J’aime beaucoup son évolution, ses créations plus typographiques et calligraphiques.
FC : Comment organises-tu tes peintures? Tu fais des sketches ou t’es plutôt freestyle? Est-ce que t’as tes petites habitudes?
Sauf exception, je ne travaille jamais avec une esquisse : j’ai trop tendance à perdre en spontanéïté quand j’essaye. En plus je préfère vraiment adapter les placements au support : une fenêtre, un rebord, un dénivelé. La meilleure méthode de travail que j’ai trouvé jusqu’à présent, c’est de me promener avec un petit calepin sur moi et je travaille les lettres individuellement : je les étire, les courbe, tente des trucs ; c’est comme si elles faisaient de la gymnastique ou de la muscu. Après c’est devant le mur que je m’adapte et que je cherche à les combiner entre elles. Pour les persos, en général je prépare un minimum mais j’affectionne en général le freestyle : un bon son sur les oreilles et c’est parti!

FC : Parles-nous un peu de tes lettrages ondulés et aiguisés, visuellement c'est trés impactant et ça rejoint l'esthétique de la calligraphie, est-ce volontaire?
Tu sais, je fais parti d’un des rares à encore croire au Hip Hop, à ses passerelles, ses connections, ses cohérences. Je pratique et j’aime le graffiti qui ressemble au rap que j’écoute, au style de danse que j’aime. J’aime les flows aériens, très souples et propres à un Method Man, Charismatique à la Onyx ou Das EFX, authentique et sombre d’un Heltah Skeltah / Boot Camp. Pareil pour le break : je kiffe quand les b-boys te font des gestes amples et harmonieux et « Clac », il le tranche avec un mouvement sec. Ben tout ça, ça se ressent dans le graffiti que j’aime. Tu parles d’un lien avec la calligraphie, c’est pas forcément volontaire mais c’est carrément possible. J’ai toujours été friand des belles œuvres calligraphiques : Tout raconter en un seul tracé. D’ailleurs je guette toujours les tags des gens dont j’apprécie les graffs ; ça en dit beaucoup sur le « vécu » de son tracé et son style.



B-Boy par Socrome.
FC : Tu assures bien en personnages, b-boy, cartoonesque ou réaliste, c'est quelque chose que tu a appris à travers le graffiti ou tu dessinais déja avant?
C’est pas très original mais bon c’est la vérité, j’ai toujours dessiné. Depuis tout petit, mon kiff c’était la peinture. Je me souviens, depuis la maternelle, les gens voulaient être policiers (oh merde), vétérinaires etc… Moi je voulais juste peindre.
Ma grande sœur écoutait beaucoup de new jack, de rap… J’ai baigné tôt dedans (merci Alawiya !) et je pense qu’inconsciemment ça m’a aidé à m’identifier assez vite à la culture Hip Hop & au graffiti.
FC : Quel était ton graff le plus dangereux?
Aucune idée, je suis pas quelqu’un qui recherche absolument le danger mais j’ai des petits souvenirs qui remontent : Une session sur un toit avec Keyone, Un immense bâtiment inachevé en Croatie qui commençait à s’effondrer, une ou deux peintures aux Comores en équilibre sur une planche à quelques mètres au dessus de la mer… Enfin bref ! Tellement de joyeux souvenirs !

Portrait de Bob Marley aux Comores.
FC : Ta meilleure expérience en graff, le plus beau souvenir ?
Honnêtement, je pense que chaque session graffiti que j’ai faite aux Comores pourrait être évoquée comme un de mes plus beaux souvenirs graffiti. L’élément essentiel est le contact avec les gens. J’arrivais dans un quartier où la plupart du temps il n’y avait jamais eu de graffiti, étant en pleine rue, ça suscite direct l’intérêt des gens. Ça s’attroupe, ça me bourrine de questions, des taximans s’arrêtent pour me demander de peindre le visage de leur grand-mère, des gosses courent chez eux pour chercher leur petit cahier et me montrer les sketchs… Les supports sont magnifiques : des tôles rouillées, des vieux murs, des anciennes maisons coloniales (ah ah), le Top…
Côté Europe, je garde des souvenirs forts de certaines sessions avec nos frangins toulousains : Shefi, Trist, Kaise, Azek, Sare, Ocre, Pear, Ibisa… et tout le monde (vous êtes trop nombreux pour que je cite tout le monde ici les mecs !).

Sketch par Socrome & KeyOne (2010).
FC : Quel serait pour toi le spot parfait, et le graffiti parfait ?
Chaque spot sur le sol Africain est le spot parfait parce qu’il aide à diffuser le truc et peut encourager la jeunesse africaine à s’exprimer. Chaque graffiti de chacun de ces jeunes sera parfait parce que le graffiti reprend tout son sens : permettre à des gens dont tout le monde se fout de s’exprimer, de créer une dynamique, une culture, une force.
FC : Dans quelle direction tu veux faire évoluer ton style ?
Je ne sais pas comment il évoluera… Une chose est sûre, c’est que je suis un véritable passionné de la lettre. La vraie lettre. Je ne suis pas du tout attiré par les « jolie choses » qu’on essaye de faire « ressembler à une lettre ». Je veux que les lettres soient là et qu’elles aient du caractère. Voilà l’évolution que je cherche : qu’elles soient de plus en plus sauvages, qu’elles aient du charisme.
Mais t’inquiètes Vinz, elles sont dans la salle du temps là, elles font des pompes et des abdos !
FC: Ha ha j'en suis sûr!

FC : Donnes-moi une liste de mot pour définir le graffiti selon toi (illimitée).
Tag, Tag, Tag, Lettrage, Tag, Flop, Sketch, Tag, Tag, travail de la lettre, compétition, jaloux, mecs biens, calligraphie, FatCap (!), LCN Crew.
FC : Qu’est-ce qui fait pour toi qu’un graff est réussi?
C’est un peu difficile à expliquer. Mais j’imagine que l’impact de l’ensemble, la bonne construction des lettres, la propreté des contours, la bonne composition des éléments (persos, miniblocs, bubbles, tags…). Et je le kiffe plusieurs mois/années après, c’est qu’il était réussi.

Throw Up par Socrome aux Comores (2010).
FC : Á qui appartient la rue?
Ça dépend de ce qu’on entend par « la rue ». Aujourd’hui ça veut tout et rien dire.
J’en sais rien, peu importe…
FC : Ta vision du graff a-t-elle changée avec le temps?
C’est évident. Au début, tu es très jeune, tu kiffes, tu te poses pas trop de questions. Après, au fur et à mesure tu vis et tu vois des choses et forcément ta vision change. Par contre la passion est intacte, elle s’est même endurcie. Peut-être un truc dommage : je ne me reconnais pas vraiment dans ce qu’est devenu le « milieu graffiti » aujourd’hui, en particulier à Paris. Le système est tel qu’au bout d’un moment, tu gardes tes distances, tu restes avec les tiens. Y’a moins d’échanges. D’échanges positifs en tout cas. Donc on est là, on est tous entassés les uns à côté des autres, on a la même passion mais en général on se parle pas. Mahlish ! La vie continue et il reste des gens biens!
FC : Comment définirais-tu la société actuelle?
Elle est de plus en plus individualiste. Chacun pour sa gueule. Ca m’inquiète un peu pour les générations futures. Mais c’est comme ça. Rien que dans le Hip Hop, ou en tout cas ce qu’il est convenu d’appeler Hip Hop aujourd’hui : l’argent, la frime, les blingblings ont pris le dessus… Même les rappeurs sont fascinés et engraissent les grandes marques de luxes. La honte.

FC :  Comment définirais-tu le millieu de l’art?
Je ne le connais pas et je ne suis pas sûr d’avoir envie de le connaître. Au jour d’aujourd’hui, je préfère être proche des jeunes et de ceux qui me ressemblent. En plus il faut le dire, la toile est un support que je n’aime pas : trop lisse, trop limité, pas d’âme, pas de vécu. Quand on m’en demande, j’en fait, mais c’est surtout pour garder des traces par-ci par-là.
FC : Comment tu vois le graff évoluer dans les 10 ans à venir?
Je sais pas mais y’a un potentiel de ouf qui ressort ces derniers temps je trouve, ça promet!
FC : Quelle différence fais tu entre le graff et ce qu’on appelle le street art?
Je suis bien plus passionné par le graffiti : il sent la sueur et par dessus tout il est concentré sur le travail de la gestuelle, la dynamique, la lettre. Le street art, c’est un peut différent, ça plait plus aux passants. J’ai rien contre mais ça me touche moins, sauf quand le message est fort.

Comores (2010).
FC: Tu es un digne représentant des Comores, d'où tu es originaire et tu participes activement au développement du graffiti là-bas. Peux-tu nous présenter rapidement la scène graffiti des Comores, quels sont les mecs qui bougent bien, etc...
Les premières fresques aux Comores datent de 2003 et j’étais pratiquement seul (Dédicace quand même à Anouk avec qui j’ai peins la première fresque couleur dans la rue, la nuit  et sans électricité !). Y’avait eu un concert en plein air du groupe 3e Œil, très populaire à l’époque. On m’avait demandé de peindre sur un panneau et j’ai écrit « Nkonyo Dzima » (Tous ensemble), à une période où le séparatisme faisait rage au pays. Ça a commencé à mettre la puce à l’oreille de certains. En 2007, il y a eu Papadjo, Amir, Cheik’n, Medo. Des jeunes de mon quartier, Magoudjou qui ont commencé à me suivre. Après, en 2010, j’ai rencontré des mecs de l’association Calcamart, passionné de calligraphie : Hakim et Saïd Omar. Ils connaissaient le graffiti comme ça mais ils ne s’étaient jamais vraiment mis la tête dedans. Idem pour moi concernant la calligraphie arabe. Ça a été un choc, on a directement accroché ; chacun respectait le travail de l’autre et voulait apprendre donc on a aménagé un petit atelier et surtout on a commencé à bouger ensemble. Et cette fois, ce n’était plus juste des pièces par-ci par là comme j’en faisait avant mais des gros murs en couleurs, des compos à la kainry : du jamais vu ! Eux étaient dans l’excitation de mecs qui découvrent le graffiti et moi ils me mettaient des baffes avec leurs tags en arabes ! Ils avaient même inventé un style calligraphique : « Hattul Kamar » (style comorien). J’ai kiffé le concept et on a commencé à faire des pièces en arabe en utilisant ce style, en illustrant des proverbes comoriens etc… Un jour, on était en train de peindre une fresque couleur dans Magoudjou, je repassse chez moi pour récupérer des bombe et je croise un barbu qui bloque sur moi.

Fresque de Keal DKC, Amir, Calcamart & Socrome dans le stade de Moroni aux Comores (2010).
En bon mecs de Paname on se guette un moment et je reconnais Keal DKC, un comorien que j’avais connu des années plus tôt à Nanterre ! On est content de se retrouver, il me dit qu’il avait repéré mes guettas partout et que j’étais un enfoiré!
Évidemment dans presque toutes les fresques qui ont suivit, il était de la partie ; Big Up à lui. Y’a plein d’autres jeunes que je dois citer qui ont rejoint le délire : Nourdine aux persos, Yav, Lil Says, Deff etc… Y’a aussi un mec que je n’ai jamais encore rencontré mais qui m’a direct impressionné. Je suis passé un jour à Sanfil, le quartier derrière VoloVolo, le marché, et j’me prends des lettrages dans la gueule ! Le mec avait balisé tout son quartier avec un style vraiment remarquable. J’ai pas eu le temps de le capter mais on l’a retrouvé et il a rejoint les rangs !  Un clin d’œil aussi à mon gars Servis 3HS MS, je le connaissais de Paris et un jour au pays sur un mur en pleine avenue je me mange un gros 3HS hyper efficace ; t’as assuré mec!

FC : Comment ça se passe niveau matériel, bombes de peintures et caps là-bas. On sait que c'est parfois la raison pour laquelle le graffiti a du mal à se développer en Afrique... On voit sur une de tes photos que certains remplissages sont faits au pinceau...
Avec ta question, tu touches au cœur du sujet. D’ailleurs quand je suis arrivé et que j’ai capté Saïd Omar et Hakim, j’ai mis les choses au clair direct. Ils devaient se dire que c’était un truc de riche, que les bombes là-bas n’étaient pas de bonne qualité, que c’était pas pour eux en gros. J’avais envoyé par bateau un petit stock de bombes/marqueurs/etc… Je leur ai dit quelle est ma façon de penser : quoi qu’il arrive je peindrai. Je me démerderai pour trouver de la peinture sans sortir trop de thunes et j’utiliserai le moins possible de bombes. Si vous voulez rouler avec moi va falloir aller chercher les plans et si vous me prenez pour le petit bourgeois qui vient de France avec ses sous, testez-moi et vous verrez.

Ils étaient sceptiques au départ mais ça a marché encore mieux que je l’aurai cru. On a multiplié les commandes de murs pour les écoles qui, faute de bouquins, avaient besoin d’alphabets sur les murs (Français et Arabe, de personnages etc…). Á chaque fois, on demande beaucoup plus de peinture que nécessaire, de manière à pouvoir peindre à l’œil après. Je fonctionne comme ça depuis la nuit des temps. D’un point de vue technique, les bombes disponibles actuellement sont d’une autre époque (on va arranger ça…), mais personnellement je kiffe parce que ça donne une autre tronche aux prods. Par contre niveau nuancier, t’as vite fait le tour : noir, blanc, rouge, jaune, bleu, vert. C’est tout. Sauf un ou deux magasin où les bombes sont hors de prix…
Donc on privilégie les bombes pour faire les contours, tags et effets. Le reste au pinceau, rouleau, ce qu’on trouve… Tu vois, on est bien loin du snobisme parisien où « pour être un vrai graffeur il faut faire ça, ça, ça ». On a un objectif et on cherche à l’atteindre, peu importe si c’est avec un piceau ou autre chose…

FC : Tu as peint un bateau là-bas, racontes-nous l'expérience...
Une de mes plus belle expériences… Keal avait repéré le bateau depuis quelques temps et il était obsédé par ça « Faut qu’on le tape, faut qu’on le tape ! ». Ca a pas été simple mais on a réussi. Par contre, une grosse galère : comment peindre un bateau d’une telle dimension avec le peu de moyens qu’on a ? Comment faire en période lunaire où la marée le jour était quasiment tout le temps haute ? Bah on s’est démerdé : au départ on a suspendu des planches clouées sur une corde par le dessus mais s’était pas hyper stable ; personne ne voulait monter dessus alors j’y ai été, les gens m’ont pris pour un fou ! Trop dangereux, il a fallu trouver une autre solution et on nous a prêté des morceaux d’échaffaudage qu’on a utilisé comme des échelles. Au delà de la difficulté, un pur plaisir : support rouge rouillé en plein centre-ville, visibilité maximale. Les gosses qui jouent autour, des poissons que tu sens frôler tes pieds pendant que tu peins : des moments de fou!

FC : Niveau police, vandal, et autorisation, comment ça se passe là-bas?
Il n’y a pas encore de terrains aux Comores, en général on a l’autorisation des propriétaires avant de peindre. Sur la fin, on avait pas trop besoin de demander, on venait nous solliciter. Je n’ai jamais eu affaire à la police aux Comores.
FC : Quel est la réaction des gens au Comores au contact du graffiti?
Tout le monde a reçu la chose avec enthousiasme ! Les plus réactifs bien évidemment ça a été les jeunes. C’est une ambiance très particulière cette période où une population découvre le graffiti : il y a de l’excitation dans l’air.
Je me souviens de vieux qui venaient nous voir pour nous dire qu’il kiffaient, d’une vieille qui n’osait pas passer dans une ruelle parce qu’elle était impressionnée par un graff ! Heureusement, elle a finit par s’y habituer !

La seule réaction négative est venue d’un français. Le directeur d’un établissement culturel post-colonial qui est venu brailler pendant qu’on faisait un mur près de son établissement. Il disait qu’on aurait dû lui demander avant etc…
On ne s’est pas laissé impressionner par ses grands airs et on a finit notre mur. Tout le quartier était de notre côté et on m’a assuré que personne n’y toucherait.
Le mur est encore là aujourd’hui. Pour moi cette anecdote montre bien que cette attitude vis-à-vis du graffiti est typiquement occidentale.

FC : Quels sont tes défauts et qualités?
J’aime monter des projets, jouer collectif mais j’ai aussi besoin d’être seul par moments, faire mon truc à moi, à l’écart.
FC : Tu pratiques une autre forme d’art, mis à part le graff?
En ce moment pas trop mais je suis très curieux et touche à tout.
FC : Décris-nous une journée typique de Socrome.
Ceux qui me connaissent bien te le confirmeront : je suis un gros gros bosseur. Je suis presque en permanence en train de travailler, de monter des projets. Tout le temps tout le temps…

FC : Association de mots. Je te donne une liste de mots, et tu me donnes le premier mot qui te vient à l’esprit:
- Illuminatis : Rien à foutre.
- Ramadan : Mkata kuskuma (plat traditionnel comorien).
- Los Angeles : Keyone ! (sale enfoiré !)
- Félix le Chat : Traître !
- Terrain de Palaiseau : P19
- Banksy : Riche
- Ventes aux enchères : Rien à foutre.
- Mac Donald : Rien à foutre.

"Felix le traître" par Socrome, KeyOne & Nas-One à Paris
FC : Quelle est ta couleur préférée?
Le noir.
FC : Des projets à venir?
« Comores United Artists », un collectif qui rassemble les jeunes Comoriens des Comores et d’ailleurs qui ont envie de se bouger le cul. L’un des objectifs est de faire un livre ou un DVD… à suivre sur mon site.
FC : C’est quoi ton but ultime?
Continuer à kiffer un maximum, rencontrer des vrais et faire monter le niveau le plus haut possible.

Graffiti des Comores.
FC : Tu as posé des graffitis en alphabet Arabe. Comment conçois-tu la chose, penses-tu que cet alphabet et ses règles soit propices au graffiti?
Je pense que n’importe quel alphabet a son potentiel dans le graffiti mais qu’il faut l’aborder différemment. Au Comores, c’est dans la logique des choses vue la double influence culturelle du pays : l’occident d’un côté, les pays arabes de l’autre. En plus, beaucoup de choses peuvent être faites en la matière, en particulier avec la calligraphie arabe, qui a une élégance naturelle. Le pari mérite d’être tenu et je compte bien faire des choses avec, même si la route est longue…

Fresque par Amir, Calcamart & Socrome (en arabe) à l'école primaire Hadoudja aux Comores (2010).
FC : Quelles questions aurais-tu aimé qu’on te pose?
Rien en particulier, y’en a déjà pas mal !
FC : Le mot de la fin, dédicaces?
Leela4life ! Öpse Öne, Keyone, Nasone, Elsa, Komo, Isa, Agooti, Juntos, Lionel, Pravs & Miya, Sam & Coco, Calcamart, Saïd Omar, Hakim, Amir, Keal, Nourdine, Hood Pride, Shefi, Trist, Kaise, Azek, Stela, Sare, Ocre, Pear, Tong, Space Monkey, Metro, Temsa, Korus, KoolTaste, Clyse, Maestro & tous les TWP, Rem ACC, Bombz, Litso, Mes Croates Niggaz’, Mes Italians Niggaz : Kong, Carié et Wens, Katre, Reso, Seth, Ekyl, Bes, Sayen, Marko93, MH & Back, Ban2, Soraya, Dony S & Rap Contenders, Mass, Bo17, Capverdiano, Brask, Mc Warahni, Tizer, Stekpa, Deace, Vision, Persu, Douze (t’es où mec ?), Floke, Boher, Maloween, 78 Code MITS, Salmata, Moumou, Alpha, Elga, Zé, Obenit & Gael, Servis… et tous les autres!
Socrome.
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