Djamdaé vit en campagne. Ménages, marchés, garde d'enfants : elle se dit peu touchée par la vie chère contre laquelle se battent les hab...
Djamdaé vit en campagne. Ménages, marchés, garde d'enfants : elle se dit peu touchée par la vie chère contre laquelle se battent les habitants de Mayotte.
(De Mayotte) Ici, tout ce qui se mange est importé. Le combat pour la vie chère (les prix sont en moyenne 30% plus élevés qu'en métropole) n'est toujours pas terminé : l'intersyndicale n'a pas signé l'accord de sortie de crise. La grande distribution, tenue par des entrepreneurs étrangers, a pourtant accepté de baisser les prix de la viande de bœuf – dernier point de résistance – de 10%. C'était il y a plus d'une semaine.
Dans le 101e département français, petite île verte et bleue, les dysfonctionnements ont un impact sismique :politique répressive, économie inerte (peu de de tourisme, peu de production locale), niveau scolaire bas. Le thème de la « vie chère » a catalysé toutes ces frustrations, et rien n'est réglé.
Mais à M'tsangamouji, « dans la brousse », sur le versant de l'île opposé à la capitale, la « vie chère » n'est pas un problème. C'est l'absence d'avenir qui est usant.
On y rencontre Kamil, 25 ans, ancien chanteur de rap qui a choisi de se mettre au reggae parce que cela avait une meilleure image sur l'île. Il rêve d'être connu et de conduire une Mercedes. Il sait que sur l'île, la célébrité a des limites : « On te reconnaît dans la rue, c'est tout. »
Au début du mois, Kamil allait « sur les barrages », faire la grève, pour faire comme tout le monde. Mais il dit : « La vie est chère, mais c'est pas grave parce que, nous, on ne paye rien. »
Comment ça ? C'est sa mère, Djamdaé, à la tête d'une maison de huit enfants, qui nous répond.
Revenus : autour de 700 euros par mois
« Bricolage » : environ 500 euros
Djamdaé comprend le français, mais ne le parle pas bien. C'est Kamil qui traduit. Elle nous dit qu'elle gagne de l'argent en faisant du « bricolage dans les maisons » (ménage), elle vend des vêtements venus de Dubaï sur les marchés, et garde des enfants de temps en temps. Rien n'a l'air déclaré. Elle gagne autour de 500 euros, dit-elle, mais c'est très variable chaque mois.
- Allocations : 189 euros environ
Djamdaé dit qu'elle vit surtout grâce auxallocations familiales (au rabais, par rapport à la France) de 127 euros par mois et desallocations de rentrée scolaire. Elle perçoit ces dernières aides à chaque rentrée scolaire, 248,08 euros par enfant scolarisé (deux au collège et au lycée), soit 62 euros par mois.
Intervention de Kamil, optimiste : il dit que lorsque les allocations vont s'aligner sur la métropole (l'alignement se fera sur 20 à 25 ans), « plein de gens » vont pouvoir « complètement » arrêter de travailler sur l'île, « comme chez vous ».
Djamdaé est par ailleurs en train de signer un contrat d'assistante maternelle avec le conseil général qui lui permet de garder des « enfants des rues » chez elle (il y a environ 6 000 mineurs isolés à Mayotte dont les parents ont été renvoyés aux Comores sans eux).
Elle doit « veiller » à leur éducation. Cela lui rapportera, en gros, 500 euros par mois, par enfant. « Quand tout sera signé ».
Le conseil général, c'est le premier bâtiment qu'on voit en arrivant sur l'île de la mer. Symboliquement, il surplombe le port. Il y a environ 40 000 salariés sur 200 000 habitants, dont environ 3 000 salariés au conseil général. Le revenu moyen par foyer, à Mayotte, est estimé à 500 euros par mois (selon une association qui aides les enfants en difficulté), en hausse depuis 2005. (Avec 1 300 euros, un professeur qui enseigne en primaire est un riche).
Même si les rentrées d'argent sont variables chaque mois, Djamdaé et sa famille ne se sentent pas en insécurité financière. Dans le village, tout le monde se connaît et s'entraide. « Mais nous ne sommes pas riches », dit Kamil, qui justifie le fait de pas s'affranchir régulièrement de la zakat, l'aumône musulmane.
Dépenses : environ 700 euros
Maison : 0 euro
Djamdaé nous montre sa petite maison, d'environ 60 m2 (à vue d'œil). Il y a trois chambres : une pour les parents, une pour les filles, une pour les garçons. Une grande cuisine, où les casseroles et les plats en terre sont posés par terre et un salon auquel il manque un mur. Il est ouvert sur la nature : on peut cueillir des bananes en se mettant sur la pointe des pieds, à côté du fauteuil.
Le salon s'organise autour d'une vieille télé, sur laquelle les enfants regardent, assis en cercle, W9 et des séries brésiliennes comme « Daniela ».
Djamdaé nous dit :
« Ici tout le monde est propriétaire, tout le monde a son terrain. Le logement ne coûte rien. »
A M'tsangamouji, le village est découpé en bandes de terres, les maisons y sont bâties et agrandies de façon anarchique. Ce sont souvent des « clandestins » (immigrés comoriens, sans papiers) qui font les travaux, pour pas un rond. Il faut seulement acheter du sable. Faute de cadastre (le plan est en cours à Mayotte), Djamdaé ne paye pour le moment ni impôts fonciers ni taxe d'habitation.
Dès que les garçons sont grands, ils se font construire un « banga », petite maison en terre cuite sans toilettes ni douche, sur un terrain proche de la maison familiale. Les amis participent à la construction, c'est un rituel de passage pour les jeunes Mahorais. Dans ces petites maisons, en général, il y a juste la place de mettre un grand lit et un bureau.
Nourriture : 400 euros
Dans la famille de Djamdaé, on mange du thé et des gâteaux (matin), des bananes frites et de la viande (midi) et du riz avec du manioc(soir). Le repas mijote dès 16 heures.
Comme tous les Mahorais, Kamil et les autres mangent aussi beaucoup de « mabawas » (d'où le nom donné à la grève : « révolte des mabawas »). Ce sont des ailes de poulet frites, pas chères, introduites dans les années 80 par une entreprise sud-africaine. Elles sont devenues un plat traditionnel. Avec la grève, les prix ont diminué : les mabawas sont passées de 27 euros à un peu moins de 20 euros le carton de 10 kilos.
Djamdaé explique que les bananes ne coûtent rien, il suffit de les cueillir, et qu'il faut deux sacs de riz pour tenir un mois (environ 100 euros). Une fois toutes les trois semaines, elle va faire des courses à Mamoudzou, pour acheter « de l'huile, des conserves, des tomates, des sardines ».
Energie : 130 euros
Djamdaé paie 50 euros d'électricité, 30 euros d'eau et 50 euros de gaz (dont le prix devrait baisser grâce à la mobilisation).
Loisirs : 60 euros
Djamdaé se moque de la question. Il n'ont pas de dépenses de loisirs. Ils vont à la plage, de temps en temps, c'est tout. Et ils regardent la télé : la parabole de la télé coûte 45 euros par mois. Kamil :
« Vous croyez qu'on fait de la plongée et du ski nautique ? »
Le seul cinéma de l'île à Mamoudzou est fermé depuis un an, parce qu'il n'a pas payé ses factures. La salle sert de lieu de réunion et de séminaire.
Il n'y a pas de connexion internet à haut débit dans le nord de l'île. Kamil dit qu'il « devrait arriver en janvier », c'est ce qui est prévu. Du coup, il consulte rarement Internet au foyer du village : « Il faut trois ans pour télécharger une page. »
Ses trois ordinateurs d'occasion, qui viennent de Dubaï, servent à écouter de la musique et a monté ses clips de reggae, où il chante son amour pour sa « princesse » du moment.
Une fois tous les deux ans, Djamdaé va aux Comores, à Mohélie, voir sa famille. Kamil explique :
« Ici, personne n'est 100% mahorais. Les gens ont des cousins à Madagascar ou aux Comores. Ma mère est venue légalement sur le territoire, elle a des papiers français. Ce n'est pas une clandestine [la différence entre ceux qui ont des papiers et ceux qui n'en n'ont pas est importante, ndlr]. »
Le voyage coûte à Djamaé environ 360 euros l'aller-retour. Elle y va, de temps en temps, avec les plus jeunes, ceux qui ont des billets moitié prix. Jamais tous ensemble. Kamil rit : « On remplirait l'avion. »
Fournitures scolaires : 25 euros pas mois
C'est une des sorties d'argent les plus importantes de l'année pour les familles. Les Mahorais, de la ville et de la campagne, sont à égalité avec les Français de métropole. Un cahier 96 pages coûte 3,50 euros, comme à Paris.
Vêtements : 20 euros
Djamdaé achète des vêtements à Mamoudzou. Autour de « 3 ou 5 euros » le pull ou le pantalon. Jamais de marque. Elle porte aussi des tissus et des bijoux en « plaqué or » qui viennent de l'étranger. Les autres ont des T-shirts sur le dos, unis et en coton.
Taxi : 20 euros
C'est « très cher » d'aller à Mamoudzou : environ 10 euros l'aller-retour en taxi. Elle y va environ deux fois par mois, pour faire des courses ou signer des papiers au conseil général. Parfois, elle y va en stop.
Essence : 50 euros
Kamil plaisante en disant qu'il va bientôt acheter une voiture pour sa mère. Djamdaé se tord de rire (c'est inconcevable). Mais la famille possède deux motos, ce qui lui coûte 50 euros par mois, en essence.
Il y a peu de trajets à faire, personne ne bouge de la maison. Les enfants font tous du stop pour aller à l'école.
Portable : 9 euros par mois
Tous les enfants ont un portable (un téléphone coûte 20 euros dans le village). Une recharge SFR coûte environ 3 euros et leur dure longtemps.
Santé : indéterminé
Il faut, selon Kamil, attendre des semaines pour avoir un rendez-vous à l'hôpital public. Ils n'ont aucune idée de ce que les dépenses de santé représentent.
- Impôts : 0 euro
Djamdaé n'est pas imposable.
Epargne : 100 euros
Chaque mois, Djamdaé essaye de mettre environ 100 euros de côté. Cela sert à payer les travaux de la maison et d'éventuels billets d'avion à ses enfants. Deux d'entre eux veulent aller vivre en métropole : Kamil pour percer dans la musique, sa petite sœur pour faire des « études de vente ».
Lui rêve de partir d'ici la fin de l'année chez des amis à Limoges ou à Orléans, parce qu'il n'a pas de « plans » à Paris. On lui dit que le mieux serait d'aller à Paris pour la musique. Cela le démoralise. Sa sœur le rejoindra peut-être, en 2012.
Djamdaé aimerait que Kamil parte, « parce qu'il est assez grand pour vivre sa vie maintenant ». Il a eu un CDD, il y a longtemps, d'agent dans la grande distribution. Il coupait de la viande. Depuis, il ne fait rien de ses journées, à part son reggae. Il passe de temps en temps sur la chaîne de musique locale, Kwezy TV. L'un des fils de Djamaé, le plus grand, est déjà parti en Arabie saoudite, où il a fait le « Hajj » (pélerinage vers La Mecque). Il vit maintenant aux Comores. Il n'envoie par d'argent et donne peu de nouvelles. Kamil dit :
« C'est comme ça ici. Si tu pars, tu fais ta vie. Source: rue89
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