Le système communal comorien : un outil de division qui maintient le sous-développement. Les grandes localités ont peut-être raison de confisquer leur
Le système communal comorien : un outil de division qui maintient le sous-développement
L’article 9 de la loi N° 11-006/AU du 2 mai 2011, portant organisation territoriale de l’Union des Comores, imposant 28 communes pour l’île autonome de Ngazidja, est à l’origine de tous les MAUX. Malgré une large contestation de ce découpage, les autorités l’ont maintenu et les conséquences de cette imposition arbitraire sont là, palpables. Il y a presque une quinzaine d’années, le système communal a été instauré aux Comores avec de grandes ambitions : rapprocher la gouvernance des citoyens, promouvoir le développement local et encourager la participation des communautés aux décisions qui les concernent directement. Il visait à promouvoir une gouvernance de proximité, renforcer la participation citoyenne et encourager le développement local.
Malheureusement, cet espoir s'est transformé en désillusion. En pratique, les communes ont rencontré des défis majeurs, au point que beaucoup de citoyens jugent aujourd’hui son bilan négatif. Loin d'être un moteur de développement, ce système communal a accentué les divisions entre villages, marginalisé les petites localités, et installé un climat d'inefficacité et d'exclusion. Il est légitime de se demander si ce système ne nous condamne pas à un sous-développement organisé et encouragé. Une des critiques les plus récurrentes concerne l’imposition arbitraire et infondée de communes regroupant des villages qui n’ont ni histoire, ni culture, ni intérêts communs, ce qui engendre des conflits chroniques et freine le développement.
Un découpage territorial mal pensé et source de conflits
Commune sans rien de commun est une source de conflits. Ce système est une approche maladroite du découpage communal. Il repose sur un découpage territorial imposé, qui regroupe des villages dans des communes sans tenir compte des réalités historiques, culturelles ou sociales. Des villages se retrouvent ainsi contraints de cohabiter avec de grandes villes, souvent dominantes, avec lesquelles ils n'ont rien en commun. Certaines Communes regroupent des villages qui n'ont ni affinités culturelles, ni objectifs communs. De nombreux petits villages ont été contraints de s’unir avec des grands villages voisins, souvent perçus comme plus influents ou dominants. Ces regroupements, basés davantage sur des considérations géographiques que sur des affinités culturelles ou historiques, ont créé des frictions dès le départ. Les grandes localités, elles-mêmes, monopolisent les ressources et les postes de pouvoir, laissant les petits villages complètement à l'écart.
Les grandes localités ont peut-être raison de confisquer leurs ressources car les villages ne contribuaient absolument pas. Mais les villages aussi ont peut-être eux raison de ne pas contribuer car ces Communes ne les appartiennent pas, ils sont exclus de toutes les instances de décision. Certaines grandes localités ont la Mairie et le Maire et parfois même occupent les sept postes qui y travailles, comment les villages se sentiront dedans ? Cette situation crée des tensions incessantes et des conflits de représentativité, car les villages marginalisés estiment, à juste titre, qu'ils ne bénéficient d'aucune retombée positive du système communal. Les conflits internes ont atteint un point tel que certains villages, se sentant totalement exclus, refusant même de participer aux élections. Il y a même des villages qui n’ont jamais participé à ces élections. Cela témoigne d'un système inefficace qui ne parvient pas à mobiliser ni à unifier les communautés.
La domination des grandes localités : un déséquilibre flagrant
Dans presque toutes les communes, les grandes villes s'approprient les principales infrastructures communales, notamment les hôtels de ville, et monopolisent les postes clés tels que celui du maire et des membres du bureau communal. Les petites localités, quant à elles, sont reléguées à des rôles secondaires, voire inexistants, dans la gouvernance locale.
Les grandes localités profitent des budgets pour financer leurs propres projets, tandis que les petits villages n'ont accès à aucune ressource et n'obtiennent aucune amélioration de leurs conditions de vie.
Face à cette marginalisation, les petits villages refusent souvent de contribuer au fonctionnement de la commune. Leur logique est simple : « Pourquoi devrions-nous contribuer alors que nous ne bénéficions de rien ? »
Ainsi, le système communal, au lieu de renforcer la solidarité et le développement partagé, creuse davantage les inégalités entre villages et perpétue une dynamique de méfiance et de division.
Un impact direct sur le sous-développement
Le système communal devait être un outil de développement local. Pourtant, les résultats obtenus sont contraires aux objectifs initiaux. Voici comment ce système contribue directement au maintien du sous-développement :
- Blocage des projets collectifs : Les querelles entre villages empêchent la réalisation de projets communs. Par exemple, dans certaines communes, des projets de construction d'écoles ou de centres de santé restent bloqués car les villages ne s'accordent pas sur leur localisation.
- Absence de participation active : Les villages marginalisés ne participent ni aux réunions ni aux votes. Certains villages, lassés d'être exclus, ont totalement abandonné le système. Résultat : la commune fonctionne au ralenti et les objectifs de développement restent non-atteints.
- Dilution des ressources : Au lieu d'être investies dans des projets structurants, les ressources des communes sont souvent mal gérées ou utilisées pour satisfaire les besoins des grandes localités. Cela limite les retombées positives pour l'ensemble des habitants.
- Manque de gouvernance inclusive : Les tensions internes empêchent la mise en place d'une gouvernance participative et efficace. Les petites localités ne se sentent pas concernées et préfèrent s'isoler.
Une réforme urgente est nécessaire
Pour sortir de ce cercle vicieux, une réforme profonde du système communal est indispensable. Voici quelques pistes de réflexion :
- Revoir le découpage communal : Les communes doivent être redessinées en tenant compte des réalités socioculturelles des villages. Les villages qui n'ont rien en commun ne devraient pas être forcés de cohabiter. Des regroupements plus homogènes pourraient améliorer la coopération.
- Renforcer l'autonomie des villages : Chaque village doit pouvoir gérer directement certaines ressources et projets, tout en restant intégré dans une structure commune pour les initiatives plus larges.
- Promouvoir une gouvernance équilibrée : Il est impératif de garantir une représentation équitable des petits villages dans les organes communaux et de veiller à ce que les budgets soient répartis de manière transparente et équitable.
- Sensibiliser les communautés : Il est important d'expliquer aux citoyens les avantages d'une coopération inter-villages bien pensée, tout en leur offrant des garanties sur une gouvernance juste.
En fin, il est ainsi à souligner qu’après presque 15 ans d'existence, le système communal comorien n'a pas tenu ses promesses. Au lieu de rapprocher les citoyens des décisions, il a amplifié les divisions entre villages et favorisé la marginalisation des petites localités. Ce système, tel qu'il fonctionne aujourd'hui, n'est pas seulement inefficace : il constitue un véritable frein au développement de notre pays.
Si nous souhaitons éviter un sous-développement éternel, il est urgent de réformer ce système pour qu'il devienne un véritable outil de développement inclusif et harmonieux. Les Comores ne peuvent se permettre de continuer sur cette voie conflictuelle, car le progrès de notre nation repose sur l'unité et la coopération entre toutes ses communautés.
Le système communal, tel qu’il a été conçu et mis en œuvre aux Comores, n’a pas encore atteint ses objectifs initiaux de développement local et de gouvernance de proximité. Au contraire, il a souvent exacerbé les divisions et freiné le progrès. Si les autorités souhaitent réellement que ce modèle contribue à l’émergence économique et sociale des Comores, des réformes profondes et courageuses doivent être entreprises. Cela passe par la prise en compte des réalités locales et par la volonté de créer un système plus inclusif et adapté aux spécificités culturelles comoriennes.
L'heure est venue de repenser le système communal pour transformer ces 15 années d’échec en une opportunité de renouveau.
ABOUBACAR HADJI SAANDI KASSIME, Doctorant en Economie à l’UCAD-Sénégal.
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