Quel destin pour la Syrie ? Aujourd’hui, des millions de Syriens célèbrent la chute du régime de Bachar El Assad mais le chemin risque d’être long ava
Quel destin pour la Syrie ?
Le 8 décembre 2024 marque la fin de 6 décennies de domination exclusive du parti Baas sur la Syrie dont 54 ans de dictature sanguinaire sous la férule de Hafedh El Assad ensuite de son fils Bachar. Comment expliquer que les redoutables Moukhabarat qui avaient infiltré et surveillaient toute la société syrienne n’aient pu prévenir l’offensive des rebelles ?
Comment expliquer que l’armée syrienne qui a pu contenir pendant une décennie les assauts conjugués de plusieurs factions rebelles financées et armées par des puissances étrangères s’est effondrée seulement en 12 jours ? On nous dira que la Russie avait réduit son assistance au régime syrien et réaffecté ses moyens militaires au front ukrainien et que le régime des mollahs iraniens se préoccupe beaucoup plus de sa propre survie depuis qu’Israël a décapité l’appareil politique et militaire du Hezbollah libanais, son principal allié au Moyen Orient.
Ce que l’on ne nous dira pas c’est que des puissances étrangères ont versé de fortes sommes d’argent et promis l’impunité et un exil doré à des commandants de l’armée syrienne afin qu’ils paralysent toute résistance aux assauts des rebelles. Conséquence : l’armée syrienne n’a pas livré bataille, son commandement ayant été aux abonnés absents. Je rappelle que c’est le même scénario qui avait précipité la chute de Bagdad en avril 2003 lors de l’invasion de l’Irak par les troupes anglo-américaines.
Aujourd’hui, des millions de Syriens célèbrent la chute du régime de Bachar El Assad mais le chemin risque d’être long avant qu’ils puissent vivre dans une Syrie pacifiée et libérée de la tyrannie de l’Etat et des factions politico-militaires. Je crains que le peuple syrien n’ait quitté le tunnel de la dictature des Assad pour être poussé vers l’inconnu à travers un autre tunnel, peut-être plus sombre.
L’euphorie des Syriens risque d’être de courte durée au vu du profil des nouveaux maîtres de Damas. Le mouvement rebelle qui a chassé Bachar El Assad du pouvoir, le HTC (Hayat Tahrir Al-Cham, Organisation de Libération du Levant), est une ancienne branche d’Al-Qaïda en Syrie. Son leader Ahmed Al Charaa dit Abu Muhammad Al Julani et le premier ministre de la transition Mohamed El Bachir, qui sont des Arabes sunnites, sont-ils sincères lorsqu’ils proclament vouloir construire une Syrie pour tous ses enfants qu’ils soient d’origine arabe ou issus des minorités kurde ou turque, qu’ils soient musulmans sunnites ou qu’ils se reconnaissent dans les minorités religieuses chrétienne, alaouite, chiite ou druze ?
Dores et déjà, l’Etat Islamique (EI), qui occupe quelques poches au centre et à l’est du pays et avec lequel le HTC est en concurrence idéologique, n’apprécie guère les messages de tolérance à l’égard des minorités religieuses des successeurs d’Assad. Le HTC tiendra-t-il longtemps sur cette ligne de tolérance religieuse ou renouera -t-il avec l’idéologie sectaire d’Al-Qaïda, faisant ainsi vivre l’enfer aux Syriens non-musulmans ainsi qu’aux Musulmans qui ne partagent pas leur conception de l’Islam ?
Autre sujet d’inquiétude : l’intégrité territoriale et l’unité de la Syrie. Aussitôt confirmée la chute d’Assad qu’Israël avance en territoire syrien dans une zone tampon démilitarisée du Golan et effectue des bombardements massifs contre des infrastructures militaires, des stations radar et des bases aériennes, détruisant des avions et des hélicoptères au sol.
Les Américains ont profité de la guerre civile pour installer une base militaire au sud de la Syrie à la jonction des frontières avec la Jordanie et l’Irak, sans l’autorisation des autorités de ce pays. Ils sont et surtout présents également au nord-est de la Syrie depuis 2018 à l’issue de la guerre contre l’Etat Islamique (EI). Ils y volent le pétrole syrien. Ils profiteront du chaos de la transition pour renforcer leurs supplétifs du FDS (Forces démocratiques syriennes) qui contrôlent tout le nord-est et une partie du nord, soit plus du quart de la Syrie.
Autre puissance qui participe au dépeçage de la Syrie : la Turquie. Ce pays occupe directement une partie du nord de la Syrie depuis octobre 2019 et parraine des groupes rebelles implantés dans le nord-est et qui combattent les FDS.
La capacité des nouvelles autorités de Damas à restaurer l’unité et l’intégrité de la Syrie dépend du bon vouloir des USA et de la Turquie qui en plus de leur présence militaire téléguident des mouvements rebelles syriens qui exécutent leurs agendas respectifs.
Nostalgique de l’Empire ottoman qui avait assujetti de nombreux territoires en Europe, en Afrique du Nord, au Proche et au Moyen-Orient dont la Syrie, le président turc Erdogan entend jouer les premiers rôles en Syrie, faisant valoir son rôle de parrain historique de l’opposition syrienne et de soutien du HTC qui a pris le pouvoir à Damas.
Autre défi du nouveau gouvernement syrien : l’éradication de l’EI qui occupe quelques poches au centre et à l’est du pays.
Autant de conditions propices à la fragmentation de la Syrie. Une situation qui n’est pas sans rappeler le chaos libyen. Il est cependant à craindre que les perspectives de la crise syrienne ne soient plus sombres. Contrairement à la Libye, la Syrie pourrait connaître, en plus des divisions politiques, des déchirements fondés sur les appartenances ethniques (les Kurdes au Nord, le long de la frontière avec la Turquie et à l’Est aux confins de l’Irak, d’autres minorités ethniques plus petites et les Arabes, de très loin majoritaires, dans le reste du pays) et confessionnelles (majorité sunnite versus minorités chiite, alaouite, druze et chrétienne).
A cela, il faut ajouter l’occupation de pans entiers de la Syrie par des puissances étrangères qui ne rêvent que d’une Syrie à genoux. Le destin du cœur de l’ancien Califat omeyyade est aujourd’hui essentiellement entre les mains de pays non arabes. Une situation humiliante pour un peuple syrien dont le nationalisme est chevillé au corps et qui fut longtemps l’un des porte-drapeaux du panarabisme. Situation humiliante également pour les nations arabes. Enfin, il est à noter l’effacement complet de l’influence française dans un pays qui fut sous mandat français de 1920 à son indépendance en 1946.
Abdourahamane Cheikh Ali
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