À Mayotte, silence, on tue Un silence vécu d’ailleurs par de nombreux Mahorais comme une forme de violence supplémentaire. MAYOTTE est en pr...
Un silence vécu d’ailleurs par de nombreux Mahorais comme une forme de violence supplémentaire.
MAYOTTE est en proie à une montée de la violence depuis quelques mois. Une insécurité qui semble surtout être le fait d’une délinquance juvénile aux méthodes proches de la “guérilla urbaine”. La société civile et notre communauté d’entrepreneurs s’organisent, mais nous sommes nombreux à craindre que la situation ne dégénère.
Nuit du 8 juillet 2020. À Trévani, commune de Koungou, une quarantaine de jeunes armés de “coupe-coupe” jette des pétards sur les cases en tôle et les voitures, provoquant un incendie ravageant tout le quartier.
Moins d’un mois plus tard, non loin de là, une vingtaine de jeunes attaque des plaisanciers qui profitent de la plage située devant un hôtel. Ces derniers se réfugient jusque dans l’établissement, poursuivis et détroussés par leurs assaillants. Le patron de l’hôtel s’insurge: “ce n’est plus possible! Est-on au Far West ou en France?”
Le 23 août, un homme d’une soixantaine d’années est attaqué à coups de machette dans l’enceinte même d’un autre établissement hôtelier, au sud de Grande Terre cette fois, l’île principale de Mayotte...
L'ile fait face à une situation inquiétante: une recrudescence des faits de violences et de délinquance commis par des jeunes, souvent déscolarisés et livrés à eux-mêmes. Partout, ils sèment la terreur. Dans les rues et jusqu’aux abords des collèges, n’hésitant pas à blesser et même à tuer. Rien ne semble pouvoir les arrêter.
Le week-end du 9 octobre a été une fois de plus marqué par des émeutes. Une nouvelle rixe entre bandes rivales devant le collège de Passamaïnty, entraînant au passage l’évacuation de l’établissement, s’est terminée par des affrontements sur une crête et de nombreux dégâts aux habitations. Plus choquant, à quelques kilomètres de là, un enfant de 8 ans est roué de coups et se fait attaquer au tournevis par un groupe de jeunes bandits, sous le regard sidéré des passants, en pleine rue et en plein jour. Son pronostic vital reste engagé. Les images diffusées sur les réseaux sociaux font froid dans le dos. La violence y apparaît sans limites.
Un contexte de “guerre civile”
L’insécurité et la délinquance sont plus élevées à Mayotte qu'en France. Le bilan 2019 dressé par le service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) l’atteste. Cela fait bien longtemps que Mayotte et officiellement ses 270.000 habitants, mais 400.000 à 450.000 officieusement, subissent très régulièrement les caillassages de pompiers et de policiers, incendies de maisons, agressions à la machette... Or, l’insécurité semble avoir franchi un cap ces derniers mois.
Suite aux dernières émeutes, de nombreuses voix s’élèvent pour demander aux Autorités d’intervenir au plus vite afin de renforcer les moyens de sécurisation sur ce territoire français. Les élus locaux prennent la parole pour condamner l’extrême violence à Mayotte, au bord de “la guerre civile”, selon la formule du député Mansour Kamardine.
Le monde éducatif s’exprime lui aussi. Ne s’estimant pas assez protégés, les citoyens ne tardent pas non plus à s’organiser. Dans plusieurs villages, plusieurs quartiers de l’île, de nombreux collectifs se créent dans le but d’apaiser, par la médiation, les tensions vivaces entre les bandes rivales.
Dans une île gangrénée par la violence et l’insécurité, le monde économique, qui peine déjà à se relever des conséquences de la crise sanitaire, subit lui aussi la situation de plein fouet.
Les professionnels de la restauration et de l’hôtellerie, bien sûr, sont directement touchés par des faits divers sordides; mais ils ne sont pas les seuls à monter au créneau.
Dans un courrier envoyé récemment au Préfet de Mayotte et relayé dans un média local, le syndicat des transitaires écrit ceci:
“Le 4 août nous vous alertions sur les agressions; caillassage et attaques de véhicules qui se produisent depuis le mois de juillet 2020 sur le trajet port de Longoni/Mamoudzou, le 7 septembre nous vous réécrivions pour vous signaler l’agression qu’un cadre de nos membres a subie sur ce trajet en rentrant chez lui” (...) “Vendredi (9 octobre), un véhicule de nos adhérents a été pris pour cible au niveau de Majicavo Lamir vers le rond-point du collège pourtant situé à proximité de la Gendarmerie.
Conséquences: un véhicule qui n’a plus le droit de circuler tant que le pare-brise endommagé n’est pas remplacé, sachant qu’il n’y en a pas de disponible sur l’île, il faudra a minima attendre trois semaines, des personnels choqués, des livraisons annulées, des heures perdues pour déposer plainte et faire la déclaration à l’assurance et obtenir un rendez-vous avec l’expert automobile”.
Mobilisation de la société civile et du monde économique
Dégradations, intrusions, vols, blocages: l’économie souffre. Salariés et clients doivent pouvoir circuler librement. Les employeurs que nous sommes, souhaitons simplement pouvoir exercer nos activités dans des conditions sereines et sécurisées.
Excédés de voir la situation se dégrader, nous avons décidé à la fin du mois d’août de créer un collectif d’acteurs du monde économique mahorais afin d’apporter notre pierre au travail de sécurisation de ce territoire qui nous tient à cœur.
Car si nos clients ne peuvent pas se déplacer dans nos commerces, dans nos hôtels et restaurants, parce qu’après 17 h ils ont peur de prendre la route, ou qu’à tel moment ils savent qu’il va y avoir des barrages, c’est toute la dynamique économique déjà affaiblie par l’épisode du Covid qui risque de sombrer.
Mayotte doit combler des retards et faire face à de nombreux enjeux. Comment expliquer que ceux-ci ne suscitent pas davantage d’actions et de réactions, notamment de la part des autorités françaises? Beaucoup dénoncent le silence assourdissant entourant la situation dramatique de Mayotte. Un silence vécu d’ailleurs par de nombreux Mahorais comme une forme de violence supplémentaire.
Invité de Mayotte la 1re au lendemain d’une émeute, lundi 12 octobre, le préfet Jean-François Colombet assure qu’il est dans l’action. “Le Gouvernement fait des efforts pour le 101e département, puisque 25 gardiens de la paix arriveront au 1er novembre et une vingtaine de plus fin janvier”, précisant qu’il s’agit d’effectifs supplémentaires et non de remplaçants de partants.
Revenant sur le profil très jeune de certains agresseurs, le préfet de Mayotte met en cause les parents, ou en absence de parents, les adultes qui les fréquentent et explique que les jeunes sont manipulés par des chefs de bandes voulant récupérer leur territoire.
Trouver des réponses aux problèmes
“La situation de Mayotte est extraordinairement préoccupante”, reconnaît Sébastien Lecornu, interpellé à l’Assemblée nationale. Le ministre français des outre-mer annonce qu’il se rendra dans le département “avant la fin de l’année”. Il ne serait pas le seul à vouloir s’y rendre: Eric Dupont Moretti, Garde des Sceaux, aurait lui aussi programmé de visiter le territoire d’ici la fin de l’année, selon cette fois un parlementaire mahorais.
La tension est à son comble et en l’absence de réponses pérennes et efficaces -ce qui est vécu par beaucoup comme un manque d’anticipation et de considération de la part des autorités- le risque est fort que le sentiment d’impunité puisse inciter demain les populations à se défendre par tous les moyens. Selon certains observateurs, cela a déjà commencé.
Aujourd’hui, Mayotte est assise sur un volcan qui peut à tout moment exploser, comme cela s’est déjà malheureusement produit par le passé.
En attendant l’arrivée de forces de l’ordre supplémentaires, la seule réponse immédiate a été apportée par le maire de Mamoudzou, en proposant l’organisation d’Assises de la Sécurité, les 9 et 10 novembre prochains.
Si la démarche est louable, l’inquiétude sur place est grande de voir la montagne accoucher d’une souris. Certaines critiques estimant que le travail à venir a déjà été au cœur du projet élaboré il y a deux ans dans le plan d’action de l’État pour l’avenir de Mayotte, suite au mouvement social d’ampleur ayant paralysé le territoire pendant plusieurs semaines.
Deux ans après, la situation ne s’est pas améliorée.
Marcel Rinaldy
Chef d'entreprise basé à Mayotte
©huffingtonpost.fr
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