Dans un contexte post-électoral encore tendu en Union des Comores, la liberté de la presse souffre. Dernier exemple en date : l’arrestatio...
Dans un contexte post-électoral encore tendu en Union des Comores, la liberté de la presse souffre. Dernier exemple en date : l’arrestation de l’auteur de ce reportage et du photographe qui l’accompagnait.
"Laissez-nous informer". En ce 3 mai, journée mondiale de la liberté́ de la presse, une vingtaine de journalistes comoriens défilent avec des slogans équivoques, dans les rues de Moroni, la capitale de ce petit pays insulaire situé à quelque 70 kilomètres du département français de Mayotte. "Non aux intimidations", peut-on lire sur leur banderole alors que le pays traverse une période sombre en matière de liberté d'information.
Pourquoi ce numéro a-t-il été censuré ? Quand Les Inrocks interviewent le ministre de l'Intérieur, Mohamed Daoudou, celui-ci jette sur la table ce numéro polémique que les Comoriens ne verront jamais : "Une atteinte à la sûreté de l'état", évoque-t-il en guise de justification. En Une : l'annonce de la création du CNT (Conseil National de Transition). Une instance regroupant plusieurs anciens candidats à l'élection présidentielle du 24 mars, ainsi que des opposants politiques. Pour les uns comme les autres, difficile de reconnaître la réélection du président Azali Assoumani, dont le scrutin a été sujet à de nombreuses réserves de la part d'instances internationales.
Depuis cette réélection polémique, l'opposition continue de dénoncer "un coup d'état électoral" et les membres du CNT sont pourchassés. Quant à la presse, difficile pour elle d'évoquer le mouvement à trois lettres sans s'attirer les foudres de du gouvernement. Et pour cause : selon le ministre de l'Intérieur, Le CNT est une "organisation illégale". "La liberté d’expression est préservée chez nous. Mais quand cette liberté est source de conflits ou d’instabilité, je dis non", justifie Mohamed Daoudou.
"Toufé n'a pas été torturé" dément le ministre de l'Intérieur. Sur son téléphone portable, il dégaine une vidéo amateur censée balayer les accusations de mauvais traitement subi par le journaliste. "Regardez, on lui propose même de la nourriture", plaide-t-il. A l'image, des officiers de la gendarmerie tendent un paquet de biscuits secs à un homme effondré, en pleurs. Des larmes, preuves d'un homme "qui reconnaît ses torts" pour le ministre. "Il a d'abord menti en évoquant un rendez-vous avec la brigade routière. Quand on lui a demandé ce qu'il faisait ici, il n'a même pas pu donner le nom de la personne avec laquelle il avait rendez-vous. Il a donc été interrogé", explique-t-il avant de conclure. "Nous ne pouvons pas laisser circuler de fausses informations. Et je dis ceci pour le bien de la presse".
"La différence entre La Gazette et Al-Watwan ? Ici nous sommes dans un journal public, le patron : c'est l'Etat". Passé par la gazette des Comores, Maoulida Mbaé a été nommé Directeur général de Al-Awtwan par décret présidentiel il y a neuf mois. Si le professionnel prétend donner la parole à "toutes les sensibilités politiques", il reconnaît effectuer "un contrôle" des publications. Les contenus sont largement orientés vers la parole gouvernementale, et certains journalistes reconnaissent en off des réécritures, voire carrément la suppression de certains paragraphes. Cerise sur le gâteau, ici aussi les professionnels sont exposés à des retards de salaire.
Après six heures d'attente dans une périmètre restreint du ministère, nous croisons par hasard le ministre de l'Intérieur, Mohamed Daoudou. "Tiens vous êtes revenus ?", s'étonne-t-il. "Oui, mais de force". Apparemment surpris de notre présence dans les locaux du ministère, l'homme nous place en résidence surveillée dans hôtel non loin de là. Nous sommes, dans un premier temps, prévenus de notre expulsion vers Paris. Mais nous serons finalement libérés au petit matin avec l'interdiction de nous rendre à Anjouan et l'obligation de référer de nos déplacements aux autorités. Notre matériel nous est remis, à l'exception de notre carte de presse comorienne. Nous sommes libres, mais dans l'incapacité de faire notre travail. Notre principale déception : l'interdiction d'aller travailler à Anjouan, île considérée comme "la plus rebelle de l'archipel".
Seul motif avancé par les forces de l'ordre pour justifier notre arrestation : "Vous n'aviez pas de billets pour quitter le territoire national". Bien que nous souhaitions, en effet, prendre sur place nos réservations de bateau pour Mayotte, cette explication nous surprend. Les autorités ayant été prévenues en amont de nos déplacements, pourquoi nous retenir tout ce temps tout en saisissant nos effets personnels et professionnels ? "Tout ça, c'est politique", nous glisse-t-on à voix basse du côté du ministère de l'Intérieur. Sans la mobilisation de Reporters Sans Frontière, largement relayée par la presse française, force est de constater que notre expulsion aurait été effective dès le lendemain.
Texte: Cyril Castelliti Photos: Louis Witter. ©lesinrocks.com
Pourquoi ce numéro a-t-il été censuré ? Quand Les Inrocks interviewent le ministre de l'Intérieur, Mohamed Daoudou, celui-ci jette sur la table ce numéro polémique que les Comoriens ne verront jamais : "Une atteinte à la sûreté de l'état", évoque-t-il en guise de justification. En Une : l'annonce de la création du CNT (Conseil National de Transition). Une instance regroupant plusieurs anciens candidats à l'élection présidentielle du 24 mars, ainsi que des opposants politiques. Pour les uns comme les autres, difficile de reconnaître la réélection du président Azali Assoumani, dont le scrutin a été sujet à de nombreuses réserves de la part d'instances internationales.
Depuis cette réélection polémique, l'opposition continue de dénoncer "un coup d'état électoral" et les membres du CNT sont pourchassés. Quant à la presse, difficile pour elle d'évoquer le mouvement à trois lettres sans s'attirer les foudres de du gouvernement. Et pour cause : selon le ministre de l'Intérieur, Le CNT est une "organisation illégale". "La liberté d’expression est préservée chez nous. Mais quand cette liberté est source de conflits ou d’instabilité, je dis non", justifie Mohamed Daoudou.
Dans son bureau, le ministre de l'intérieur Mohamed Daoudou assume sa ligne dure en matière de liberté́ d'informer. (Photo: Louis Witter) |
Journaliste en exil
Autre rédaction, autre tirage censuré. Cette fois à Masiwa, un journal aujourd'hui amputé de l'une de ses plumes, exilée à l'étranger, Toufé Maecha. "Alors qu'il se rendait à la gendarmerie le samedi 30 mars pour récupérer des informations, les forces de l’ordre l’ont retenu en garde à vue en l’accusant d’espionnage. Il s’est fait secouer et humilier à tel point qu’il est ressorti en pleurant", explique aux Inrocks le directeur de publication du quotidien, Idjabou Mboreha Bakari. En solidarité, deux autres quotidiens, dont La Gazette, réalisent une Une commune. Peu après son impression, le ministère de l'Intérieur intervient pour en empêcher sa diffusion. En première page, un titre choc : "Le journaliste Toufé torturé à la gendarmerie". "Quand on est secoué physiquement, harcelé moralement et menacé, on peut bel et bien parler de torture", justifie le directeur de publication de Masiwa."Toufé n'a pas été torturé" dément le ministre de l'Intérieur. Sur son téléphone portable, il dégaine une vidéo amateur censée balayer les accusations de mauvais traitement subi par le journaliste. "Regardez, on lui propose même de la nourriture", plaide-t-il. A l'image, des officiers de la gendarmerie tendent un paquet de biscuits secs à un homme effondré, en pleurs. Des larmes, preuves d'un homme "qui reconnaît ses torts" pour le ministre. "Il a d'abord menti en évoquant un rendez-vous avec la brigade routière. Quand on lui a demandé ce qu'il faisait ici, il n'a même pas pu donner le nom de la personne avec laquelle il avait rendez-vous. Il a donc été interrogé", explique-t-il avant de conclure. "Nous ne pouvons pas laisser circuler de fausses informations. Et je dis ceci pour le bien de la presse".
Un secteur particulièrement précaire
Dans un pays classé au 23ème rang des nations les plus pauvres au monde, travailler dans la presse ne permet guère de sortir de la galère. "Aucun journal n'est viable économiquement. Faire ce métier relève de l'engagement citoyen plutôt que d'une démarche entrepreneuriale", martèle le directeur de publiation de Masiwa, qui reconnaît parfois des retards dans le versement des salaires de ses journalistes. Seul média relativement épargné par cette précarité financière : Al-Watwan, quotidien public subventionné par l'état. Un journal régulièrement attaqué sur les réseaux sociaux comme sur le terrain pour sa ligne plus que favorable au gouvernement."La différence entre La Gazette et Al-Watwan ? Ici nous sommes dans un journal public, le patron : c'est l'Etat". Passé par la gazette des Comores, Maoulida Mbaé a été nommé Directeur général de Al-Awtwan par décret présidentiel il y a neuf mois. Si le professionnel prétend donner la parole à "toutes les sensibilités politiques", il reconnaît effectuer "un contrôle" des publications. Les contenus sont largement orientés vers la parole gouvernementale, et certains journalistes reconnaissent en off des réécritures, voire carrément la suppression de certains paragraphes. Cerise sur le gâteau, ici aussi les professionnels sont exposés à des retards de salaire.
"La différence entre 'La Gazette' et 'Al-Watwan' ? Ici nous sommes dans un journal public, le patron : c'est l'Etat" dit Maoulida Mbaé, directeur de publication d'Al-Watwan. (Photo: Louis Witter) |
Les Français libres, les Comoriens en prison
Preuve de plus, s'il en fallait, de la difficulté de la presse : l’auteur de ces lignes, ainsi que le photographe qui l'accompagnait, ont été arrêtés par la police comorienne au cours de ce reportage, retenus six heures durant puis placés en résidence surveillée et menacés d'expulsion. Le 20 avril dernier, forts des nombreux témoignages récoltés sur la situation critique de la presse aux Comores, nous souhaitions nous envoler depuis Mohéli vers d'autres reportages sur l'île d'Anjouan. Il n'en sera rien. En escale à la capitale Moroni, des agents de la PAF nous escortent vers le ministère de l'Intérieur où nous serons interrogés et retenus. Nos passeports, téléphones, appareils photo et cartes de presse comoriennes sont confisqués pendant que la police nous questionne sur nos activités dans l'archipel.Après six heures d'attente dans une périmètre restreint du ministère, nous croisons par hasard le ministre de l'Intérieur, Mohamed Daoudou. "Tiens vous êtes revenus ?", s'étonne-t-il. "Oui, mais de force". Apparemment surpris de notre présence dans les locaux du ministère, l'homme nous place en résidence surveillée dans hôtel non loin de là. Nous sommes, dans un premier temps, prévenus de notre expulsion vers Paris. Mais nous serons finalement libérés au petit matin avec l'interdiction de nous rendre à Anjouan et l'obligation de référer de nos déplacements aux autorités. Notre matériel nous est remis, à l'exception de notre carte de presse comorienne. Nous sommes libres, mais dans l'incapacité de faire notre travail. Notre principale déception : l'interdiction d'aller travailler à Anjouan, île considérée comme "la plus rebelle de l'archipel".
Seul motif avancé par les forces de l'ordre pour justifier notre arrestation : "Vous n'aviez pas de billets pour quitter le territoire national". Bien que nous souhaitions, en effet, prendre sur place nos réservations de bateau pour Mayotte, cette explication nous surprend. Les autorités ayant été prévenues en amont de nos déplacements, pourquoi nous retenir tout ce temps tout en saisissant nos effets personnels et professionnels ? "Tout ça, c'est politique", nous glisse-t-on à voix basse du côté du ministère de l'Intérieur. Sans la mobilisation de Reporters Sans Frontière, largement relayée par la presse française, force est de constater que notre expulsion aurait été effective dès le lendemain.
A la fois scandalisés par notre arrestation mais heureux de notre libération, nombreux sont les Comoriens et Comoriennes à nous avoir témoigné leur soutien. Pour autant, certains n'ont pas manqué de rappeler une cruelle réalité. Si nous avons été vite libérés, les journalistes de radio Abdallah Abdou Hassani et Mchangama Oubeid Athoumane sont, quant à eux, toujours en prison. Dans ces îles tant isolées géographiquement que médiatiquement, force est de constater que la mobilisation n'est pas la même pour tous les reporters. Un constat amer pour les citoyens, qui éloigne un peu plus leur rêve d'une presse libre, indépendante et viable dans leur pays.🚩Alertes #Comores @RSF_inter demande la libération immédiate de deux journalistes français arrêtés depuis ce midi dans l'archipel. @LouisWitter @13kapsy n'y font que leur travail. Cette multiplication des intimidations contre la presse doit prendre fin! #ProtectJournalists pic.twitter.com/rXPQhZQrsc— RSF Africa (@RSF_Africa) 20 avril 2019
Texte: Cyril Castelliti Photos: Louis Witter. ©lesinrocks.com
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