Depuis 2011, Lydia est prof d’anglais au collège Ouvoimoja (« Ensemble » en shimahorais) de Passamainty à Mayotte. Auparavant, elle était ...
Lydia Barneoud, prof d’anglais en collège à Mayotte, s’énerve contre les conditions dans lesquelles elle exerce son métier dans le département le plus pauvre de France, dans l'archipel des Comores près de Madagascar.
Ces derniers mois, Mayotte connaît un mouvement social sans précédent dont le principal mot d’ordre est la lutte contre l’insécurité et l’immigration clandestine de masse. L’immigration est jugée responsable de l’insécurité alors que toutes les deux sont les conséquences de la misère qui sévit dans la région ! La grève générale et les barrages routiers ont paralysé l’île pendant des semaines. Alors que nous assistons à la destruction massive d’habitats clandestins, aucune décision n’a été prise pour lutter contre cette misère.
COMMENT ÉTUDIER QUAND ON A FAIM, QU’ON CRÈVE DE CHAUD ET QU’ON A PEUR DE DORMIR DANS LA RUE ?
Les collèges de Mayotte sont les plus grands de France et d’Europe. Celui dans lequel je bosse depuis sept ans accueille 1 800 élèves alors qu’il est prévu pour 900. La moitié d’entre eux sont issus de l’immigration clandestine. Dans les salles de classe, il fait jusqu’à 33 °C. Il n’y a pas de cantine scolaire, la plupart des élèves sont sous-nourris. Devant le collège, des terrains sont occupés clandestinement. Ceux qui y vivent n’ont souvent ni papiers ni baux, même si certains paient un loyer. Ce matin, des tractopelles ont voulu raser les habitations – ou plutôt les tôles posées à même le sol – de 35 familles. Cela concerne environ 60 mineurs scolarisés au collège. Nous avons repoussé les engins grâce à l’intervention de la Croix-Rouge notamment. Mais pour combien de temps ? Pas facile d’enseigner en se demandant si au retour de l’école nos élèves retrouveront leur foyer. Et surtout, comment étudier quand on a faim, qu’on crève de chaud et qu’on a peur de dormir dans la rue ?
LES RÉALITÉS LOCALES DE MAYOTTE SONT IGNORÉES PAR DES TECHNOCRATES ENFERMÉS DANS LEURS BUREAUX CLIMATISÉS.
Etre prof à Mayotte, c’est génial et frustrant. On aurait de bien meilleurs résultats si la langue et la culture de l’île étaient valorisées, si les profs étaient mieux formés et si on reconnaissait que tous les élèves sont allophones (le français n’est pas leur langue maternelle). Malgré le turn-over et près de 60 % d’enseignants contractuels, les plus impliqués cherchent à développer des réseaux de proximité avec di fférents acteurs (éducation populaire, santé, police, justice…). Ensemble, nous imaginons des solutions durables et les remontons à nos supérieurs, dans mon cas au vice-rectorat. Malheureusement, rien n’arrive jamais jusqu’au ministère. Les réalités locales de Mayotte sont ignorées par des technocrates enfermés dans leurs bureaux climatisés.
LES ENSEIGNANTS ET LES ASSOCIATIONS NE PEUVENT PAS ÉTERNELLEMENT SE SUBSTITUER À L’ETAT.
Il devient urgent de trouver des solutions humanitaires et solidaires. Sur le plan des droits de l’homme et de l’enfant, la situation atteint ses limites. Les enseignants et les associations ne peuvent pas éternellement se substituer à l’Etat, qui doit traiter son plus jeune département avec plus d’égards : 80 % de la population a moins de 20 ans. Il nous faut de vrais moyens pour que l’école de la République remplisse sa mission inclusive et que nos élèves aient accès aux savoirs fondamentaux. Cela leur permettra de se forger une pensée critique et ils pourront ainsi trouver en eux la volonté de construire le monde meilleur dont ils rêvent.
Par Armelle Camelin
Article publié dans le magazine NEON
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