Dini NASSUR
Mnamadi s’installe confortablement dans sa notoriété hors pair d’hâbleur incontesté. Il s’étonne que personne ne vienne l’interpeller pour avoir jeté beaucoup de poudres aux yeux de ses laudateurs. Il s’ennuie car il puise son imagination dans le plaisir de se montrer plus que rusé. Le dernier coup pour se faire admirer est passé inaperçu, tellement les gens s’habituent à ses galéjades. Il a tellement investi d’imagination qu’il ne comprend pas pourquoi sa dernière trouvaille ne soulève aucun commentaire. Il réunit ses courtisans autour d’un plan de riz bien garni pour échanger sur cet insolite silence qui pèse sur la communauté. Les invités n’ont d’yeux que sur le menu d’accompagnement dont la composition des ingrédients est plus qu’alléchante : de la viande caprine cuite à l’eau de vapeur et de sel connu sous le nom de ntibe.
De feuilles de manioc broyées et cuites dans de lait de coco avec du thon, du piment, de l’oignon et du sel. De la papaye en tranches fines sucrées et au lait de coco. Du lait caillé et du sirop de canne, le tout étalé sur un tapis oū sont posées des noix de coco épluchées et prêtes à la boisson. Mnamadi invite ses convives à s’assoir au tour du régal et engage la conversation. Contrairement à l’usage de parler et de faire honneur au repas en même temps, Mnamadi exige qu’on discute d’abord et qu’on mange après. Étonnés, les invités obtempèrent sans pour autant être d’accord. Les oreilles semblent ouvertes pour écouter Mnamadi mais les yeux sont rivés vers les plats appétissants
Ceux qui connaissent Mnamadi savent que s’il veut faire durer le plaisir du repas, ce n’est pas dans le but d’acérer l’appétit, loin de là. C’est encore un coup de ruse pour que l’attention sur ses dires ne soit soutenue pour fait de gourmandise à satisfaire.
- Vous vous demandez pourquoi mes contradicteurs ne manifestent rien qui puisse m’interpeler ? Eh bien, sachez que j’ai réussi aisément à les berner en les invitant de temps en temps, tantôt pour faire semblant de les écouter, tantôt en leur miroitant par des projets que je ne crois pas pouvoir réaliser. L’essentiel pour moi, c’est qu’ils reconnaissent que je suis le chef et qu’ils me doivent respect et obédience.
- Mais seigneur, on croyait que votre but et de servir la communauté et de la sortir de la misère. Osa faire remarquer un courtisan bien averti.
- Incrédule. La misère, c’est dieu qui l’a créée et c’est à lui de la faire disparaitre quand il le voudra. La communauté m’a désigné chef pour jouir de cet honorable titre et je laisse à dieu le privilège de régir le destin. Quelqu’un d’autre a une remarque à faire
- Oui, moi. Tu me connais très bien que si je conviens de devenir courtisan, c’est pour t’aider à entrer dans l’histoire de la communauté non pas en tant que jouisseur mais plutôt besogneux et généreux. Ce que tu viens de dire est sidérant.
A ces paroles inappropriées à de telles circonstances, Mnamadi lance un regard haineux à son courtisan effarouché. Il se lève, fait quelques pas et demande à un de ses serviteurs de lui donner son plat préféré pour qu’il puisse se calmer de cet affront malvenu.
Il s’assoit dans son fauteuil. Le serviteur apporte un trépied sculpté sur lequel est posé respectueusement un plat chaud de papaye assaisonnée dont le parfum parvient jusqu’aux narines de ses invités. Ceux-ci ont cru comprendre que Mnamadi invite en même temps tout le monde à table. Rien n’y est. Il prend les tranches fines du fruit sucré et assaisonné. Il penche la tête en arrière pour que tout le monde le regarde. Il avale à grandes gorgées la chaire de son fruit de prestige. Il regarde intentionnellement ses invités qui suivaient des yeux les bouchées gourmandes du petit seigneur qui finit par tout avaler sans pour autant demander aux autres de partager le repas.
Aussitôt fini de déguster sa ripaille, Mnamadi reprend son audition en gloussant pour faire comprendre aux autres qu’il vient d’assouvir sa faim d'être envié. A l’étonnement général, il appelle ses serviteurs à débarrasser le tapis en emportant tous les plats exposés.
Il s’adresse cette fois-ci à ses serviteurs.
- Vous qui êtes les seuls à exécuter mes ordres sans rechigner, je vous apprends que mes invités n’ont plus besoin de se nourrir de ce délectable repas pour cause de solidarité avec les misérables. Ils viennent de me dire qu’ils préfèrent ne pas jouir des délices du pouvoir alors que ce repas fait partie des frais de bouche qui me reviennent de droit. Pour l’intérêt général, je les remercie de cette marque générosité.
- Cette fois-ci, se sont ses propres courtisans qui crient haut et fort :
- Ye mfa Mnamadi tsi ya riwuwa
- Hariwuwa sontsi bo nanyawe.