La France a failli refuser de l’accueillir pour la promotion de son premier livre. C’eût été dommage ! Avec Anguille sous roche, le Comorien...
La France a failli refuser de l’accueillir pour la promotion de son premier livre. C’eût été dommage ! Avec Anguille sous roche, le Comorien Ali Zamir est l’un des auteurs en vue de l’année.
En 2011, Ali Zamir est rentré au bercail et s’est mis à la recherche d’un éditeur. Cinq longues années ont passé avant qu’il trouve preneur. « En lisant les premières pages, j’ai douté de l’identité d’Ali, confesse aujourd’hui Frédéric Martin. C’était une écriture tellement incroyable pour un garçon de 23 ans. Il fallait le publier ! »
Cette publication sonne la fin du chemin de croix de ce jeune Comorien. Car, aux Comores, Ali Zamir évoluait jusque-là dans le monde politique. Fort de ses diplômes obtenus en Égypte, il a été dans un premier temps délégué municipal chargé du tourisme et de la police de Mutsamudu, avant d’obtenir le poste de directeur de la culture et des affaires associatives de l’île autonome d’Anjouan.
Il a le regard de l’écrivain perdu dans ses pensées, une tendance au silence quand il s’agit de s’épancher. C’est dans une cour qui jouxte sa maison d’édition, Le Tripode, qu’Ali Zamir reçoit.
« C’est une écriture tellement incroyable pour un garçon si jeune qu’il fallait le publier ! » confie son éditeur. © Bruno Levy pour ja |
L’écrivain a la démarche hésitante, la mine presque renfrognée, même s’il porte beau, chemise rayée rentrée dans un pantalon au gris élégant. Sous le masque, une réelle timidité. « Depuis tout petit, j’ai toujours eu beaucoup de difficultés à m’exprimer, reconnaît-il. C’est l’écriture qui me permet de me délivrer. »
Accès refusé
Fin août 2016, Ali Zamir, 27 ans, a été au centre d’une brûlante polémique. Alors qu’il était invité en France par son éditeur, les autorités françaises ont dans un premier temps refusé de lui délivrer un visa, avant de finalement céder sous la pression des réseaux sociaux. C’est donc le 5 septembre que l’auteur a pu poser le pied sur le sol français pour accompagner la promotion de son premier livre,Anguille sous roche.
Depuis, ce natif des Comores se livre à un véritable marathon médiatique, enchaînant interviews, salons, rencontres. Peu habitué à ce genre d’exercice, il admet qu’il a au début connu quelques frissons.
« Je me suis peu à peu habitué à me présenter, même si ça fait tout drôle la première fois de rencontrer des lecteurs spécialement venus pour vous. C’est une grande nouveauté pour moi. »
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Histoires d’enfance
Hugo, Sagan… Issu d’un milieu social modeste, marqué par la séparation de ses parents alors qu’il était tout petit, Ali Zamir s’est forgé une passion pour la littérature dès l’enfance. « Aux Comores, il est dans notre tradition de raconter des histoires aux petits, affirme-t‑il. J’ai fait mes premières armes en écrivant des contes pour enfants. J’adorais ça. »
Mais Ali Zamir trouve aussi son inspiration dans la lecture des grandes œuvres littéraires. Très jeune, il dévore Victor Hugo, Françoise Sagan, Gustave Flaubert. D’ailleurs, dès son arrivée à Paris, ses pas ont été guidés par ses références littéraires. « J’ai visité en premier Notre-Dame de Paris, qui m’a rappelé le livre de Victor Hugo, ou le pont Mirabeau, pour le poème de Guillaume Apollinaire. »
Un franc succès
Pour le reste, son programme touristique est surtout rythmé par un agenda professionnel bien rempli. « Soixante dates en deux mois, souffle Frédéric Martin, son éditeur. Cela fait désormais un moment que je travaille dans l’édition, mais il est très rare qu’un auteur soit autant convoité pour un premier roman. »
Ali Zamir croule déjà sous les critiques dithyrambiques, et Anguille sous roche est sélectionné cette année pour plusieurs prix (prix de littérature francophone Senghor 2016, prix Stanislas du premier roman, prix Hors Concours 2016…). Mais le jeune homme ne semble pas déstabilisé : « Collectionner les prix ne m’intéresse pas, jure-t‑il. Je réalise ce dont j’ai rêvé par-dessus tout : écrire. »
Quand il s’agit de parler de son livre, Ali Zamir regarde au loin, comme s’il cherchait ailleurs sa réponse, comme incapable d’expliquer comment il a accouché de cette histoire – magnifiquement racontée.
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De l’ydille au cauchemard
Anguille, jeune lycéenne de 17 ans, est sur le point d’être emportée par les vagues de l’océan, et la proximité de la mort l’incite à convoquer tous les souvenirs qui font sa vie. Ainsi apprend-on qu’elle a vécu paisiblement avec sa sœur jumelle, Crotale, et son père, Connaît-Tout, jusqu’au basculement tragique : une rencontre amoureuse avec un personnage très justement nommé Vorace. L’idylle passionnelle du début cédera la place à un cauchemar sentimental qui détruira l’adolescente.
Dans cette histoire, les noms des personnages intriguent, chacun pouvant inspirer au lecteur une interprétation toute personnelle de la vie d’Ali. Essaie-t‑il de nous dévoiler les tourments de son enfance ?
« Le livre n’est qu’une fiction, corrige-t‑il. Cela n’a rien à voir avec ce que je suis ou avec ce que j’ai vécu. J’ai utilisé ces noms pour éviter de viser qui que ce soit. Chez moi, il y a encore de nombreux tabous… » Chez lui, c’est à Mutsamudu, sur l’île d’Anjouan, aux Comores. Et c’est là que se déroule son histoire.
Une ville de 30 000 habitants qu’Ali Zamir n’a quittée que pour cinq ans, quand il est parti en Égypte étudier les lettres françaises modernes. C’est d’ailleurs au Caire qu’il commencera à écrire des nouvelles dans le cadre de son cursus.
Fruit de l’éloignement
Commencé en 2010, Anguille sous roche viendra plus tard, à la fin de ses études. Détail anodin ou non, c’est loin de ses racines que l’auteur trouve son inspiration, quand, à plusieurs milliers de kilomètres de son ancien quotidien, les images se brouillent et ne sont plus que souvenirs.
Mélancoliques et saisissantes, les images de l’héroïne, Anguille, défilent et se tamponnent tout au long d’un récit de 300 pages sans autre ponctuation que des virgules et un point d’exclamation final.
Une manière, pour l’auteur, de donner de la force au récit. « Ce style, c’est le moyen de réussir à dire en un seul trait tout ce que je pensais. C’était aussi le moyen de m’évader, de me libérer, d’être loin de ce monde, de procurer des sensations profondes et de décrire un monde inaccessible. »
Passé politique
En 2011, Ali Zamir est rentré au bercail et s’est mis à la recherche d’un éditeur. Cinq longues années ont passé avant qu’il trouve preneur. « En lisant les premières pages, j’ai douté de l’identité d’Ali, confesse aujourd’hui Frédéric Martin. C’était une écriture tellement incroyable pour un garçon de 23 ans. Il fallait le publier ! »
Parler de politique, ce n’est pas vraiment le job auquel j’aspire
Cette publication sonne la fin du chemin de croix de ce jeune Comorien. Car, aux Comores, Ali Zamir évoluait jusque-là dans le monde politique. Fort de ses diplômes obtenus en Égypte, il a été dans un premier temps délégué municipal chargé du tourisme et de la police de Mutsamudu, avant d’obtenir le poste de directeur de la culture et des affaires associatives de l’île autonome d’Anjouan.
Mais cette vie publique l’oppressait.
« Parler de politique, ce n’est pas vraiment le job auquel j’aspire, dit-il. D’autant plus qu’il est dangereux d’avoir une opinion dans mon pays. Dès lors que tu travailles avec le gouvernement, tu dois t’exécuter et ne surtout pas penser. Exactement le contraire de ce que je souhaite. »
« Parler de politique, ce n’est pas vraiment le job auquel j’aspire, dit-il. D’autant plus qu’il est dangereux d’avoir une opinion dans mon pays. Dès lors que tu travailles avec le gouvernement, tu dois t’exécuter et ne surtout pas penser. Exactement le contraire de ce que je souhaite. »
Fier de son premier livre, Ali Zamir ne compte pas s’arrêter en si bon chemin.Anguille sous roche a ouvert la voie à la galaxie littéraire, ce dont il a toujours rêvé. « Il me reste un long chemin à parcourir, je me considère encore comme un débutant, dit-il. J’ai encore une tâche à accomplir : démontrer que je suis un véritable écrivain. »
[…] je revois tout maintenant, mais pas avec les yeux je le dis bien, comment alors, je n’en ai la moindre idée, mais comme j’ai appris à dire comme ça dans ce théâtre qu’on appelle monde je fais alors le perroquet, je vois des images qui circulent dans ma tête, l’une après l’autre, des images tumultueuses qui s’affolent, se bousculent et se tamponnent, je ne sais pas laquelle choisir parmi une nuée de fantômes chimériques et envahissants, je vois d’abord ma ville, Mutsamudu, avec son cœur, la médina qui était aussi un antre tutélaire pour moi, me voici plus vulnérable que le talon de ce soi-disant héros qu’on appelait Achille, me voici qui vivote dans ce mouroir parce que j’ai été contrainte à quitter mon antre, je n’avais gardé jusque-là que son âme, le silence, me voici en train de le briser lui aussi avec perte et fracas, avez-vous déjà vu une anguille briser son silence, eh bien, je le fais parce que je ne suis rien maintenant, quand on perd son antre on perd aussi son silence, donc sa vraie vie, avec tous ses secrets, cela est une évidence criante, je n’ai pas à vous faire une leçon de morale là-dessus, me voici devenue une minable apatride pour avoir été un sordide foutriquet, laissez-moi donc me déboutonner jusqu’au vertige du sommeil éternel […]
Simon Henry - Jeuneafrique.com
Publié le 06 octobre 2016Simon Henry - Jeuneafrique.com