La corruption serait-elle finalement un mal nécessaire ?
Le contexte
La corruption, la mauvaise gouvernance et l’absence de démocratie sont pointés du doigt par les pays occidentaux, les organisations internationales et les ONG, comme constituant les principaux obstacles et freins au décollage des pays les moins avancé et/ou en développement, notamment en Afrique, en Asie du Sud Est et en Amérique Latine.
Des efforts de campagnes politiques, de dialogue, de sensibilisation et parfois de pressions liées à l’octroi de l’aide internationale, bilatérale comme multilatérales, sont déployés depuis la fin de la guerre froide et la chute du mur de Berlin pour imposer la pensée selon laquelle la corruption, la mauvaise gouvernance et l’absence de démocratie constituent les bastions du sous-développement et les piliers sur lesquels repose la pauvreté croissante dans les pays concernés.
Une étude conduite par un groupe de cinq programmes de recherche africains et occidentaux (Africa Power and Politics Programme, Developmental Leadership Programme, Elites, Production and Poverty: A Comparative Analysis, Political Economy of Agricultural Policy in Africa et Tracking Development), verse en 2013 le feu sur l’érection de la corruption, la mauvaise gouvernance et l’absence de démocratie en bouc-émissaire et excuse toute trouvée pour expliquer et justifier les divergences de progrès et de développement entre les « pays du sud » et les « pays du nord ».
La transformation économique comme préalable à la démocratie et à la bonne gouvernance
Pour les chercheurs concernés, la question du sous-développement, notamment de l’Afrique, se pose plus en des termes plus complexes et compliqués, en rapport avec la transformation économique et l’incitation de la part des classes dirigeantes à créer les conditions favorables à la transition des économies africaines d’un modèle se basant sur la recherche et création de rente, vers un modèle s’appuyant sur la création et le partage des richesses.
Les questions de recherche ont porté sur plusieurs dimensions concernant la ou les raisons pour lesquelles l’Afrique Sub Saharienne s’est développée plus lentement que l’Asie du Sud Est (Tracking Development), comment l’émergence des politiques démocratiques affectent le développement de l’Afrique (Political Economy of Agricultural Policy in Africa), ce qui motivent les élites à soutenir les secteurs productifs à travers des politiques gouvernementales bien mises en œuvre (Elites, Production and Poverty: A Comparative Analysis), le rôle du leadership gouvernemental et des coalitions dans le développement (Developmental Leadership Programme), et les genres d’institutions et les manières d’exercer le pouvoir qui œuvre pour le développement en Afrique (Africa Power and Politics Programme).
Les auteurs concluent à travers leurs recherches convergées que la transformation économique de l’Afrique est le moyen le plus important pour soutenir la croissance inclusive, faire face à la croissance démographique et à l’urbanisation, améliorer la compétitivité internationale, et créer les conditions pour une meilleure gouvernance. L’’étude conteste le principe d’adhésion et de réplication des meilleures pratiques, et parle à la place de pratique appropriée épousant le contexte concerné.
L’Afrique a peiné et peine encore à œuvrer à sa transformation économique
Pour les cinq programmes de recherche, le succès du développement se joue sur la relation créée entre le parti au pouvoir, les acteurs privé (sociétés privées et société civile) et la machine bureaucratique étatique. Les faits étudiés montrent que la démocratie n’est d’aucun soutien à la transformation économique. Ses effets seraient même le contraire en aggravant le clientélisme pour accroître la base électorale et en empêchant la continuité des politiques gouvernementales.
Les cas des pays asiatiques illustrent l’impact des transformations économiques acquises par des régimes hautement centralisés et peu contestés dans la durée comme les régimes de Singapour, Taiwan, Chine, Macao, ou le multipartisme est réprimé en faveur de la transformation économique, du progrès économique et du changement social.
L’expérience africaine suggère au contraire que la démocratie a pesé comme un frein majeur au développement du continent qui a passé les 40 et 50 dernières années à régler des problèmes dits de bonne gouvernance, au détriment de la création des conditions devant conduire vers la bonne gouvernance, notamment l’éducation de la population, le développement des zones rurales, l’autonomisation financières de la population, etc.
Les récentes expériences d’inversion de la donne politique en faveur de la donne relative à la transformation économique préalable au Rwanda et en Ethiopie, deux pays contestés du point de vue des droits de l’homme et des libertés politiques, donne à penser que la trajectoire jadis suivi par les pays asiatiques envers et contre le Consensus de Washington, est le modèle le plus prometteur pour le développement de l’Afrique.
Le développement relève des élites dirigeantes et de leur intéressement financier
Les résultats des recherches menées par les cinq programmes n’ont réussi à empiriquement établir un lien de causalité quelconque entre la corruption, la mauvaise gouvernance et le sous-développement, et la démocratie, la bonne gouvernance et le développement, dans l’ensemble des pays étudiés (17 pays africains, Egypte, Jordanie, Yémen, Inde, Indonésie, Chine, Bangladesh, Cambodge, Malaisie, et Vietnam).
En revanche, les recherches ont établi une forte relation entre la volonté des gouvernants à conquérir et à y rester, la création de liens rapprochés entre les gouvernants et le secteur privé, les investissements dans les infrastructures publiques, et le développement, et enfin le progrès social et la démocratie.
Contre toute attente hégémonique, les conclusions des chercheurs aboutissent à l’entendement empirique que le développement et le progrès social précédent la démocratie et la bonne gouvernance, et non l’opposé. L’Afrique aurait ainsi mis la charrue avant les bœufs pendant les 40 et 50 dernières avec le soutien et l’insistance de l’Ouest, au même moment que les pays asiatiques auraient suivi le chemin inverse et donc enregistré les résultats contraires observés à Singapour, à Taiwan, en Malaisie, en Indonésie, en Thaïlande, en Chine, etc.
Pour développer leurs économies et leurs pays, les résultats de la recherche ont montré qu’il a fallu à la base aux élites dirigeantes d’avoir des incitations et des encouragements à le faire pour soit continuer à rester au pouvoir, soit pour asseoir leurs dominations économiques et financières ou soit pour se créer encore plus d’opportunités, ou soit pour l’ensemble de toutes ces raisons.
Motiver et intéresser les élites dirigeantes
La lutte contre la corruption, telle qu’imposée par les bailleurs de fonds, produit les résultats contraires, en réduisant l’incitation et encouragement des élites à investir massivement et ostentatoirement dans les infrastructures publiques et productives dont le secteur privé aurait besoin. Sans un gouvernement centralisé et intéressé financièrement, le déclic et la volonté de développer le pays demeure réduit et incertain.
La corruption serait donc selon les résultats de la recherche le principal moteur décisionnel de la part des élites dirigeantes à investir dans les infrastructures sociales, éducatives et productives, de grande nature et utile pour le pays. Cette motivation est la même dans tous les pays étudiés sauf que la finalité peut avoir été différente entre une volonté prédatrice et extractive, et une volonté d’enrichissement à long terme et de maintien au pouvoir. La corruption a été dévastatrice en Afrique car prédatrice et extractive. Elle a par le temps asséché l’économie au lieu de la développer, et piller le pays au lieu de l’enrichir et de l’engraisser. Au contraire, elle a été une source de sursaut en Asie où elle s’est nourrie et entretenue du développement des pays concernés comme la Chine, Singapour, Taiwan, etc., où par le truchement du développement, elle s’est retrouvée autoréguler pour éviter l’effondrement du système et la mort non souhaité de la vache à lait.
Les résultats de la recherche ne préconisent loin de là l’érection de la corruption en gouvernance. Ils donnent simplement à laisser penser que la corruption est dans la nature politique et humaine comme le cholestérol dont une catégorie est bénéfique et l’autre nocif au bon fonctionnement du corps humain. La transformation économique est le seul catalyseur de progrès, de changement et de développement, car la seule résultante pour à la fin créer les conditions de la bonne gouvernance, c’est-à-dire la création d’une classe moyenne massive, dominante, éduquée, exigeante et porteuse de changement, de transparence, d’équité, de démocratie et de bonne gouvernance.
Si on ne peut imposer de moralité aux élites dirigeantes à gérer la chose publique en toute moralité et désintérêt, conformément à ce que le coran al Karim enseigne aux pieux et religieux, on peut au moins prier et quémander à ce que les élites concernées œuvrent pour leur bien privé et financier en tournant le dos à la corruption prédatrice et extractive, qui diminue le long de l’exercice du pouvoir les richesses à capter, et optent à la place un modèle de profit grandissant s’appuyant sur le financement des grands travaux, des infrastructures publiques et productives, et de création de richesse croissante pour la population et pour les dirigeants.
Si la corruption devait au final être un mal nécessaire, le souhait serait à ce que les élites dirigeantes contribuent à travers elle, comme ce fut le cas en Asie et continue à toujours être le cas, à l’essor des infrastructures nationales et des politiques de croissance dont le pays a besoin pour assurer le fleurissement du secteur privé, la création d’emploi, l’amélioration des conditions de vies de la population, et à augmenter l’assiette économique à partir de laquelle chacun pourra tirer ses propres profits, sur la base évidente des opportunités communément créées et des initiatives individuelles facilitées par les mêmes dirigeants pour prospérer et garder notoirement leurs privilèges, celui d’être élu, et l’exercice du pouvoir, celui de décider le bien commun.
Par Abdoul Anziz Said Attoumane