Dr Bajrafil : Les livres de l’enfance. Pour les Comoriens qui se rappellent l’exégèse du Coran du mufti Saïd Muhammad Abdurrahmān, sur les ondes de Ra
Les livres de l’enfance
Il y a un peu plus de deux semaines, rendant visite, comme tous les matins, quand je suis aux Comores, à Papa, je vois un livre et, comme une proie subjuguée par son prédateur, je fais une fixation sur lui. Je dis: Papa, puis-je toucher ce livre?
Naturellement, me dit-il. Je m’en approche et constate qu’il s’agit de Madārij l-‘ulā. L’ayant déjà à plusieurs reprises abordé avec lui dans mon enfance, sans pour autant le lire entièrement auprès de lui, certains des commentaires de Papa, d’antan, me reviennent à l’esprit. Je me suis, par exemple, rappelé qu’il s’agissait d’une des œuvres du maître de son maître, le mufti Saïd Muhammad Abdurrahmān.
Il s’appelait Cheikh Hassan Ibn ´Amīr al-Shīrāzī et enseigna, pendant près de trois ans, les sciences du Coran et de l’exégèse au jeune Saïd Muhammad Abdurrahmān, à Zanzibar. Je prends le livre et me mets à le feuilleter.
Et d’un coup, je vois Papa retrouver toute sa forme et se mettre à me parler du livre. Et surtout des anecdotes qui accompagnèrent sa lecture auprès du mufti. Il me raconte, par exemple, qu’il arrivait souvent que le mufti corrige l’œuvre de son maître, en disant « Là, le Cheikh a utilisé une expression plutôt inappropriée » ou encore « Cette expression est plutôt d’un mauvais niveau d’arabe ».
Et en même temps que je l’écoute, je suis particulièrement attiré par ses annotations dans les marges ou sur la couverture du livre. Il s’agit de sa première édition, qui date de 1962. Ses annotations sont donc plus vieilles que moi de près d’une vingtaine d’années, puisqu’il m’a assuré l’avoir lu bien avant les années 70, sans pour autant me donner une année précise. La précision des termes et des pages est juste extraordinaire. Ainsi apprenait-on autrefois. Chaque mot faisait l’objet d’un commentaire de la part du maître.
Une des anecdotes qui me sont revenues à l’esprit en le redécouvrant est que Papa avait eu le privilège, avec ses condisciples, comme le Cheikh Qādī Saïd Ismā’īl, d’apprendre le livre de son auteur, qui, venu rendre visite, à Moroni, à son disciple, alors cadi des cadis, l’enseigna en entier à ses disciples, en arabe et en swahili. C’était, je pense, dans les années 70. Papa ne se souvient plus trop des dates.
Pour les Comoriens qui se rappellent l’exégèse du Coran du mufti Saïd Muhammad Abdurrahmān, sur les ondes de Radio Comores (aujourd’hui ORTC), il s’agit du Cheikh dont les invocations sont à la fin de chaque cours.
Madārij l-‘ulā est le commentaire d’un poème mystique appelé Tabāraka Dhu l-ulā. Les annotations et les anecdotes de Papa l’accompagnant m’ont donné envie de suspendre un temps le vol du temps.
Longue vie à toi, Papa, mon principal maître et modèle. Puisse Dieu faire que je te ressemble dans la dévotion, la rectitude, l’humilité, le savoir et le désir de le transmettre. À mesure que j’avance dans l’âge, je réalise la chance que j’ai eue de t’avoir comme père et maître et, surtout, combien il me sera difficile de marcher sur tes pas.
Je t’aime, Papa.
M. B.
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