Le Cheikhisme : Itinéraire et oeuvre d’un homme d’Etat, Saïd Mohamed Cheikh

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Le Cheikhisme : Itinéraire et oeuvre d’un homme d’Etat, Saïd Mohamed Cheikh. La nouvelle génération née après l’indépendance découvre le personnage à.

Le Cheikhisme : Itinéraire et oeuvre d’un homme d’Etat, Saïd Mohamed Cheikh

Le Cheikhisme : Itinéraire et oeuvre d’un homme d’Etat, SAID MOHAMED CHEIKH


Tout comorien à qui on demanderait de définir ce néologisme vous avouerait franchement et sincèrement ne pas savoir ce qu’il signifie.

En revanche, les contemporains du président Said Mohamed Cheikh connaissent l’homme, son œuvre et les valeurs qu’il a défendues durant la période qu’il a dirigé le pays.

La nouvelle génération née après l’indépendance découvre le personnage à travers ses discours enregistrés à l’ORTF et accessibles sur Youtube et des travaux de l’universitaire et historien Mahamoud Ibrahim.

Ce néologisme, des observateurs et des hommes publics locaux l’ont forgé pendant la décennie 1970. Ils voulaient par référence à des illustres personnages élever sa personnalité, son œuvre et ses principales réalisations au rang d’une doctrine politique qui aurait inspiré les hommes politiques qui ont dirigé les Comores pendant un demi- siècle (1945-1998).

Alors, Said Mohamed Cheikh a -t-il été un doctrinaire comme le prétendent ses compagnons politiques ou le précurseur d’un système et le père fondateur d’un mouvement politique populaire qui dominera longtemps l’échiquier politique local? Le parti Vert.

Doctrinaire, il ne l’était pas. Durant sa longue carrière politique, Said Mohamed Cheikh s’était toujours refusé d’adhérer avec conviction aux clivages idéologiques qui fracturaient l’élite politique naissante dans les colonies d’Afrique et d’Asie.

Son apparentement à l’Union Démocratique et Socialiste (UDSR) de René Pleven et de François Mitterand à l’Assemblée nationale française en était l’illustration parfaite. SMC est passé du centre gauche au groupe parlementaire de l’Union pour la Nouvelle République (UNR) dès le retour du général de Gaulle aux affaires.

Le député de l’Archipel des Comores a toujours évité pendant ses mandats de parlementaire de tomber dans « les outrances des discours du nationalisme de ses pairs africains et de l’anticolonialisme prêchés par le parti communiste français ».

Said Mohamed Cheihk était une personnalité atypique. Ni de gauche ni de droite clamaient haut et fort ses proches collaborateurs et partisans de la première heure.

Car ce clivage ne correspondait pas aux réalités de son pays et aux préoccupations immédiates de ses compatriotes qu’il a longuement représentés au parlement français.

Au Palais Bourbon, SMC se montrait réservé des joutes nationalistes de ses collègues du continent africain. Lui qui avait siégé avec Lamine Gueye, Sekou-Touré, Félix Houphouet Boigny, Léopold Sédar Senghor pour ne citer que ces illustres personnages.

Il savait parfois hausser le ton pour défendre les intérêts de son « petit territoire » comme il aimait le dire.

Anticommuniste, il l’est devenu à partir du moment où il s’est trouvé confronté à l’émergence du courant de pensée et idéologique nationaliste chez ses compatriotes expatriés dans la colonie de Zanzibar et de l’Afrique de l’Est.

La naissance du Molinaco en 1963 et l’influence de la révolution pro-chinoise de Zanzibar menaçait sérieusement la paix et le silence observés jusque- là dans l’Archipel. Le président avait fort bien senti que la roue de l’Histoire allait tourner.

Des raisons suffisamment fortes pour le pousser à isoler les Comores du reste du continent et des évènements qui se déroulaient dans le reste du monde.

Recroquevillé sur lui-même, l’Archipel des Comores s’est confiné dans l’obscurantisme politique. Il vivra jusqu’à la crise lycéenne de mars 1968 sous l’autocratie de l’administration coloniale française et le paternalisme du bon docteur Said Mohamed Cheikh.

S’il n’était pas un doctrinaire, SMC possédait néanmoins une manière très singulière de gérer les affaires publiques et de présider son petit pays.

L’itinéraire du personnage attire jusqu’à aujourd’hui l’attention des observateurs et fascine les comoriens. Aux yeux de ses concitoyens, SMC reste un pionnier.

Premier médecin, premier député à l’Assemblée nationale française, il deviendra le premier président du Conseil de gouvernement des Comores aiment dire avec fierté ses fervents admirateurs.

Comment expliquer le mythe qui enveloppe le personnage de SMC drapé d’éloges dithyrambiques par ses laudateurs dont le dernier des mohicans était l’ex Gouverneur de Ngazidja feu Said Hassane Said Hachim ?

Né au début du siècle précédent dans l’aristocratie locale et des bonnes familles de Mitsamiouli et Moroni, le jeune Said Mohamed Cheikh fait partie de la quantité infinitésimale de jeunes comoriens privilégiés qui ont fréquenté les bancs de l’école coloniale.

Cette école du « blanc » décriée par les autochtones qui avaient toujours refusé de livrer leurs enfants à l’éducation des mécréants.

Dès sa prime enfance, il s’est brillamment illustré intelligent. Elève studieux, il s’est hissé aux premières places durant sa scolarité.

Le brillant élève Cheikh a gravi toutes les marches qui l’ont conduit à quitter son territoire pour poursuivre ses études dans la grande île de Madagascar.

Les portes de la prestigieuse école le Myres de Vilers lui étaient ouvertes. Cette institution fondée en 1897 par Le Myres de Vilers a formé jusqu’en 1951 les premiers instituteurs et les premiers fonctionnaires malgaches.

A la place de la filière administrative qui le préparerait à occuper un poste subalterne dans l’administration coloniale, le jeune et brillant élève a opté pour l’école de médecine.

Un choix réfléchi et bien pensé selon Mbaraka Salim, un camarade de promotion originaire de Mitsamiouli qui l’avait fort bien connu et combattu pendant son règne.

Par ce choix, l’étudiant Mohamed Cheikh avait pris conscience de l’utilité et du service qu’il rendrait à ses concitoyens. Les soigner et leur offrir une meilleure santé pour affronter la dureté de la vie a été son ambition première.

Un choix politiquement utile. En manifestant clairement sa volonté d’aider les populations et d’être proche de leurs préoccupations quotidiennes, il s’en était servi comme base électorale plus tard pour affermir sa popularité.

Diplômé de cette école, le jeune médecin auxiliaire entreprend sa carrière à la Ngazidja et à Mwali avant d’être enrôlé pendant la seconde guerre mondiale.

Distingué par ses officiers supérieurs, le jeune médecin indigène s’adonna avec courage et abnégation et réalisa efficacement les missions qui lui étaient confiées pendant cette période.

La victoire des Alliés et de la Résistance Gaullienne sur le fascime et la collaboration pétainiste a été le grand tournant de sa vie.

Le jeune médecin indigène avait compris que les institutions de la Troisième république et les rapports entre la France coloniale et ses possessions de l’outre-mer allaient subir des changements profonds.

Le discours historique du 21 août 1945 de M. Paul GIACCOBI, ministre des colonies du gouvernement provisoire de la République française a renforcé sa conviction de jouer un rôle prééminent dans l’histoire de son pays.

Il annonça dans son allocution que « La France va décider de l’avenir de ses institutions. La métropole ne s’estime plus en droit d’en décider seule. Elle appelle à délibérer les représentants de la population de chaque territoire français d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et d’Amérique…tous les citoyens et les non citoyens, sujets ou administrés seront qualifiés pour délibérer sur l’avenir des territoires qui les auront délégués à la Constituante et participeront à égalité avec leurs collègues de la Métropole aux débats et aux votes qui détermineront le régime de la France».

Clairvoyance ou opportunisme politique ? SMC a saisi la balle au bond pour occuper le devant de la scène politique qu’il quittera le 16 mars 1970, date de son décès à Madagascar.

Pour la première fois de l’histoire politique de l’Archipel, une catégorie de comoriens était appelée en 1945 à participer au choix de leur représentant à Paris.

Le premier corps électoral mixte a été créé dans l’Archipel. Du côté des indigènes, Il était constitué des hommes désignés pour leur mérite, anciens tirailleurs ou combattants de la première et seconde guerre, notables, fonctionnaires subalternes et des hommes instruits : les évolués les appelait t- on.

Les électeurs étaient au nombre de 4447. Ils constituaient le collège électoral mixte chargé d’élire leur représentant à l’assemblée constituante. Quatre mille quatre cent quarante - sept personnes choisies, non d’après leur fortune, mais en fonction du degré de leur évolution, de leur instruction, des mérites et des services que ces nouveaux électeurs avaient rendus à la France.

L’Archipel des Comores formait ainsi la troisième circonscription de Madagascar. Il avait droit à un seul délégué pour le représenter à l’assemblée constituante.

Un mandat très convoité. Les colons qui faisaient la pluie et le beau temps s’apprêtaient à déléguer un des leurs pour faire entendre leurs revendications. Ils ne souhaitaient pas se faire représenter par des personnalités extérieures comme c’était le cas auparavant où [next] les représentants des Comores au Conseil Supérieur des Colonies venaient de la Métropole ou de l’Ile Rouge.

A Dzaoudzi, la capitale administrative de la colonie, les milieux coloniaux (fonctionnaires et colons blancs) avaient commencé les premiers conciliabules. Ils se concertaient pour choisir la personnalité capable de rallier les votes des non-citoyens pour l’envoyer à Paris.

Faute de l’avoir trouvé, cinq candidatures furent déposées au bureau de l’Administrateur de la colonie. Il s’agissait des candidatures de :

  • M. GRUET, directeur de la Bambao
  • MERLIN, fonctionnaire au TSF
  • GRIMALDI, colon
  • SAID MOHAMED CHEIKH, médecin
  • SALIM BEN ALI, fonctionnaire

Pris de court par les candidatures de ces deux autochtones, Salim Ben Ali et de Said Mohamed Cheikh, le cercle étroit de la petite colonie des fonctionnaires installés dans le petit rocher de Dzaoudzi avait réalisé que des changements s’annonçaient. Réputés dociles et malléables, les colons pensaient à tort que « les évolués » allaient le demeurer indéfiniment. Leur déception fut immense.

La multiplicité des candidatures parmi les citoyens (Gruet, Grimaldi et Merlin) obérait la chance qu’un des leurs puissent l’emporter. Ils étaient minoritaires dans le collège électoral. Il fallait dès lors épouser l’air du temps et négocier avec les autochtones pour aboutir à un compromis.

Pour les milieux coloniaux, SMC était devenu l’interlocuteur le mieux placé pour garantir le dialogue entre les deux communautés. Unanimement accueilli par ces deux communautés, SMC parvint à convaincre ses concurrents de se retirer de la course et de faire cause commune.

Sur les 4447 inscrits dans la 3ème circonscription de Madagascar, 3304 électeurs ont voté. Said Mohamed Cheikh, seul candidat en lice a recueilli 3086 voix. Il fut élu député à l’assemblée constituante le 21 octobre 1945.

Cette élection entre dans les annales de l’histoire politique contemporaine des Comores.

D’autres évènements se sont succédés en l’occurrence la déclaration de l’indépendance unilatérale, l’occupation par la France de l’ile comorienne de Mayotte, les assassinats des deux présidents mais de mémoire des contemporains du président Cheikh, la désignation de l’enfant du nord et de Mitsamiouli demeure gravé comme le fait historique le plus marquant du siècle dernier.

Said Mohamed Cheikh sera constamment réélu jusqu’à 1961 date à laquelle il quitta le palais Bourbon pour présider le Conseil du Gouvernement des Comores.

A l’Assemblée nationale française, SMC s’était érigé en véritable interprète des aspirations profondes de ses concitoyens.

Au panthéon des principales réalisations de l’homme politique que certains n’hésitent pas à ériger en homme d’Etat figurent :

Au niveau institutionnel, le détachement de l’Archipel des Comores du Gouvernement Général de Madagascar et l’octroi de son autonomie administrative et politique.

L’aménagement du statut de l’Archipel qui a conduit le territoire à la pleine autonomie interne dans le cadre des institutions de la Vème République est à inscrire dans l’actif de son bilan.

Sur le plan social et économique, il était l’auteur de la résolution adoptée à l’unanimité de ses collègues de l’assemblée nationale suggérant la création d’une commission nationale chargée d’étudier la question de la terre aux Comores.

L’élu SMC s’était attaqué à l’autre grand mal de l’Archipel : L’expropriation terrienne par les grandes sociétés coloniales. Il était éprouvé par les conditions sociales et économiques extrêmement pénibles auxquelles étaient confrontées l’immense majorité de la population. Il était également scandalisé par la misère et le dénuement qui frappaient de plein fouet un nombre grandissant de comoriens sans terre et sans revenus

Promoteur de la première réforme agraire, certes insuffisante et inefficace, le député Mohamed Cheikh s’est montré à travers cette initiative tant attendue et espérée de ses compatriotes très proche des problématiques cruciales de la paysannerie comorienne.

En demandant la rétrocession des terres occupées dans des conditions scandaleuses par les sociétés et les grandes familiales coloniales, il contribua positivement à asseoir sa popularité de jeune élu. Son influence s’est étendue dans la paysannerie du Nyumakelé en particulier et auprès du jeune Ahmed Abdallah qui lui succédera en décembre 1972 à la présidence du conseil de gouvernement.

La paternité de la loi relative à la suppression du travail forcé dans les territoires d’outre-mer lui a été abusivement attribuée par ses concitoyens.

Certes, Il avait fait partie des parlementaires des colonies qui ont soutenu et voté la loi n° 46-645 du 11/04/1946 initiée par le député Phélix Houphouet-Boigny. Mais ces concitoyens lui en sont gré jusqu’à nos jours. Pour ses contemporains, le député SMC a aboli « Ye hazi Ya Bure » le travail forcé

Mais la notoriété, le président CHEIKH la doit aussi et surtout à sa capacité d’intégrer le pouvoir traditionnel incarné par la caste de la grande notabilité grande-comorienne et la hiérarchie religieuse.

Un milieu social qu’il connaissait parfaitement. Said Mohamed Cheikh est issu des familles d’érudits et de l’aristocratie de Moroni et de Mitsamiouli. Son oncle maternel Cheikh Soilhi Boina Haziri était un des chefs de la Twarika Chadhuliyi. Il repose dans le mausolée de la mosquée de cette confrérie à Mitsamiouli.

Homme moderne et cultivé, urbain et courtois, ouvert d’esprit et tolérant envers les autres cultures, civilisations et religions étrangères aux siennes, le président du Conseil du gouvernement des Comores ménageait talentueusement les traditions et coutumes comoriennes et la modernité.

Sur le sujet brûlant du grand-mariage, il s’était révélé très en avance par rapport à son temps. Il préconisa avant la « révolution de son jeune poulain Ali Soilihi », la réduction des dépenses ostentatoires et ruineuses occasionnées par le Ndola Nkuwu.

Contrairement au président Ali Soilihi, SMC avait compris que pour faire évoluer et changer les mentalités sur ce sujet sociétal épineux, il devait d’abord expérimenter cette réforme sociétale dans sa ville natale Mitsamiouli Mdjini avant de l’étendre sur l’ensemble du territoire.

Ce fut une réussite. La cause a été bien entendue dans son pré-carré. Ze Mbe Za karamu (l’abatage des bœufs), YE ZINDRU, Ye Né, WO MTSELE sont interdits depuis 1967 dans sa ville de Mitsamiouli. (Voir mes articles publiés dans Albalad (Katiba et Antikatiba à Mitsamiouli : l’AN I de la réforme du grand mariage à Mitsamiouli).

La jeunesse de Mitsamiouli avait porté l’étendard de cette réforme popularisée par la célèbre chanson « Mitsamiouli Riwafiki ze fikira zahe Raiss » de l’orchestre local Amini Zamani et reprise récemment par SAMBECO

Mais l’échec de cette réforme sociétale fut manifeste sur le reste de l’île de Ngazidja.

Dès l’octroi du statut de l’autonomie interne, le président du conseil exigeait des gouvernements de la République française le vote des mesures financières d’urgence pour sortir l’Archipel du sous-développement chronique dans lequel il végétait depuis le début de la colonisation.

Ses interpellations incessantes et ses cris d’alarme, d’abord en tant que parlementaire et ensuite président du conseil avaient permis à l’Archipel d’amorcer un début de développement.

Des projets financés par le FIDES ont contribué à la construction d’écoles, de dispensaires, de citernes publiques et tronçons de routes dont on retrouve des vestiges dans nos villes et campagnes.

Le point sombre qui terni sa carrière politique reste indiscutablement son paternalisme et la chape de plomb qui pesait sur les libertés démocratiques.

Sous son règne, les Verts qui n’étaient pas un parti mais un courant politique populaire avait la mainmise sur la vie politique et démocratique au détriment de l’élite intellectuelle naissante.

A l’instar de son rival et ami le prince Said Ibrahim, SMC a choisi au moment des indépendances africaines le statut de l’autonomie interne pour préparer les conditions sociales, économiques préalables à l’accession du territoire des Comores à l’indépendance.

Un choix controversé par ses adversaires du Molinaco et les indépendantistes du Pasoco et de l’ASEC.

Cinquante après sa disparition, la personnalité du président Said Mohamed Cheikh suscite une fascination qui exige de la part des historiens un examen attentif et objectif de son parcours pour situer l’homme et son œuvre dans l’histoire contemporaine de l’Archipel des Comores.

MOHAMED Bakari
Paris, le 3/07/2023

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